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Billet de blog 6 novembre 2023

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Au nom d’un dieu miséricordieux ?

La géopolitique et les guerres sont affaires, dit-on, des états et des puissances armées. C’est faire abstraction des motifs religieux manipulés par des hommes de Dieu convertis en soldats de Dieu. Le brasier israélo-palestinien, comme d’autres, est justifié par des prosélytes et attisé par des oukases recyclés de textes d’autres temps. Au prix du sang d’innocents mués en martyrs contre leur gré.

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Sur France Inter (02/11), interrogé, un colon israélien chassant le Palestinien en Cisjordanie :

‒ Dieu nous a donné cette terre, pas aux Arabes !

La journaliste passe le micro à une coreligionnaire du premier :

‒ Contre qui vous battez-vous ?

‒ Contre le diable ! répond-elle sans l’ombre d’un doute raisonnable.

Les dieux sont miséricordieux mais les hommes pieux ont leurs ennemis. Depuis soixante-quinze ans, le conflit israélo-palestinien est un sac de nœuds sanglant, un chaudron de souffrances, une mosaïque de populations innocentes prises entre loi du Talion etdjihad, sous les jougs conjugués des religieux extrémistes des deux bords qui prêchent la haine à tous les étages des minarets et des synagogues. Derrière les soudards en armes qui égorgent les enfants juifs ou les canonniers qui pulvérisent les corps d’enfants palestiniens, derrière les politiciens véreux1 ou doctrinaires persuadés de maîtriser ces danses macabres, les religieux officient à la fabrique de la haine. « Ce génocide fait sombrer nos valeurs fondamentales et ouvre sur le chaos », s’inquiète le blogueur Georges-André.2 Les victimes de génocides en raison de leur religion peuvent-ils devenir à leur tour des génocidaires ? La seule leçon qu’elles puissent en tirer est-elle le pardon ou la vengeance ? Est-il possible qu’on ne puisse que reproduire les holocaustes plutôt que de construire une paix durable envers et contre des minorités extrémistes ?

Les guerres saintes ont justifié tous les massacres, depuis au moins deux millénaires, il serait trop long ici d’en faire l’inventaire. En ce XXIe siècle de hautes technologies, de sciences avancées, de victoires sur les aléas de la biologie des corps, les religieux possédés et autres gourous ont, semble-t-il, plus d’aura et de pouvoir de persuasion que les scientifiques du Giec. Ils prospèrent sur l’ignorance qu’ils cultivent en pervertissant des savoirs durement acquis envers et contre eux. Les ravages des nationalismes fortifiés, du capitalisme mercenaire, des apprentis sorciers de la technologie, dispensant la peur de l’autre, du lendemain, de la famine, ont fait le lit des croyances obscurantistes, empreintes de racisme et de communautarismes religieux parés de barbelés moraux.

Dans la bande de Gaza, le Hamas n’a fait que ce qu’ont fait ses sanglants cousins de Daech, des Talibans, du Hezbollah : capitaliser la haine et le ressentiment sur les ruines des colonialismes, sur la misère organisée, l’humiliation et la privation de terres et de droits à vivre en paix de peuples implantés là depuis des siècles. Ces organisations terroristes revendiquent leurs assises religieuses et leur interprétation de textes qu’ils considèrent sacrés. En 1948, c’est sur la base de récits bibliques que des citoyens du monde, mais de seule confession juive ‒ la diaspora doublement millénaire ‒ ont revendiqué le droit de créer ex nihilo un état juif, expulsant les Palestiniens, généralement des éleveurs et des paysans, assimilés à des occupants illégitimes malgré leur ancrage lui aussi millénaire. Serait-ce possible de remonter aux Cananéens, les habitants de cette région à l’âge de bronze, pour revendiquer ces terres sous prétexte d’antériorité ?

Le langage diplomatique des états extérieurs au conflit parle de « situations complexes » permettant une syntaxe ponctuée de non-dits, de lâchetés, et de ne prendre le parti que de leurs propres intérêts capitalistes et/ou nationalistes. Dans les discours, il n’est jamais question de guerres de religions, expression inflammable au possible. Pourtant, derrière ce conflit Israël/Palestine, les religieux extrémistes convoquent les textes et les doctrines, savamment interprétés, pour exercer leur pouvoir de domination sur les consciences pour attiser les feux des enfers de la guerre. Ces hiérarques autoproclamés « envoyés de Dieu » (ou d'Allah, ou de Yahvé au choix) investissent le champ politique, ouvertement dans les théocraties, ou en agents d’influence dans les autres formes de gouvernements.

Les théocraties du monde musulman, divisées en multiples obédiences (sunnites, chiites, salafistes…), se livrent une guerre d’emprise sur tous les champs de bataille du Proche et du Moyen-Orient, à coups de sourates triées sur le volet de leurs obsessions et de fatwas meurtrières, comme les ingrédients de bombes à fragmenter les sociétés. Ils perpétuent les guerres saintes qui ont permis à l’islam de se répandre à partir de la Péninsule arabique au VIIe siècle, auxquelles répondront les croisades, quatre siècles plus tard. Et s’ils ne peuvent tenir directement les rênes d’un État, les organisations religieuses des mollahs, talibans et autres califes se substituent aux états le plus souvent défaillants ou répressifs. Fondations, hôpitaux, milices surarmées et entraînées, aide sociale, enseignement forcé des seuls préceptes religieux… Dans son intervention du 3 novembre dernier, Hassan Nasrallah, idéologue dogmatique du Hezbollah, s’érige en chef d’État du Liban, au nez et à la barbe d’autorités libanaises en déliquescence : « Nous disons à l’ennemi qui peut songer à attaquer le Liban ou à mener une opération préventive que ce serait la plus grande bêtise de son existence ». Les Libanais non affiliés au Hezbollah n’ont plus qu’à prier qu’il ne déclenche pas l’embrasement général.

« Que Dieu bénisse le président ! »

Ailleurs, les autocrates maintiennent très souvent leur emprise avec l’aval et la complicité des religieux.

En Russie, la très puissante et très riche église orthodoxe russe assure au tsar Poutine la paix civile intérieure par l’intermédiaire du descendant du Grand-Prince Vladimir 1er, le patriarche Cyrille (Kiríll en russe), qui n’a pas lésiné sur les propos belliqueux visant ses voisins ukrainiens, pourtant berceau de son église : « la Russie ne conduit pas en Ukraine un combat physique mais métaphysique contre les forces du mal ». Pour lui, le mariage homosexuel est le « symptôme alarmant de l’approche de l’apocalypse » et la présidence de Poutine un « miracle ».

En Inde, l’ultra-nationaliste Narendra Modi s’appuie sur les hindouistes les plus fanatiques pour exacerber un nationalisme d’épuration et soumettre les minorités, notamment musulmane. Shiva plus fort qu’Allah ? Ou comment jouer avec les concepts religieux, les ambiguïtés des paraboles : Shiva est « un dieu ambivalent, à la fois destructeur et créateur, terrifiant et bienveillant ».3 Avec à la clé, régulièrement, des pogroms interreligieux et des milliers de morts (un million lors de l’indépendance en 1947).

Au Brésil, l’extrême droitier Bolsonaro a été porté sur les fonts baptismaux du pouvoir par le puissant lobby évangéliste, qui étrennait avec lui son emprise politique et dont des représentants ont obtenu des postes de choix dans son gouvernement. « Que Dieu bénisse le président », hurlait, en 2019, le pasteur évangélique Silas Malafaias sur sa chaîne youtube. L’évangélisation et la déculturation ont modelé le pays depuis sa colonisation.

La nouvelle Turquie du rusé Erdogan « s’est installée entre islamisme et nationalisme ».4 Quand on a des tentations d’impérialisme, il est utile d’avoir les représentants du divin en soutien. Elle prend désormais en tenaille la très chrétienne (depuis dix-sept siècles) Arménie avec l’aide de la très islamique (depuis douze siècles) et dynastique dictature de l’Azerbaïdjan. Des Arméniens rodés aux génocides (1915-1923).

Si l'on remonte le temps, en 1937, le premier ministre japonais de l’époque avait évoqué une « guerre sainte » lorsqu’il a ordonné l’invasion sanglante de la Chine, puisant dans la tradition shinto (« La voie du divin »), religion d’état, pour motiver ses troupes. L’empereur, représentant des dieux, fut instrumentalisé par des officiers de haut rang très pieux pour justifier l'expansionnisme et la militarisation auprès de la population japonaise. Ils conduiront l’empire à sa chute. Aujourd’hui, les Japonais pratiquent souvent plusieurs religions (shintoïsme, bouddhisme, christianisme), on n’est jamais trop prudent.

Parfois, l’autocrate se défie du prosélytisme des religieux, de peur de voir son pouvoir phagocyté et converti en théocratie. Le putsch ne se déclenche pas seulement en rangers mais aussi coran ou bible à la main. Cela se traduit, dans un cas comme dans l’autre, par une restriction toujours plus sévère des libertés de croire, de penser et de s’exprimer. C’est le cas du putschiste5 Sissi en Égypte qui se méfie comme de la peste des Frères musulmans qui, de leur côté, étendent leur influence à l’export. Comme dit plus haut, Erdogan joue, lui, sur les deux tableaux.

Les dirigeants de démocraties ne sont pas à l’abri, marqués à la culotte par nombre d’extrémistes religieux, qui empoisonnent le débat démocratique en infiltrant les rouages de l’État et en dressant d’artificielles murailles entre communautés. Aux États-Unis, les évangélistes imposent leurs diktats sociaux la main sur la bible, monnayent leurs soutiens électoraux et réactualisent les programmes scolaires à la sauce biblique. Trump, graine d’autocrate, pécheur devant l’Éternel (vénalité, obsession sexuelle, infidélité etc) est vu comme un « élu de Dieu » par les évangéliques charismatiques qui ont un programme sociopolitique à vocation mondiale. Donald y a vu surtout les votes potentiels pour le mener à la Maison blanche.

Dans le monde chrétien, lui aussi aux innombrables obédiences et courants, on s’étripe sur fond de versets bibliques (hébraïque, grecque), ouvrages composites, aux origines et auteurs énigmatiques, recomposées à partir de multiples fragments et écrits historiques, rédigés en de multiples langues et ayant fait l’objet de multiples traductions plus ou moins fidèles. Un vrai puzzle. Chaque chapelle et temple y a choisi ses petits, composant sa raison d’être, et les clergés et pasteurs y puisent leurs arguments de prosélytisme politique. Comme dans l’Islam, ces différences d’interprétations se sont muées en conflits et hécatombes. Les religieux du monde chrétien ont fait donner du canon biblique et du canon tout court. Des croisades à l’Irlande du Nord, les tueries pour motifs religieux ont été légion en Europe. Pas moins de huit guerres civiles entre 1562 à 1598 dans le beau royaume de France, entre ultra-catholiques, catholiques modérés et protestants, menées, chapelet dans une main et épée dans l’autre, par les Guise, les Bourbon et les Montmorency dûment aiguillonnés par leurs hommes de Dieu.

Conflits d’un autre âge ?

Aujourd’hui, on pourrait considérer ces conflits sanglants d’un autre âge. Pourtant, dans un édito titré « Géopolitique des religions », Ignacio Ramonet faisait un inventaire non exhaustif assez impressionnant (Le Monde diplomatique novembre-décembre 1999),6 des conflits de cette année-là : Kosovo (orthodoxes/musulmans), Cachemire (musulmans/hindous), Timor-Est (musulmans/catholiques) et Tchétchénie (orthodoxes/musulmans). Tout en rappelant les conflits endémiques de fin de millénaire : Proche-Orient (juifs/ musulmans), Balkans (orthodoxes/catholiques/musulmans), Irlande du Nord (protestants/catholiques),7 Afghanistan (fondamentalistes islamiques/chiites et musulmans modérés), sud du Soudan (musulmans/chrétiens), Algérie (fondamentalistes islamiques/musulmans modérés ou laïcs), Chypre (musulmans/orthodoxes), Haut-Karabakh (chrétiens/musulmans), Tibet (athées/ bouddhistes), etc. Beaucoup sont toujours d’actualité, voire de nouveau en pleine éruption, vingt-quatre ans après. « La puissance modernisatrice de la mondialisation et le projet de celle-ci d’homogénéiser culturellement la plupart des sociétés du monde provoquent, un peu partout, des replis identitaires autour, en particulier, des doctrines religieuses », tente-t-il d’expliquer.

Dans ces conflits, les communications gouvernementales ou les compte-rendus médiatiques, sont passées à la moulinette du religieusement correct, histoire de ne pas être taxé d’islamophobie, d’antisémitisme, d’outrage au prophète, d’anticléricalisme, etc. Les motivations religieuses sont occultées ou remisées en explications secondaires. « La religion a longtemps été l’oubliée du champ des analyses internationales. Que ce soit au plan académique ou au plan stratégique, le fait religieux est resté à l’écart des facteurs considérés comme structurants des réalités internationales », constatait Joseph Maïla, universitaire franco-libanais et spécialiste du Moyen-Orient, dans un article de la revue Études (mai 2019).8 Dans cette même revue (novembre 2023),9 Olivier Roy, politologue et spécialiste des relations entre religion et politique, s’interroge : « comment penser la religion dans la montée des populismes ? » et plus particulièrement sur « le rôle de la religion dans les conflits contemporains, tant nationaux (avec la montée du populisme identitaire) qu’internationaux (de la lutte contre la « menace islamique » aux « accords d’Abraham »). […] Les relations entre les religions sont moins à penser en termes de conflits de civilisations qu’en termes de conflits de valeurs, leurs tendances conservatrices s’alliant contre les courants libéraux. Cette évolution favorise un glissement identitaire que l’on observe dans toutes les religions. » Le prêche a de l’avenir. Et lorsque les mots ne suffisent plus à faire taire les mécréants, les apostats, le terrorisme est là pour faire plier le bras des caricaturistes. Les religions ne sont pas les seuls prétextes pour s’étriper, mais ils ont contribué et contribuent encore à la mort violente de millions d’innocents. Est-ce la volonté du Dieu miséricordieux revendiqué ?

Enfin, dans ces clergés qui parlent d’amour pour son prochain, la violence s’exerce aussi à bas bruit dans le secret des sacristies ou des salles de catéchisme. Les papes appellent inlassablement à arrêter les massacres pendant que chaque jour révèle son lot de victimes de pédophilie et d’abus sexuels dans ses propres rangs. Paix parmi les hommes… Cette violence apparaît aussi au grand jour lorsque les droits des femmes (IVG) et des minorités (mariage pour tour, LGBT+) sont combattus avec acharnement (États-Unis, Hongrie, Pologne jusqu’aux dernières élections…). En France, citoyens de confessions juives et musulmane rasent de concert les murs par crainte d’actes hostiles en plein essor depuis le 7 octobre. Même l’écologie est source de violences religieuses. Ainsi cette nonne, revendiquant le droit divin de massacrer un coin de nature ardéchois avec la construction d’une basilique, n’a-t-elle pas hésité à plaquer au sol un militant écologiste qui voulait faire barrage de son corps.10 Si même les nonnes prennent le sentier de la guerre…

PS : Mon propos ne vise pas la foi de millions de croyants qui exercent ou veulent exercer leur recherche de spiritualité en paix avec leurs voisins. Elle fait partie de la liberté de croire et de penser. Il vise par contre les hiérarchies religieuses, essentiellement masculines (oui, les femmes n’ont pas trop le droit de citer dans ces lieux de pouvoir), qui cherchent à dominer les consciences, utilisent la manipulation ou la terreur et façonnent des prosélytes.

1. Netanyahou est poursuivi dans de multiples affaires de corruption tandis que Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, vit un exil doré entre Turquie et Qatar.

2. https://blogs.mediapart.fr/georges-andre/blog/031123/ce-genocide-fait-sombrer-nos-valeurs-fondamentales-et-ouvre-sur-le-chaos.

3. https://essentiels.bnf.fr/fr/societe/spiritualites/2a5186f9-67db-486f-8527-b00d442d1b29-hindouisme-religion-trente-trois-millions-dieux/article/c2471157-6e18-4ce3-8c4e-a3d92d3bc646-principaux-dieux-et-leurs-avatars-attributs.

4. https://www.sciencespo.fr/enjeumondial/fr/religion/part2-3.html.

5. Auteur d’un putsch en 2013 contre le président élu puis passé par des élections organisées sur mesure en 2014 avec un score d’autocrate de près de 97 %.

6. https://www.monde-diplomatique.fr/mav/48/RAMONET/55544.

7. Si l’opposition entre catholiques et protestants est aujourd’hui moins sanglante, les murs existent toujours entre communautés dans les villes d’Irlande du Nord.

8. https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-5-page-7.htm.

9. https://www.revue-etudes.com/article/comment-penser-la-religion-dans-la-montee-des-populismes/26463.

10. https://www.liberation.fr/checknews/pourquoi-une-bonne-soeur-a-plaque-un-militant-ecologiste-en-ardeche-20231017_T3H4KPKHX5EBHKY4TSBOFCKMFA/.

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