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Billet de blog 3 juin 2024

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Comment saborder le radeau de la gauche

Des attaques persistantes contre la communauté des journalistes, une culture de l’homme providentiel face au « système » et, désormais, la mise en doute de la sincérité des élections à venir, Jean-Luc Mélenchon met en branle les mêmes arguments péremptoires que d’autres leaders à tendance autoritaire, Trump en tête. Un aveu de faiblesse et un sabordage du radeau de la gauche.

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Le cadre démocratique représentatif qui a cours en France, hérité d’un compromis révolutionnaire, n’est qu’un pis aller parmi les possibilités de régimes réellement égalitaires. « Sous le nom de démocratie, c’était en fait le premier citoyen qui gouvernait », reconnaissait l’historien grec Thucydide, tout en acceptant la contradiction d'une démocratie aux mains d'un leader rationnel.1

La démocratie occidentale, contrairement à l’aphorisme churchilien qui voudrait que la démocratie représentative est « un mauvais système à l’exclusion de tous les autres qui ont pu être expérimentés » dans l’histoire, a connu et connaît des alternatives éprouvées avec succès de démocratie libertaire.2

Si la démocratie actuelle est très vulnérable aux abus de pouvoir, dans laquelle le représentant élu ne représente que sa propre soif de pouvoir et beaucoup moins ses promesses de campagne ‒ voir l’autorité quasi royale qu’ont exercé ou exercent les présidents de la Ve République, dont Macron est l’un des plus représentatifs (pas en nombre de voix) ‒, Jean-Luc Mélenchon, lider maximo de LFI (La France insoumise), non élu à la tête de son parti, a beau jeu de mettre en doute un système électif qui, pour lui, ne rend pas justice à la haute estime qu’il a de sa propre personne.

Voilà qu’il met en doute la sincérité des élections à venir, annonçant ‒ de l’air de celui qui sait des choses que les autres ne savent pas ‒, que LFI serait en réalité bien au-dessus des sondages qui paraissent dans une presse aux ordres et réclame une commission d’enquête parlementaire.3

Pour cela, il prend appui sur quelques témoignages de citoyens affiliés LFI qui auraient été désinscrits des listes électorales. Voilà qui risque certainement de bouleverser totalement les résultats d’une liste qui pointe actuellement à 8 %, très loin de la droite socialiste et à des années-lumière de l’extrême droite.

Sa gestion péremptoire de la Nupes est sans doute plus coupable dans la dispersion, façon puzzle, de l’union de la Gauche, et donc de la piètre position des Insoumis, que quelques ratés dans les listes électorales nationales.4 Ses outrances et slogans de tribun lui permettent-ils de s’opposer efficacement au gouvernement libéral actuel ? Les sondages sont ce qu’ils sont (une vague estimation), mais lorsqu’il s’agit d’estimer quel est le meilleur opposant à l’exécutif, Mélenchon apparaît loin, très loin derrière Bardella, Le Pen et au coude à coude avec le social démocrate Glucksmann.5 À la jouer solo plutôt que collectif et démocratique, Méluche, qui a forcément toujours raison face au monde, même au sein du parti, se marginalise comme un éléphant rouge trop vieux pour ces c… là.

Ton péremptoire pour éteindre le débat

Mettre en doute la sincérité de futures élections, sous-entendant qu’il pourrait y avoir trucages et autres malversations, exclusivement en défaveur de la liste LFI et de son charismatique patron, est une ritournelle déjà entendue de la part d’un certain Trump, stratégie certes dilatoire et fallacieuse, mais qui a permis à ce dernier de revenir dans la course au pouvoir, malgré l’assaut guidé contre le Capitole, berceau démocratique des USA, et ses ennuis judiciaires. On imagine Mélenchon dénoncer un complot de « l’État profond » macroniste et de sa presse aux ordres.

Depuis qu’il a quitté le bateau des éléphants socialistes, Jean-Luc Mélenchon s’attaque aussi à la presse, toute la presse, à partir du moment où elle ne se contente pas de relayer, mot pour mot, son discours. En février 2019, il qualifiait Médiapart de « chien de garde zélé de la Macronie » et l’Obs de « poubelle macroniste ».6

Ses attaques peuvent aussi être ad hominem. En décembre dernier, Mélenchon lâchait les chiens contre la journaliste Ruth Elkrief, la qualifiant de « fanatique » après une question à Bompard sur le conflit Israël-Hamas. « L’attaque du leader insoumis contre la journaliste s’inscrit dans une stratégie de combat douteuse contre le “système médiatique” », jugeait Lilian Alemagna dans Libération.7

En octobre 2022, il martelait : « Je pèse mes mots tout le temps », alors qu’il prenait la défense de Quatennens, accusé de violences conjugales, tout en assenant une tape sur la joue du journaliste insolent de « Quotidien » qui venait l’interroger sur le sujet.8 La condescendance du dominant. Il serait trop long ici de recenser tous les clashs entre Mélenchon et les journalistes de tous bords, ça lasse. « Le problème, c’est quen ne traitant pas, ou plus, les attaques dégradantes du leader de La France Insoumise, on donne aussi l'impression de s’y être habitués et d'avoir accepté… l’inacceptable », commentait le journaliste Bruno Donnet.9

La main-mise du pouvoir capitaliste et réactionnaire, de Bolloré à Bernard Arnault en passant par Kretinsky et Saadé, sur une bonne partie de la presse ne justifie pas de vouer aux gémonies l’ensemble de la profession. Il existe, heureusement, encore des espaces de liberté critique et des médias indépendants regroupés dans le syndicat de la Presse pas pareille, une presse qui a le droit, l’obligation de gratter là où ça fait mal.10 Nous ne sommes pas en Russie. Mettre tout critique ou journaliste aux questions gênantes sous tutelle d’un conglomérat de « médias mainstream », complotant contre sa personne et ses incontestables idées, permet d’éteindre tout débat.

Enfin, quand il lance aux militants de LFI : « Ne vous laissez pas intimider », rejouerait-il par là le discours de Trump peu avant l’assaut sur le Capitole ? Mélenchon pèse ses mots et choisit ses cibles en gladiateur solitaire, oubliant que le combat de gauche doit être avant tout collectif, démocratique et solidaire. Le programme de LFI est sans doute le plus enthousiasmant dans le contexte actuel et les militants de LFI les plus sincères. Mais les positions fortifiées et non contestables de celui qui s’est institué grand leader de la gauche, ont provoqué des fractures mortelles dans la Nupes et des doutes dans son propre parti.

Ce qui ne dédouane pas les autres partis de gauche de leurs responsabilités, leurs intrigues à courants multiples (EELV), leur conservatisme (PCF), leurs compromissions (PS) ayant affaibli le navire dès son lancement. C’est désormais un radeau à la dérive, qui perd de vue à l’horizon la canonnière du fascisme, et qui va s’échouer dans les oubliettes de la politique et particulièrement des prochaines élections européennes. Au grand désespoir du peuple de gauche.

« J’ai vu des démocraties intervenir contre à peu près tout, sauf contre les fascismes. » André Malraux, L’Espoir Gallimard.

1. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 65, 9 (traduction J. de Romilly).

2. Lire (ou relire) le livre de David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… et particulièrement le chapitre « Où l’on voit comment les Amérindiens (indigènes) ont appris aux Européens la relation entre débat rationnel, liberté individuelle et refus du pouvoir autoritaire. » Pour la période actuelle, voir les expérimentations zapatistes et kurdes, exercées dans des conditions difficiles.

3. https://www.lemonde.fr/politique/live/2024/06/01/en-direct-elections-europeennes-2024-melenchon-veut-une-commission-d-enquete-sur-les-conditions-dans-lesquelles-se-deroulent-les-elections-en-france-glucksmann-appelle-a-la-mobilisation-des-jeunes_6236788_823448.html.

4. Il faut aller fouiller dans des élections locales pour trouver des manipulations ayant pu influer un résultat comme les faux électeurs de Tibéri ou quelques scrutins folkloriques corses.

5. https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-politique-ipsos-la-tribune-dimanche.

6. https://melenchon.fr/2019/02/04/perquisition-mediapart-letat-autoritaire-saffole/ et https://x.com/JLMelenchon/status/1093455918522617857.

7. https://www.liberation.fr/politique/melenchon-contre-ruth-elkrief-une-detestable-mise-au-pilori-20231204_52PJQWLQSZEG5BSZIUQEZALABM/.

8. https://www.leparisien.fr/politique/la-petite-tape-de-jean-luc-melenchon-sur-la-joue-dun-journaliste-provoque-une-vague-de-reactions-22-09-2022-VYJWSVS6SFDJFN6N5D6I34AGVE.php.

9. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-bruno-donnet/melenchon-et-la-presse-la-crainte-de-la-redite-6084084. Voir aussi https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/melenchon-et-la-presse-2887027.

10. https://lagedefaire-lejournal.fr/carte-de-la-presse-pas-pareille/ et https://blogs.mediapart.fr/sppp-syndicat-de-la-presse-pas-pareille/blog/260623/le-syndicat-de-la-presse-pas-pareille-est-ne.

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