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La chaîne d’info1 en continu déroule les calamités, les drames, les infortunes de ce monde, alors que je mets sur le feu une casserole d’eau pour cuire mes farfalettes.2 À l’écran, la caste politique française a des bouffées de chaleur, au point qu’on passe près de la distribution de baffes dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, supposée enceinte de seules joutes orales.
La chaîne d’info en fait ses choux gras, comme on dit dans ma campagne, mais elle ne s’attarde pas. Elle continue métronomiquement de dérouler les tragédies humaines, comme ma tante enfilait les perles. Zapper sur les autres chaînes d’info n’embellit pas plus le monde : elles théâtralisent, universalisent, le moindre fait divers local. Et mon moral d’effectuer un plongeon olympique.
Si on dézoome du nombril franco-français, on s’aperçoit que les points chauds et signaux d’alerte plus ou moins rouge écarlate, se multiplient, s’étendent à toute la planète et dans toutes les strates d’une civilisation humaine thermo-industrielle, globalisée.
Et là me revient en tête les travaux de l’astrophysicien François Roddier, dont je me suis déjà fait l’humble relais dans ce blog : celui d’une civilisation, assimilée à un système thermodynamique, dispersant frénétiquement toute l’énergie qu’elle peut pomper, augmentant de manière exponentielle les entropies, c’est-à-dire les désordres du monde, exactement comme les atomes d’un corps physique s’agitent, s’entrechoquent, sous l’effet d’un apport de chaleur.
Tant que la source d’énergie alimente le système, ces désordres s’accentuent, jusqu’à épuisement ou que l’eau de la casserole soit totalement vaporisée, ce qui serait fatal à mes farfalettes, mais serait une autre forme de retour à l’équilibre.
Cuisson à point à +4°C

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Cette année, la planète aura atteint le seuil des 1,5 °C d’augmentation de sa température moyenne, objectif que les COP avaient défini comme limite à ne pas dépasser d’ici la fin du siècle et au-delà duquel la vie sur terre deviendrait plus compliquée pour les sociétés humaines. Rappelez-vous du coup de maillet triomphant de Laurent Fabius lors de la COP21 de Paris, il y a déjà neuf ans, tout en glissant déjà dans l’accord une marge de tolérance à +2 °C.
Depuis, le gouvernement français travaille sur une adaptation du pays à +4 °C d’ici la fin du siècle,3 c’est dire la foi qu’il met dans ses engagements. Depuis, les gaz à effet de serre continuent de saturer l’atmosphère terrestre tandis que les catastrophes climatiques s’enchaînent, s’emballent, que les corps sont emportés par les inondations, les coulées de boue, les vents déchaînés et que, pour ceux qui ont survécu, beaucoup doivent migrer pour fuir des régions dévastées ou menacées d’être englouties par la montée des eaux ou les pluies torrentielles. Pas un continent n’a été épargné cette année.
Et quand ce ne sont pas les déluges, ce sont les sécheresses et les incendies qui tuent ou chassent hommes, femmes et enfants. Mais où s’échapper sur une planète rétrécie par la mondialisation des effets négatifs d’une société thermo-industrielle qui rêve d’une croissance infinie ? Car ce rêve ne tiendra que jusqu’à l’épuisement inéluctable des ressources (pétrole, charbon, gaz, ressources minières pour des énergies pas si renouvelables) ou que cette société thermodynamique se vaporise, asphyxiée par une atmosphère viciée (voir la situation en Inde et au Pakistan), empoisonnée par la chimie ou ensevelie sous ses immondices ?
Main basse sur les ressources

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En attendant, la température poursuit son ascension vers son point d’ébullition et les points chauds se multiplient sur la planète (le fond de ma casserole). Les sociétés humaines se ruent « naturellement » vers les sources d’énergie encore disponibles et les ressources permettant d’y accéder par l’intermédiaire de notre technicité que l’on croit, là aussi, infinie. « Naturellement », parce que notre société se comporte comme un système thermodynamique qui optimise sa dépense d’énergie tant qu’elle reste disponible, avec pour corollaire l’augmentation des entropies et de l’agitation du monde.
Les conflits armés, motivés officiellement par les nationalismes et les dominations autoritaires et/ou religieuses, sont sous-tendus par des impérialismes visant les ressources qui permettront d’alimenter les moteurs nationaux des agresseurs à court et moyen terme. Sans exclure la mégalomanie de Poutine, nostalgique du Soviet suprême, ses désirs impérialistes et totalitaires visent surtout les ressources de son voisin.
Rappelons que l’Ukraine possède dans son sous-sol 4,2 % des réserves planétaires de charbon, ce qui la place au sixième rang mondial.4&5 Une grande partie des mines en service sont situées dans le Donbass, région qui consument le plus grand nombre de combattants des deux camps. Mais l’Ukraine est aussi riche de pétrole, de gaz, et de différents métaux, essentiels à cette quête d’énergie, enfin de riches terres agricoles. Quand Poutine envoie ses mercenaires « aider ses amis » africains à recouvrer leur indépendance post-coloniale, c’est pour mieux les rançonner et piller leurs ressources. L’empereur chinois Xi et ses routes de la soie visent moins à exporter ses conteneurs de babioles qu’à rapatrier les ressources que la Chine préempte dans le Sud global, en échange de constructions de palais et d’infrastructures, elles-mêmes accélérant les flux ascendants de ressources.
« Forons, forons, forons ! »

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Ailleurs, comme au Moyen et au Proche-Orient, derrière les fatwas et les excommunications, c’est la maîtrise de l’eau, ressource rare, essentielle dans le cycle vivant d’optimisation de l’énergie, comme le radiateur l’est pour le moteur à combustion. Dans ces régions, les Fous d’Allah font leur lit idéologique sur les cendres de régimes autoritaires, mais également sur les pénuries de ressources, en particulier, l’eau. En Europe, dans le conflit larvé entre le Kosovo et la Serbie, un canal vital, situé près de leur frontière commune, et servant à l’approvisionnement des populations kosovares et au refroidissement de deux centrales thermiques, vient d’être saboté.
Ailleurs encore, ce sont les ressources en bois, en terres agricoles, en métaux rares qui font l’objet de prédations et donc de tensions, toujours les petites bulles brûlantes au fond de ma casserole qui en génèrent d’autres plus grosses, avant de disparaître dans de gros bouillons. Les désordres atteignent les garants de l’ordre, les états. Avec l’apparition de clowns horrifiques comme Trump, Milei, Orban, Meloni… à la tête d’états supposés démocratiques.
Face au foutoir grandissant du monde, Trump croit pouvoir jouer en solo, fort de la première place des États-Unis parmi les pays producteurs de pétrole et aussi premier arsenal planétaire. Pour montrer qu’il se fout comme de son premier dollar du réchauffement climatique, interrogé par Fox News en 2023, il indique qu’il ne sera un dictateur que le premier jour de son mandat : « Nous fermons la frontière et nous forons, nous forons, nous forons ».6 L’Amérique trumpienne va donc optimiser ses sources d’énergies fossiles et maximiser son entropie sans frontière.
En attendant la tension (température) monte, les guerres s’internationalisent, les puissances étatiques se réarment, l’arsenal nucléaire, et les menaces qui vont avec, retrouve une vigueur que l’on croyait pouvoir remiser au musée des symboles.
Parallèlement, la litanie des morts civiles en Ukraine, au Proche-Orient, sur les bandeaux d’information des chaînes, fait presque oublier d’autres massacres passés ou actuels comme au Soudan, en Birmanie, au Yémen, au Kurdistan, en Syrie, où les djihadistes ont repris l’offensive face à l’armée de Bachar el-Assad, les feux des dictatures se consument mutuellement dans un bel élan. S’y ajoute un autre décompte effroyable, celui des morts dans les catastrophes climatiques.
L’ordre mondial se consume aussi

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L’ordre mondial est mouvant. Il y a eu celui de la Guerre froide, issu de la seconde guerre mondiale, qui était celui de la terreur entre deux arsenaux nucléaires monstrueux, la Russie et les États-Unis. À la chute du Mur, il y a eu celui, illusoire, des marchés, du commerce mondialisé et de l’ultra-libéralisme, initié par le couple diabolique Thatcher-Reagan et leurs âmes damnées, les économistes Milton Friedman et Friedrich Hayek.
Cet ordre est désormais en crise permanente, tel un moteur en surchauffe. Il multiplie les convulsions directes (financières) ou indirectes, suite aux dégâts environnementaux, changement climatique en tête ‒ à tel point que les multinationales de l’assurance craignent le crash de leur bizness.
Ce nouvel ordre mondial génère d’immenses déséquilibres avec des pénuries, spéculatives ou réelles, des inégalités sociales profondes, créant des ruptures et inévitablement des points chauds sociaux, faisant le lit des populismes mensongers et des extrêmes droites violentes. Cet ordre imposé par l’occident est de plus en plus contesté par d’autres impérialismes émergents, Chine en tête, qui viennent même jouer sur le terrain inflammable des armes nucléaires.
Le technosolutionnisme n’est qu’un coup marketing

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Les solutions avancées par les politiques ou les technosolutionnistes sont ineptes, inefficaces, voire aggravantes. Le réchauffement climatique augmente les besoins en climatisation qui lui-même aggrave le réchauffement. Les effets « rebond » sont innombrables et traduisent l’irrésistible optimisation de la dépense d’énergie. Les moteurs thermiques consomment moins, on fabrique donc des véhicules plus gros, plus lourds de gadgets et d’électronique. Le prix des carburants baisse, on roule plus loin, plus souvent, pour une baguette de pain.
Le technosolutionnisme, qui veut résoudre les problèmes créés par des technologies antérieures, prometteuses mais finalement destructrices, entraîne généralement une augmentation des besoins en énergie et en ressources. Le capitalisme, en opportuniste pantagruélique, transforme les innovations de solutions en coups marketing, en aubaines de profits, sans égards pour les coûts externes, écologiques ou sociaux. Toute création technologique est soluble dans la source des profits du capitalisme, tout en maximisant l’utilisation de l’énergie et sans envisager une seule seconde d’en réduire l’usage.
L’intelligence artificielle ? Censée résoudre tous nos problèmes, elle s’apparente à un messianisme trompeur : ses gigantesques calculateurs dévorent des quantités inégalées de matières premières (processeurs), d’énergie électrique (encore trop souvent d’origine fossile) et d’eau (refroidissement). L’électricité photovoltaïque ? Elle se traduit aujourd’hui par l’agrivoltaïsme qui dévore les terres agricoles, forestières et naturelles, une prédation menée tambour battant par des industriels et des faucons de la finance.
Le boum des énergies renouvelables s’ajoute généralement aux énergies fossiles, sans les remplacer, en consommant même des quantités supplémentaires pour aller extraire des entrailles de la planète les terres rares, les minerais nécessaires aux immenses parcs solaires ou éoliens. Toujours optimiser les dépenses d’énergie et de ressources jusqu’au tarissement. La géo-ingénierie est l’illustration ultime et absurde de l’hubris de l’homme moderne. Elle consiste en une tentative désespérée de modifier en sens inverse le climat planétaire, à l’aide de technologies qui restent à inventer et dont personne n’est capable de mesurer les conséquences et les dégâts collatéraux.
La Terre ne tourne réellement plus rond

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La notion d’anthropocène, terme qui veut signifier que l’espèce humaine modifie gravement les équilibres planétaires, est de moins en moins contesté par les scientifiques. On savait déjà que les forages, les mines, les barrages pouvaient provoquer des séismes et des mouvements de terrains spectaculaires. Que des villes, entraînées par leur poids, pouvaient s’affaisser.
Notre société industrielle et de consommation sans limite déplace des quantités astronomiques d’eau puisée essentiellement dans les nappes souterraines qu’elle épuise. Cela a semble-t-il contribué à déplacer d’environ quatre-vint centimètre l’axe de rotation de la Terre sur une période de dix-sept ans (1993-2010) et à changer l’équilibre des océans entraînant une hausse moyenne du niveau des océans de 6,24 millimètres, qui s’ajoute aux volumes de fontes des pôles et glaciers.7
Le capitalisme est le moteur fumant et pétaradant d’un système thermodynamique qui multiplie les points chauds, qui nous rapproche toujours plus du point d’ébullition et nous plonge dans un désordre toujours plus grand. La suite passera probablement par des dystopies, des régimes dictatoriaux, après avoir été autoritaires, des sectarismes violents : l’Europe de l’Est et centrale penche de plus en plus vers la dictature de Poutine ; sur le reste du vieux continent, les extrêmes droites sont aux portes du pouvoir ou tiennent dans leur gant de fer les régimes modérés, voir ce qui se passe en France.
Les États-Unis et l’Argentine s’abandonnent à des libertariens illuminés ; l’Inde, plus grande démocratie du monde, verse dans un nationalisme violent ; la Chine maîtrise son capitalisme d’état par une dictature qui n’a de communiste que l’affichage et n’a rien à envier à une dictature militaire. « La montée du péril totalitaire d’extrême droite est une des manifestations de l’entrée en crise du régime néolibéral », alertent les professeurs d’économie Nicolas Postel et Richard Sobel de l’unité de recherche mixte, Université de Lille/CNRS, dans une tribune du Monde.8 Et de citer un penseur éclairant de la société de marché, Karl Polanyi : « C’est la réalité d’une société de marché que l’on perçoit dans le totalitarisme. »
Instinct de survie VS lois de la thermodynamique

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La société thermo-industrielle continue sans faiblir de faire bouillir la marmite. Au bout de ce processus à la fois absurde, du point de vue de l’instinct de survie censé habiter les organismes vivants et théoriquement intelligents que nous sommes, et inévitable d’un point de vue physique, si on assimile notre monde à un système thermodynamique, des scénarios pas vraiment affriolants.
La solution utopique, radicale, serait de fermer immédiatement le robinet ou pour le moins d’en réduire considérablement le débit. Solution dont on pressent qu’elle serait tellement douloureuse que l’homme, dopé à l’énergie abondante et bon marché, à une consommation outrancière, ne peut pas même la concevoir. Elle n’empêcherait même pas l’inertie du climat de faire son œuvre pendant des décennies. Elle supposerait aussi de réduire autoritairement les inégalités d’accès à cette énergie volontairement raréfiée et donc d’entrer en conflit avec les puissants. L’homme du XXIe siècle n’envisage pas plus la panne sèche qui interviendra inévitablement s’il fait de la procrastination. Par contre, Elon Musk a la solution : aller coloniser Mars.
Soyons pragmatiques : a-t-on suffisamment de ressources sur terre pour construire les infrastructures et les véhicules et envisager un exode massif vers une planète pas des plus paradisiaques ? Alors, allons essorer quelques astéroïdes qui passent par là pour récupérer de précieux minerais, permettant de prolonger notre agonie ?
Là encore, il faudra énormément de ressources terrestres pour ouvrir des mines extraterrestres. Et comme pour les énergies renouvelables qui viennent s’ajouter aux énergies fossiles, les ressources piochées dans l’espace n’empêcheront probablement pas nos multinationales d’extraire jusqu’aux derniers grammes de minerais terrestres et de parachever l’œuvre de destruction éclair (en moins de deux siècles) de notre fragile bulle de vie.
Des fous aux manettes de jeux mortels

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L’autre scénario possible, ultime, qui cramera le fond de la casserole et son contenu, mais peut-être moins douloureux dans la durée, est l’anéantissement nucléaire. Avec des Trump, Poutine, Kim et autres imams illuminés aux manettes de jeux nucléaires pervers et mortels, rien ne peut être exclu. Surtout qu’ils ont éliminé tous les contre-pouvoirs pouvant les raisonner. Un commentateur de Fox News à la tête du Pentagone, ça rassure, non ? Surtout que l’impact négatif de la hausse des températures sur la santé mentale est de mieux en mieux documenté par les chercheurs.9 Stress, anxiété, comportements agressifs et violents, dépressions et suicides, tout corps chauffé voit ses désordres internes augmenter.
Y aura-t-il une génération A viable après la génération Z sacrifiée ? Sera-t-elle celle du nihilisme,qui libère de l’emprise du capitalisme et de la morale bourgeoise dégénérée, évitant le précipice ? Si rien ne change, le désordre des éléments chauffés à blanc emportera coupables et victimes, sans distinction. Le retour à l’équilibre de notre petite planète se fera ensuite sans nous. Le désordre apparent de l’Univers n’est en réalité qu’un mouvement perpétuel vers l’équilibre, quoiqu’on fasse.
Ce billet n’a rien d’une théorie scientifique, encore moins d’une prophétie. Juste un cauchemar éveillé.
Mes farfalettes sont cuites, mais je n’ai plus vraiment d’appétit.

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1. francetvinfo.fr, le 29/11/24.
2. Pour les non italiens et les non fondus de pâtes, les farfalettes sont des pâtes alimentaires en forme de nœud papillon plus petites que les farfalles de même forme. Cuisinées ce jour-là avec des courgettes du jardin et une sauce à l’ail et au citron. Un petit plaisir avant qu’il n’y ait plus de gaz pour réchauffer notre pitance.
3. https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/comprendre/strategie/plan-national-dadaptation0.
4. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_en_Ukraine.
5. https://reporterre.net/Un-enjeu-cache-de-la-guerre-en-Ukraine-les-matieres-premieres.
6. https://www.bbc.com/afrique/articles/cj4vwvnn4v1o.
7. https://korii.slate.fr/et-caetera/axe-rotation-terre-deplace-80-centimetres-responsabilite-activite-humaine-astronomie-redistribution-extraction-eau et https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2023GL103509 pour l’étude publiée sur le site de l’Advancing Earth and Space Sciences (AGU), en anglais.
9. https://www.thelancet.com/journals/lanplh/article/PIIS2542-5196(23)00104-3/fulltext#%20, en anglais.