Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

110 Billets

1 Éditions

Billet de blog 3 mars 2023

Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

« Tu sers à quoi ? »

Lancée par de jeunes activistes au grand patron de l’Élysée, traduisant leur angoisse face à son inaction coupable dans la lutte contre le changement climatique, cette question légitime mériterait d’être élargie à son action de dirigeant au pouvoir exclusif, discrétionnaire, arbitraire. Et la bonne question ne serait-elle pas : à quoi servons-nous, le peuple, dans cette farce démocratique ?

Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est vrai ça, « tu sers à quoi » ? la question a été jetée à la figure d’un Emmanuel Macron paradant, comme ses prédécesseurs, à la pêche aux voix du monde rural au Salon de l’Agriculture. « Vous êtes la démonstration d’une forme de violence civique », a répliqué le chef de l’État, agacé par le refus de son interlocuteur d’entendre sa langue de bois.1 Le « casse toi, pov’ con » n’était pas loin. Ce sont de jeunes activistes du mouvement Dernière rénovation qui l’ont interpellé. Eux, comme une grande partie de la jeunesse, n’exprimaient que leur écoanxiété, leurs angoisses face à la violence du changement climatique, aux bouleversements mortifères en cours, à un avenir commun obéré par l’inaction, ou plutôt les actions néfastes, d’un dirigeant au pouvoir exclusif, discrétionnaire, arbitraire.

« Violence civique » ? Dans la définition du Petit Robert : « Civique : relatif au citoyen » mais aussi « propre au bon citoyen. Courage, vertus civiques », mais encore, « Sens, esprit civique, sens de ses responsabilités et de ses devoirs de citoyen. » Ces jeunes prennent donc leurs responsabilités civiques avec courage en protestant, en demandant des comptes à celui qui les met dans la mouise, un président omnipotent qui tire sa puissante domination d’une caste d’oligarques. La « violence civique » qu’il dénonce n’est-elle pas la réaction logique, et même sous-graduée, à la violence des crises, des contingentements qui frappent les plus pauvres et hypothèquent l’avenir de leurs enfants ? Que ne s’élève-t-il contre les violences régaliennes et politiques contre les manifestants, les femmes, les migrants, les sans-logis ? Contre les violences sociales dues à la désagrégation des services publics orchestrée par l’État ? Contre les violences du capitalisme qui met dans le même bilan d’une multinationale des dizaines de milliards de bénéfices et des milliers de licenciements ? Contre les violences physiques faites aux soutiers de la machine économique, des spots de pauvreté français aux camps de travail forcé de l’autre côté de la planète ? Contre la violence d’un slogan typiquement capitaliste : « Vous vivez plus vieux ? Eh bien travaillez plus maintenant ». Surtout s’il sait parfaitement que ses amis patrons virent les vieux pour des jeunots précarisés, moins chers, moins râleurs ; que la courbe de l’espérance de vie est en train de basculer sous le joug des pollutions de ses amis industriels, de la souffrance au travail appliquée avec constance par ses amis grands patrons, des pesticides ingurgités à goulées forcées grâce à ses amis patrons de la FNSEA, de l’écroulement du système de santé public, bradé comme le reste aux intérêts privés de ses amis fortunés. Vivre plus vieux et en bonne santé ? Foutaise ! C’est vrai pour les papys boomers, ce ne sera certainement pas le cas pour les générations suivantes qui ont raison de lui poser la question : « Tu sers à quoi ? »

Citoyens figurants

Macron le timonier, Macron le patron startupeur, avec son armée de collaborateurs, des cabinets ministériels aux bancs parlementaires : au nom de qui régente-t-il la vie de 68 millions d’êtres après avoir été adoubé par moins de 39 % des électeurs inscrits, dans un contexte de barrage aux bruits de bottes lepénistes, soit avec 61 % de boycottage ? Aux intérêts de qui travaille-t-il, lui qu’on surnomme le « président des riches » ? Sachant que ses anciens clients de chez Rothschild et apparentés ont décuplé leurs fortunes respectives durant ces dernières années de crises pour le reste de la population ? Que ses camarades de promotion de l’ENA ont montré d’étonnantes qualités de transfuges, d’allers et retours entre pouvoir politique, pouvoir administratif et pouvoirs de l’argent ? L’équilibre des pouvoirs n’a jamais existé et, pour peu qu’il en existe des bribes, est attaqué de toutes parts, voir la mise sous cloche d’une grande partie de la presse. Le système des élections représentatives dans une république verrouillée est une comédie avec pour acteurs, des politiques professionnels (dans le sens entrepreneurs à la recherche d’un revenu et d’un pouvoir) et des figurants, les citoyens.

Alors à quoi sert un monarque dans son donjon élyséen sinon à servir les intérêts de ses coreligionnaires aristocrates, adeptes du pouvoir héréditaire, de Bolloré à Arnault ? La bonne question à se poser ne serait-elle pas : à quoi sert le peuple électeur et son dérisoire pouvoir de choisir entre la peste et le choléra, à échéances fixées par le monarque, sans autre levier pour infléchir des trajectoires déviantes entre chaque kermesse électorale ? Quels pouvoirs ont les citoyens sur des sujets qui les concernent au plus près de leur chair ?

La France est en guerre en Afrique mais seuls le grand chef et les képis sont au courant. Les ventes d’armes, parmi les plus beaux joujoux de l’industrie militaire tricolore, aux régimes dictatoriaux (Égypte, Arabie Saoudite, Émirats…) sont une chasse gardée présidentielle qui ne fait même pas l’objet d’une allusion lors des campagnes électorales. Des contrats en rafales, accompagnés de généreuses remises ou conditions aux autocrates qui n’en rendent que plus misérables les fournitures en aide aux Ukrainiensqui se battent pour leur survie face à un clown horrifique. Les clients cités plus haut assassinent au Yémen, financent le terrorisme islamique, éliminent leurs oppositions, avec des outils bien français (cocorico !), et avec la bienveillante appréciation du président tout puissant du pays des Droits de l’Homme.

Macron président relance, tambour battant, les chaudières nucléaires, sans autre débat contradictoire avec tous ceux qui vont vivre près des centrales et dont les enfants auront à gérer les risques liés aux malfaçons et des déchets quasi éternels. Les débats publics ont été escamotés et les parlementaires (Droite unie et communistes) sont enjoints d’entériner une loi relative « à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ». Fermez le ban. Et alors que les EPR souffrent de multiples tares et que les retards et factures flambent, son gouvernement décide de casser le thermomètre, référence mondiale dans le domaine, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

On pourrait également parler (et Macron n’est pas le seul monarque en cause) des bradages et démantèlements de biens communs, de services publics essentiels (autoroutes, EDF, santé, SNCF…) décidés en très haut-lieu de l’échelle de la domination sociale, sans autre consultation des usagers et contribuables. Les exemples de décisions non démocratiques sont aussi nombreux que les promesses électorales non tenues. Se replonger dans les lénifiants programmes électoraux, particulièrement ceux de Macron, revient à se flageller.

On sait donc à quoi il sert, le président-monarque, mais on se demande bien à quoi nous servons, nous ses sujets, sinon à subir des décisions unilatérales et iniques. C’est l’essence même du régime de la Ve République, qui n’est certes pas l’Ancien régime de la maison de Bourbon, mais le nouveau régime des représentants d’un capitalisme oligarchique, quasi autocratique, dont les élites sont liées par leurs fortunes. Et à l’image du parti Renaissance (tiens, on retombe sur l’Ancien régime), le président-monarque ne se casse même pas le croupion pour nous proposer une idéologie, sinon son « en même temps », idéal pour brouiller les pistes sur lesquelles il nous entraîne et qu’il a choisies dans le secret du bureau au premier étage de son palais.

La question de l’utilité d’un leader au pouvoir discrétionnaire se pose au-delà de la personne de Macron, même si le nombre de personnes soumises à leurs injonctions péremptoires n’est pas le même selon l’échelon. Prenez Mélenchon, qui n’est officiellement plus chef de rien, mais qui dirige tout au sein de LFI et impose aux autres chefs de la Nupes et des syndicats sa stratégie de dynamitage du débat sur les retraites. Qui a demandé leur avis aux premiers concernés ? Si, les sondeurs, mais tous les chefs s’en contrefoutent en suivant leurs idées fixes de dominateurs. Et il y a des chefs sous chaque pierre de la Ve République.

Face à ce centralisme extrême des pouvoirs, de tous les pouvoirs, face à l’asservissement imposé par le capitalisme et ses élites, les femmes et les hommes du peuple n’ont d’autres ressources que de reprendre localement leur destin en main et possession collectivement des outils d’intérêts communautaires, inventer de nouvelles gouvernances, intégralement démocratiques, fédéralistes, en s’inspirant de l’anarchisme de Bookchin, de Graeber, de Zomia, des Zapatistes, des Kurdes… Et puis de Pierre Clastres : « Ce que nous montrent les Sauvages, c’est l’effort permanent pour empêcher les chefs d’être chefs, c’est le refus de l’unification, c’est le travail de conjuration de l’Un, de l’État. L’histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l’histoire de la lutte des classes. L’histoire des peuples sans histoire, c’est, dira-t-on avec autant de vérité au moins, l’histoire de leur lutte contre l’État ».2

Mais pour cela, il faudrait que l’on s’extraie collectivement du « roman national » imposé par le pouvoir politique et de la propagande du monde consumériste imposée par l’oligarchie capitaliste.

1. : https://www.liberation.fr/politique/a-quoi-tu-sers-emmanuel-macron-interpelle-sur-le-climat-au-salon-de-lagriculture-20230225_XV33LHADPRGYTK2HC5F2CFGAAU/.

2. : Pierre Clastres, La Société contre l’État. Recherches d’anthropologie politique, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 186.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.