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Billet de blog 4 mars 2020

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Fromages coulants

Le calendos au lait cru, le vrai, vient de sauver sa peau après avoir failli être croqué par les industriels, Lactalis en tête. Mais les fromages de terroir ont bien du mal à garder leur identité. Même les labels sont à prendre avec des pincettes.

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Le pays aux 1000 fromages est en fait avant tout le pays de l’industrie fromagère, comme le relate Le Canard enchaîné: « Prenez le camembert, symbole, s’il en est, du fromage tricolore. Chaque année, 70 000 tonnes sont fabriquées à la chaîne, dans des sites ultra-robotisés. Une montagne de pâtes molles pasteurisées dont 90 % est usinée par Lactalis. » Et de préciser que l’usine Lactalis de la Manche crache chaque jour 250 000 camemberts pasteurisés.

Depuis le début des années 2010, ce géant du frometon aseptisé, premier fromager mondial (Marque Président), plombé par plusieurs condamnations (fraude, entente sur les prix en cartel, pollution, lait infantile contaminé)2 tente de ne faire qu’une bouchée de l’appellation AOP Camembert de Normandie en utilisant du lait thermisé en lieu et place du lait cru. L’Organisme de défense et de gestion (ODG) Camembert de Normandie a finalement sifflé la fin de la partie le 3 mars après des années de discussions sous tension entre industriels et producteurs de l’AOP3. Le « fabriqué en Normandie » ne pourra plus apparaître sur les camemberts industriels.

Mais si, désormais, on saura que le label AOP Camembert de Normandie garantit une fabrication au lait cru par une majorité de vaches de race normande, nombre de labels sont fantaisistes ou délivrent une information pour le moins ambiguë. Une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) portant sur 2016 et 20174 a relevé au moins un quart de « manquements à tous les stades », les fromages se trouvant en bonne place.

« L’utilisation des mentions « Cabécou de Rocamadour » et « Rocamadour des Cabécous » s’est avérée fréquente, ce qui dénote l’existence d’une certaine confusion entre le fromage « Cabécou » qui ne bénéficie d’aucun signe de qualité et les fromages bénéficiant de l’AOP « Rocamadour ». »

L’organisme relève aussi « la commercialisation de fromages « Rigotte de Condrieu », élaborés avec du lait thermisé et non avec du lait cru », comme prévu par le cahier des charges.

Sans aller jusqu’à la fraude, l’ambiguïté peut aussi servir le commerce. Prenez le Crottin de Chavignol. L’AOP agrémente son site d’une photo de chevrier suivi de son troupeau parcourant la campagne bucolique5. Peu de chance pourtant qu’en ballade entre le sud de Bourges et le nord de Sancerre, vous puissiez apercevoir des chèvres s’ébattant dans des prairies fleuries. La « Petite chèvrerie dans la prairie », ça n’existe pas. Sur les 99 producteurs de lait de l’AOP, la très grande majorité des élevages sont hors sol (zéro pâturage), alors que la chèvre est naturellement un animal dit de parcours et a donc besoin d’espaces à explorer. Et 65 des 99 producteurs de l’AOP Chavignol6 vendent leur lait à la laiterie Triballat, propriétaire de la marque Rians. Chavroux (Groupe Savencia) ou Soignon ont souvent utilisé les mêmes stratagèmes pour donner l’image au gogo de produits artisanaux du cru bien qu’au lait pasteurisé.

Illustration 1
Saisie écran site AOP Chavignol © AOP Chavignol

Mieux, le cahier des charges du Chavignol7 autorise le désaisonnement, la synchronisation des chaleurs par méthode hormonale, et n’interdit pas les OGM dans l’alimentation.

Enfin, c’est encore la saison des raclettes, plébiscitée par les Français, largement devant la fondue. Mais son fromage est en grande majorité industriel1. Seuls 18 % sont produits en Savoie et Haute-Savoie qui ont obtenu un label européen IGP (Indication géographique protégée) en janvier 2017. Pour le reste des 60 000 tonnes de raclette générique crachées par les usines françaises sur tout le territoire, outre qu’il est très difficile de tracer l’origine du lait, elles sont assaisonnées de sels de fonte, de conservateurs, de chlorure de calcium, de colorants voire d’antibiotique (E235)8 injecté dans la croûte pour qu’elle ne moisisse pas1 et 9.

Alors n’oubliez pas une petite salade pour faire passer le fromage... ou adressez vous directement à des petits producteurs locaux sur les marchés, questionnez-les sur leurs méthodes, demandez à visiter leur ferme.

Mais là aussi, gare aux bateleurs-à-béret façon terroir qui vous font les dix fromages ou les cinq saucissons à 10 balles et rappelez vous que les usines de l’agro-alimentaire débitent leurs cochonneries à longueur d’année, même pendant les vacances !

1 : Le Canard enchaîné du mercredi 26 février 2020, « Conflit de canard » p 5.

2 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lactalis

3 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/04/le-camembert-de-normandie-reste-un-fromage-au-lait-cru_6031831_3234.html

4 : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/plan-de-controle-des-systemes-de-qualite-europeens-applicables-aux-denrees-alimentaires et

5 :https://crottindechavignol.fr/

6 : Seuls 34 producteurs transforment dont 9 vendent à des affineurs et 25 vendent en direct.

7 : https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/document_administratif-79b73154-8f31-42ae-a471-864f9da92812/telechargement

8 : Natamycine ou pimaricine ou E235 est un antibiotique naturel produit par la bactérie Streptomyces natalensis (actinobactéria du genre streptomyces). C’est un fongicide (et donc un pesticide) qui est produit industriellement comme produit pharmaceutique et comme additif alimentaire, https://fr.wikipedia.org/wiki/Natamycine .

9 : Véronique Richez-Lerouge, présidente de l'association "Fromages de terroir" sur la chaîne Youtube #derrièrelétiquette https://www.youtube.com/watch?v=Ox3Vn9JUU0o

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