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Billet de blog 4 mars 2025

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Le pacifisme, arme des puissants

Alors que politiques et médias appellent à un réarmement et nous préparent à la guerre, il semble contre-intuitif de mener une charge contre le pacifisme. Pourtant, pacifisme et non-violence instillés par les dominants ont visé avant tout à étouffer les révoltes et mouvements de protestation populaires, à asseoir une domination et légitimer la violence de l’État militaro-policier.

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Illustration 1
Lors de l'inauguration de la Trump tower © Blink O'fanaye

Igitur qui desiderat pacem, praeparet bellum,1 ceux qui souhaitent la paix, préparent la guerre. Cette citation attribuée sans doute faussement à l’auteur romain Végèce, très pointu en tactique militaire, a été mise à toutes les sauces idéologiques, jusqu’à lui faire dire : « Si tu veux la guerre, prépare la paix », par la voix d’un proche de Bonaparte, Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne. Une ruse tendant à inoculer le virus du pacifisme chez un futur adversaire pour qu’il baisse la garde, dépose les armes et qu’il devienne ainsi vulnérable à une attaque.

Depuis la chute du Mur, tous nos gouvernants ont embrassé un pacifisme européen de bon aloi, sous le parapluie dominateur américain, on n’est jamais trop prudent. Même les dissuasions nucléaires britannique et française ont été réduites, les Occidentaux étant persuadés que libéralisme désinhibé et le capitalisme outrancier coloniseraient le monde et imposeraient la paix du commerçant. Ils s’aperçoivent aujourd’hui qu’ils sont en culotte (très) courte face à de nouveaux impérialistes tel l’empereur Poutine, chef de guerre héritier du stalinisme, ou Xi Jinping, le Grand timonier du capitalisme rouge, qui pousse pacifiquement (pour l’instant) ses pions sur le Monopoly mondial. Certains en France et en Europe, aux extrêmes de la droite et de la gauche, en torturent leur chapeau idéologique, à la recherche d’une position la moins inconfortable possible. Le pacifisme fait partie de leurs arguments. Nationalistes et/ou anti-atlantistes hier, ils en sont à se ranger aujourd’hui du côté du nationaliste Trump pour pouvoir justifier leur penchant pour le nationaliste Poutine et martèlent que la bombe française restera française (Marine Le Pen dans le texte).

Le pacifisme a abouti au désastre de 1939

Un petit tour dans les livres d’historiens sur l’entre-deux guerres est instructif pour voir où le pacifisme, comme idéologie politique, peut nous entraîner. Il ne s’est jamais autant bien porté qu’avant la Seconde seconde mondiale et a accompagné l’expansion rapide du fascisme. Il était présent dans toutes les strates de la société, des anciens combattants aux intellectuels, dont le prix Nobel Romain Rolland, en passant par les clergés ‒ « tu ne tueras point » ‒, les francs-maçons et les partis de gauche comme la SFIO. Paul Faure, son secrétaire général de l’époque, martelait qu’il ne fallait pas humilier Hitler et les Allemands pour ne pas exacerber un sentiment de revanche. En fait, comme le souligne l’historien Maurice Agulhon, après la Première guerre mondiale, la « der des ders », « il fallait distinguer ceux qui se réjouissaient de la paix et ceux qui se réjouissaient de la victoire ».2 La société pacifiste se sentait coupable d’avoir prôné l’Union sacrée, dès 1914, pour en arriver à la boucherie que l’on sait. Le pacifisme fera des ravages dès 1936, face aux coups de force du fascisme et à l’écrasement des Républicains espagnols. Avec un non-interventionnisme revendiqué et une naïveté qui conduira aux accords de Munich, les démocraties, dont la France, se complairont dans l’immobilisme et la pusillanimité, renforçant Hitler et son funeste projet de paix aryenne.

Aujourd’hui, l’Europe candide se retrouve fort dépourvue lorsque le bruit du canon fût venu. Doit-on rester pacifistes malgré tout, malgré le renversement d’alliance de l’État américain ? Voilà plus de dix ans que Poutine grignote l’Ouest dont il veut récupérer les richesses autrefois acquises à l’Union soviétique. Sous prétexte d’éviter une guerre mondiale, Poutine a lancé son « opération militaire spéciale » sur les riches terres ukrainiennes. Qu’elle aurait dû être l’attitude des Ukrainiens, habitants d’un pays démocratique, lorsqu’ils ont vu les chars russes tenter d’envahir leurs terres et massacrer leurs familles comme à Boutcha ? Devaient-ils tenter de négocier avec leur très « pacificateur » voisin ? Pour négocier quoi ? Devaient-ils tendre l’autre joue et se soumettre à la « protection » de Poutine qui abhorre l’Occident, la démocratie, les homosexuels, les libres penseurs, etc ? La dissuasion nucléaire et son illusoire « équilibre » ont imposé une paix qui se nommait « Guerre froide ». Elle n’a pas empêché les effets de bord et d’autres boucheries comme au Vietnam. La paix doit-elle se faire à n’importe quel prix ?

La non-violence pour désarmer les luttes

Illustration 2
Emeutes à Londres en 2011 © Remo Casselia

Les idéologies du pacifisme et de la non-violence ont essentiellement servi, dans l’histoire, d’arme politique aux puissants pour asseoir leur pouvoir et désarmer toute velléité populaire de défense active contre les abus et violences de leur domination. Dans nos sociétés anesthésiées par la consommation et le capitalisme érigé en doctrine d’état, prêcher la non-violence c’est vouloir décrédibiliser les luttes légitimes des peuples. C’est instiller dans l’imaginaire des populations l’illusion que la paix s’obtient au prix d’une obéissance absolue aux pouvoirs établis, ceux des autocrates, des politiciens professionnels plus ou moins bien élus, ceux des États, administratifs, policiers et militaires. C’est ce qui était à l’œuvre autour des méga-bassines de Sainte-Soline en mars 2023. Provoquer, avec l’aide d’un dispositif militaro-policier, à la violence des manifestants pacifiques pour décrédibiliser leur démarche, leurs revendications légitimes, a permis à Darmanin de demander la dissolution des Soulèvements de la Terre et de marteler que la violence n’avait pas sa place dans les mouvements de protestation. Sans nul doute préfère t-il des manifestations qui ressemblent à des processions religieuses, où l’on remet la statue de la Vierge à sa place au milieu de l’église.

L’activisme exclusivement non-violent est complice des échecs des mouvements sociaux ou révolutionnaires. Cette manœuvre d’opposer non-violence et violence pour éteindre tout soulèvement populaire est maîtrisée par les appareils étatiques et leurs services de renseignements et policiers. Elle a été magistralement démontrée et théorisée en 2005 par le philosophe activiste et anarchiste américain, Peter Gelderloos, dans son livre Comment la non-violence protège l’État : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux.3 Il y montre à l’aide de référence historiques du XXe siècle que la non-violence exclusive est étatique, raciste et patriarcale, que les mouvements sociaux qui se basent sur cette vision exclusive sont très largement inefficaces, noyautés par des militants des classes favorisées et généralement blanches qui cherchent à maintenir les structures dominantes en place. « La contradiction qui traverse le pacifisme ouvertement révolutionnaire réside dans le fait qu’une révolution n’est jamais exempte de danger, tandis que pour la grande majorité de ses promoteurs et de ses pratiquants, le pacifisme consiste à rester en sécurité, à ne pas se blesser, à ne s’aliéner personne, à ne décevoir personne4 […] Je ne dis pas que tous les pacifistes sont des fanatiques et des vendus, qui n’ont aucun mérite, et qui n’ont pas leur place dans un mouvement révolutionnaire. Beaucoup de pacifistes sont des aspirants révolutionnaires bien intentionné n’ayant pas réussi, simplement, à dépasser leur conditionnement culturel [de blancs privilégiés], qui les pousse à percevoir la moindre attaque contre le Dieu-État comme un sacrilège. »5 Selon les activistes du pacifisme, la violence (illégitime) d’un mouvement ne peut qu’engendrer la violence (légitime) de l’État. Plutôt que lutter contre les violences d’où qu’elles viennent, il faut, selon Peter Gelderloos, lutter contre les hiérarchies et l’autoritarisme, tant celui des dominants que celui qui peut régner dans les partis, les syndicats, les collectifs de militants et d’activistes. Plutôt que de s’enfermer dans cette idéologie non-violente qui fait le jeu de l’État et de tous les gouvernements pour faire échouer ou dissoudre par épuisement des mouvements de protestation populaire massifs, Gelderloos préconise de rester ouvert à une « diversité de stratégies attaquant l’État [ou d’autres dominations] depuis plusieurs angles ». Les actions des Soulèvements de la Terre tentent d’appliquer cette tactique, autant dans son combat contre les dérives de l’État que contre le grand capitalisme prédateur et le fascisme rampant. Le collectif mêle désarmement d’installations, blocages, diversité des cortèges de mobilisations en fonction des possibilités (physiques, légales...) et des volontés d’actions des militants, avec une décentralisation et une horizontalité des décisions. La diversité des tactiques offre une palette d’actions adaptables à la violence et à la puissance de l’adversaire. Elle va de la désobéissance civile et pacifique à la destruction (désarmement) de structures matériels néfastes et à la résistance armée, ainsi que de nombreuses méthodes intermédiaires, avec pour priorité de « maximiser le respect de la vie ». Malcom X en a été le premier inspirateur face au pacifisme attribué à l’action de Martin Luther King.

La non-violence inopérante contre les violences du capitalisme

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Manifestation anti-fasciste devant le Capitol à Washington en 2008. © Ben Schumin

La non-violence est inopérante contre les violences systémiques du capitalisme. Le capitalisme se veut, de premier abord, pacifiste, arguant que le commerce réciproque permet d’apaiser les tensions et que la guerre n’est, dans un premier temps, pas bonne pour la continuité des affaires, qu’elle détruit du capital et du patrimoine. Cela a été sans doute vrai lorsque l’homme s’est initié au troc et qu’il y avait réellement réciprocité dans les échanges. Aujourd’hui le capitaliste pur et dur, tels Donald Trump ou Elon Musk, est un prédateur plein d’ambiguïtés et de ruse qui anesthésie ses proies. Trump dit n’être pas un va-t-en-guerre et vouloir régler les conflits en moins de temps qu’il ne faut pour l’ordonner. Sauf que Trump et ses sbires mènent une guerre violente avec d’autres armes, celles du fric, des oukases économiques, du chantage pour rafler la mise des ressources minières, armes aptes à mettre à genoux des peuples entiers, étant donné la puissance américaine. Le capitalisme est une machine de guerre qui réprime, esclavagise, discrimine, tue. Il trouve plus facilement appui auprès de dictatures et des pouvoirs religieux, alors qu’il clame être entravé par les démocraties et leurs réglementations qu’il juge iniques… pour son bizness. Enfin, la guerre, même si elle a quelques inconvénients pour le patrimoine des nantis, dope le potentiel du complexe militaro-industriel, pour preuve l’explosion de ses valeurs boursières actuellement. Puis, la guerre ayant forcément une fin par épuisement, le boum de la reconstruction est une opportunité qui crée des cohortes de nouveaux riches. La non-violence et le pacifisme sont-ils des réponses efficaces à cette ultra-violence du capitalisme ? L’état de la planète et les victimes toujours plus nombreuses de la catastrophe en cours sont évidemment là pour témoigner que les mouvements pacifiques pour sauver le climat, la biodiversité et la santé des populations ont échoué. « La non-violence assure le monopole de la violence à l’État. Les États les bureaucraties centrales qui protège le capitalisme, perpétuent le patriarcat, la suprématie blanche, et organisent l’expansion impérialiste survivent en s’arrogeant le rôle d’unique mandataire légitime de l’usage de la force sur leur territoire. Toute lutte contre l’oppression passe par un conflit avec l’État. Les pacifistes font le jeu de l’État en étouffant toute opposition dans l’œuf. L’État, de son côté, décourage la lutte radicale au sein de l’opposition et encourage la passivité »,6 poursuit le philosophe américain.

La Bible des horreurs

Sous notre fragile vernis civilisationnel, la violence est partout, et peut-être encore plus présente avec l’avènement des réseaux asociaux qui violent nos intimités et mettent à nu le côté sombre de l’homme du XXIe siècle. Même chez les professionnels du pacifisme judéo-chrétien, qui professent à longueur de sermon la miséricorde et recommande de tendre l’autre joue à l’agresseur, supposé en être désarmé, la violence physique, sexuelle, psychologique, se distribue généreusement dans les sacristies et les établissements d’enseignement, et pas seulement à Bétharram. Ce qui n’étonnera pas les sceptiques, la Bible comme l’histoire des religions regorgeant d’épisodes brutaux et sanglants. Doit-on pour autant la tendre cette autre joue (ou une autre partie de son corps) pour obtenir l’absolution ? Mais pour les clergés, la violence est toujours chez l’autre, chez celui qui n’est pas évangélisé à coups gifles, chez les « sauvages » que prêtres, pasteurs et imams captaient dans le sillage des colonisateurs. Chez les peuples asservis, les pacifistes sont allés à la messe, les autres se sont battus contre l’envahisseur. Tous ont échoué devant la force brutale du sabre et du goupillon. Mais les seconds ont infligé de notables pertes à leurs agresseurs et ont au moins obtenu un jugement positif dans l’Histoire. L’indépendance sera leur œuvre.

1. Végèce (Publius Flavius Vegetius Renatus) écrivain de la fin du IVe et du début du Ve siècle, auteur de Epitoma rei militaris, connu aussi sous le titre De re militari. Cette citation n’est sans doute pas de lui qui a écrit dans le prologue du livre III de son œuvre, que « c’est en période de paix qu’il faut se préparer à la guerre ».

2. Maurice Agulhon, La République de 1880 à nos jours, (1990) éd. Hachette, coll. « Histoire de France » tome 5.

3. Peter Gelderloos, Comment la non-violence protège l’État : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux, (2005) éd. Libre, editionslibre.org, 2018, pour sa traduction française.

4. Ibid., p. 86.

5. Ibid., p. 197.

6. Ibid., p. 91.

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