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Billet de blog 7 juin 2025

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Les nouveaux autocrates prospèrent sur les ruines sociales du capitalisme

Les démocraties, minées par le capitalisme, sa corruption, ses inégalités, sont devenues des proies faciles pour le marketing populiste des idéologies illibérales. Une nouvelle classe d’autocrates élus, portés au pouvoir par les laissés-pour-compte de ce capitalisme, utilise une mécanique d’asservissement des démocraties pour fomenter des guerres qui ne sont pas les nôtres et servir ses intérêts.

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Non seulement aucun modèle de démocratie n’est parfait, mais le principe démocratique est loin d’être un objectif universel. On compte désormais plus d’autocraties plus ou moins dures, que de démocraties dans le monde : quatre-vingt-onze régimes autocratiques ‒ un nombre en progression ces dernières années, un record depuis vingt ans ‒, contre quatre-vingt-huit démocraties. Près des trois-quarts de la population mondiale (72 %) vivent aujourd’hui sous un régime autoritaire, soit 5,8 milliards de terriens soumis au joug d’une oppression à plus ou moins grande échelle.1 Un bilan sous estimé puisqu’il a été effectué avant l’arrivée de Trump à la Maison blanche. Sa propension à gouverner presque exclusivement par décrets indique de quel côté la première puissance mondiale penche.

Au-delà des despotes historiques comme Xi Jinping, Poutine, Kim Jong-un, issus des vieilles écoles de la dictature (stalinisme, maoïsme…) ; au-delà des fachos à képis du Sud global, surgis brutalement le doigt sur la gâchette par la voie de coups d’État militaires, proliférant sur des décolonisations ratées, on assiste aujourd’hui à l’avènement d’une nouvelle classe d’autocrates, des dirigeants illibéraux démocratiquement élus, certes avec parfois l’aide de manipulations d’opinion à l’accent russe, mais par les voies (et voix) les plus légales.

Comment des sociétés démocratiques peuvent-elles porter au pouvoir des leaders, potentiels oppresseurs ou adeptes de la loi du plus fort comme les libertariens ? Les programmes politiques de ces graines d’autocrates sont populistes, caressant dans le sens du poil les laissés-pour-compte d’un libéralisme outrancier, d’un fantasmatique ruissellement des richesses. Ceux que le capitalisme productiviste et technologique classe dans les rebuts à éliminer se retrouvent désemparés et deviennent la matière malléable des desseins autocratiques. Les idéologies de ces nouveaux maîtres ‒ on parle ici d’idéologie dont le seul contenu est celui d’une prise de pouvoir le plus absolu possible et l’avènement d’une cleptocratie désinhibée ‒prospèrent sur le lit de démocraties affaiblies par un système capitaliste qui génère des fractures sociales, des inégalités de plus en plus profondes, une exploitation par le travail, une déshumanisation assimilant n’importe quel salarié à un bien meuble. Le salarié n’est plus un capital de savoir-faire, mais une charge qu’il faut réduire à sa plus simple expression sur une ligne comptable de liquidation après usage intensif. C’est un fait tangible, des usines qui crachent à flux continus les biens de consommation dans les soutes de la Chine ou de l’Inde, aux industries occidentales soumises aux lois de la productivité et d’un actionnariat avide de dividendes.

Les autocrates se voient en derniers recours

Après plus d’un siècle et demi de développement outrancier par les voies de la mondialisation, et plus de quarante ans de financiarisation cupide, le capitalisme règne sur des ruines sociales et une planète transformée en décharge. Les états n’arrivent plus à éponger avec l’argent public (celui des peuples laborieux), à la fois le subventionnement de l’entreprise capitalistique et les ravages sociaux et écologiques que cette dernière provoque. Des économistes bon teint, des sociologues habités, des politiques (même de gauche), affirmeront avec force chiffres que le niveau de vie des populations a progressé de façon spectaculaire, que la croissance est bienfaitrice et que le peuple doit être reconnaissant de pouvoir s’adonner aux addictions du progrès technologique. Sauf que la progression d’un niveau de vie matériel n’est pas forcément celle du bien-être, de l’équilibre social, ni même un progrès puisque ce dernier, pour être pérenne, se doit de ménager l’avenir. Or, l’état de notre planète (bouleversement climatique, effondrement de la biodiversité, ravages écologiques, santé compromise et premiers signes d’un déclin de la durée de vie) démontre un avenir compromis tandis que ces fléaux sont convertis en opportunités par industriels, startupeurs et autres actionnaires. Un cycle infernal qui touche en premier lieu les plus modestes, déclasse les classes moyennes, et provoquent des crises sociales.

Sur ces ruines sociales (chômage de masse, précarité, érosion de l’État social) et écologiques du capitalisme, émerge désormais un nouvel ordre politique autoritaire qui attaque directement et ouvertement les institutions démocratiques en place, imparfaites, mais sans encore d’alternatives crédibles. Un terreau toxique, mais idéal pour des forces autocratiques, surtout lorsqu’elles avancent sous le masque d’une respectabilité médiatiquement falsifiée.

Pour conquérir le pouvoir, les futurs candidats autocrates ont systématiquement un discours populiste, c’est-à-dire s’adressant aux classes populaires asservies et déclassées. Ils sont critiques du système en place et de ses représentants, profitant de l’affaiblissement de partis historiques, de gauche comme de droite, encalminés dans leur affairisme, leurs baronnies et leur conservatisme du siècle dernier. Leur discours vise ces élites du XXe siècle, coupables, selon eux d’entretenir un « état profond », occultant le fait qu’ils en sont généralement issus, à l’image de Trump. Dès le trône atteint, ils forment une nouvelle élite (mafia) cleptomane, se transformant rapidement en ploutocratie assise sur le lit des richesses publiques.

Le nationalisme pour rempart du pouvoir

Illustration 1
© Wendy Lefkowich

Les nouveaux autocrates sont aussi nationalistes et protectionnistes, pas par idéalisme, mais parce que la maîtrise du pouvoir est plus facile dans les limites de frontières que l’on peut contrôler. Et il est malheureusement aisé de mobiliser les recalés du capitalisme contre des boucs émissaires, l’immigré, l’étranger forcément « terroriste », s’il n’a pas quelques milliards à mettre sur la table (passeports dorés), et surtout sous la table. Le refuge politique ou humanitaire ne se pratique pas chez les autocrates et les bras ouverts de Trump aux nostalgiques blancs de l’apartheid n’est qu’un stratagème pour amuser la galerie des néo-fascistes américains. Ce nationalisme est aussi teinté d’ultra-conservatisme visant des minorités nées d’une libéralisation sociétale, issues de combats féministes, LGBT+…

Une fois installés au pouvoir, ces graines d’autocrates germent et mènent ce qu’il est convenu d’appeler des auto-coups d’état. Avec le même processus plus ou moins violent :

– Mise au pas des médias traditionnels, surtout s’ils sont critiques, et élimination des rétifs, usage d’une presse de propagande, censure. Un seul article critique suffit à être banni des salons de la Maison blanche à l’image de la vénérable agence Associated Press2 ;

– Mise au pas de la justice (haro sur le « gouvernement des juges »), du système éducatif (formatage des jeunes générations), purge dans l’appareil administratif qui freine les coups de tronçonneuse. Trump s’est déjà largement attaqué avec succès à ces trois piliers de l’état ;

– Contestation des processus électifs suivi d’un renoncement aux élections libres. Trump avait tenté un premier auto-coup d’État en refusant de reconnaître le résultat des élections qui l’ont vu battu à l’issue de son premier mandat, lançant l’assaut sur le Capitole pour tenter d’empêcher la transition ;

– Contrôle de la société civile : interdiction des manifestations, régime d’exception permettant une surveillance rapprochée et utilisation des forces de l’ordre comme outil répressif Trump a annoncé la couleur à plusieurs reprises avec la menace de mobilisation de la Garde nationale contre des mouvements protestataires qu’il estime dissidents ;

– Élimination des oppositions par privation d’accès aux médias, guérilla juridique, procédures baillons ;

– Culte de la personnalité (ma binette et mes saillies partout!) ;

– Corruption, clientélisme entre élites de bonne famille : les bonnes affaires de la famille Trump au gré des déplacements diplomatiques ne sont un secret pour personne.

Toutes les prémisses d’un régime autocratique se retrouvent dans les premiers mois du règne de Donald Trump avec son impressionnante liste de décrets discrétionnaires, véritable logorrhée conservatrice.

La danse des requins

La marche vers un pouvoir fort, voire quasi absolu, n’est toutefois pas de tout repos. Les candidats autocrates doivent financer leur montée des marches et s’allier le pouvoir du capital, qu’il soit propre ou sale, mais qui coule à flots avec reconnaissance de dette sur la politique pro bizness qui devra être menée. Il est intéressant d’observer la danse des requins que se livrent, autour du pouvoir étatique, les autocrates idéologiques et avides de pouvoir, et les oligarques imprégnés de libertarianisme économique. À l’exemple du couple Trump-Musk, tellement attendrissant mais désormais défunt. Le premier oriente le pays vers un nationalisme économique avec interventionnisme de l’État fédéral (politique fiscale très accommodante), un conservatisme proche de l’extrême droite, voire des suprémacistes, et un état militarisé fort. Le second est un businessman libertarien qui veut réduire l’état à la portion congrue et laisser libre cours au capitalisme débridé. Comme tout capitaliste qui se respecte, il conchie l’impôt sur ses activités économiques et sa fortune mais ne refuse pas l’argent public subventionnant ses projets délirants (prime à l’achat des Tesla, objectif Mars de Space X pour ses copains argentés)3. C’est en fait deux visions opposées de l’utilisation du pouvoir et cela ne peut que clasher : le divorce entre Trump et Musk est pétaradant, même si les posts incendiaires des réseaux asociaux (ils possèdent chacun le leur) sont moins bruyants que de la vaisselle brisée. Et ça reste plus soft que chez Poutine ou chez Xi, où défenestrations, disparitions, empoisonnements sont des méthodes de résolution de ce genre de conflit.

La marche discrète des ultra-conservateurs

Un autre danger pour les démocraties est en train d’émerger avec des personnalités plus discrètes que le flambeur de la Maison blanche ou le futur martien. Le couronnement de l’empereur Trump a vu l’allégeance obséquieuse des oligarques 3.0 de la Silicon Valley, réputés « progressistes ». Comme présent déposé aux pieds du monarque, ils ont sabré avec enthousiasme dans les programmes « diversité » dont ils se gargarisaient autrefois et versé leur écot. Mais dans un autre coin plus sombre de cette galaxie de la tech, dont Elon Musk est le trou noir central le plus puissant, il y a ce qu’on désigne comme la « mafia Paypal ».4 Dans une mise en scène digne du Parrain, le nom vient de la photo de treize hommes blancs, parue en 2007, tous liés à l’entreprise Paypal et qui sont à l’origine d’une galaxie de start-ups qui triomphent aujourd’hui au Nasdaq, la bourse new-yorkaise de la tech. L’entreprise de services de paiements s’est illustrée, par exemple, en coupant les vivres aux Palestiniens et aux pacifistes israéliens tout en permettant à des groupes d’extrême droite américains, comme le Ku klux klan de se financer. Un indice de l’état d’esprit des deux parrains de l’entreprise et présents sur la photo que sont Peter Thiel et Elon Musk. Le premier est un investisseur milliardaire ultra-conservateur, individualiste forcené et pur libertarien, plutôt discret. Conseiller de Trump lors de son premier mandat, il est à l’origine du projet Enhanced visant l’organisation de compétitions sportives autorisant le dopage, « pour plus d’équité ». Il est aussi l’un des fondateurs de Palentir technologies, un géant du Big data, un ogre qui avale des quantités phénoménales de données publiques ou privées pour les mettre au service de multinationales, d’agences gouvernementales (défense, armée, renseignements). Un outil de pouvoir opaque mais diablement efficace pour mettre des populations entières sous tutelle. Cette galaxie d’ultra-droite richissime, une sorte de confrérie techno-fasciste, infiltre le pouvoir, planquée dans le sillage d’un Trump exubérant, en positionnant et sponsorisant à la vice-présidence, un personnage encore plus dangereux pour la démocratie et les libertés, J.D. Vance. Un placement que Thiel espère gagnant en vue de l’après-Trump.

La démocratie française attaquée de l’intérieur

Thiel a fait des petits en Europe à l’image du trop discret Pierre-Édouard Sterin, la dimension grenouille de bénitier en plus. Ce catho radical, adepte de la messe en latin, admirateur de Trump, Musk et Thiel, milliardaire grâce à la Smartbox, et aujourd’hui investisseur dans la tech, vise rien de moins que le pouvoir en finançant sa conquête par le RN avec l’appui de tout ce que compte la France de fachos, Zemmour, Le Pen, Ciotti, Wauquier, Retailleau, Maréchal… 5 & 6 Il s’incruste dans les médias pour laisser infuser ses idées ultra-conservatrices, avec toutefois moins de succès que son ami Bolloré, du moins pour l’instant. Il fonde les Nuits du bien commun pour collecter des fonds et ainsi financer une galaxie catho-conservatrice d’établissements éducatifs privés et d’associations proches notamment de la Manif pour tous, des anti-avortement… 7 Il a créé un fonds caritatif avec sa fortune, dans le même but, la défiscalisation en plus ‒ ce qui ne l’empêche pas d’être exilé fiscal en Belgique. Mais son plan de bataille pour la conquête du pouvoir se nomme Périclès. Un projet dans lequel Stérin injecte 150 millions d’euros sur dix ans pour faire monter le RN dans « 300 grandes cibles urbaines ». Bien entendu, les municipales sont une cible prioritaire.

Après être allés se former auprès de Victor Orbán, l’autocrate hongrois, les cadres de Périclès s’inspirent également des mouvements religieux conservateurs (notamment protestants et évangélistes) et libertariens américains qui ont porté Trump au pouvoir, comme la Heritage Fondation, l’assise idéologique du programme trumpien.

Tous ces bienfaiteurs de l’humanité feront de bons autocrates. Les moyens qu’ils mettent sur la table pour conquérir les consciences sont d’autant plus efficaces que les dégâts sociaux des crises à répétition du capitalisme moderne et financiarisé sont plus étendus. Les perdants du capitalisme ultra-libéral sont dès lors plus réceptifs aux messages populistes, aussi efficaces qu’une joyeuse pub télévisée pour un organisme de crédit auprès d’un public qui n’arrive pas à boucler ses fins de mois.

Les métastases universelles du néo-fascisme

Ailleurs, les exemples de dérives autocratiques dans des pays à la démocratie ancienne ou récente sont de plus en plus nombreux si on se réfère au bilan cité plus haut. Hongrie (Orbán), Tunisie (Saïed), Algérie (Tebboune), Égypte (Sissi), Turquie (Erdogan), Argentine (Milei), Slovaquie (Fico) Israël (Netanyahu), Brésil (Bolsonaro), Inde (Modi), etc. la liste s’allonge d’année en année. Si la fraude électorale peut y être très présente, il faut bien admettre qu’ils ont obtenu leur pouvoir par les urnes. Certains se rassureront en affirmant que l’on n’est pas en présence de régimes totalitaires. C’est se cacher la face. L’État social y est démanteléet, l’État démocratique est mis en coupe réglée. Les populations souffrent tellement des dégâts sociaux du capitalisme, pour certains post-coloniaux, ainsi que des instabilités créées par ses crises (internes ou externes) successives, qu’elles votent pour une promesse de stabilité et d’institutions fortes, voire militarisées. À l’exemple de ces Français réclamant la mobilisation de l’armée dès les premiers feux allumés dans les banlieues ou de cette population russe, qui n’a pas eu le temps d’expérimenter la démocratie, est nostalgique du soviétisme et se place délibérément sous le parapluie étouffant de Poutine.

Tout sauf le chaos. Les promesses illusoires et publicitaires du capitalisme ne fonctionnent plus. Faute d’un autre projet démocratique, ces électeurs perdus misent sur ces nouveaux maîtres, forts en gueule et portant beau. Au moment de la Révolution française, le concept de démocratie s’est opposéà celui de l’aristocratie. Aujourd’hui, la nouvelle aristocratie autocratique, ultra-capitaliste, piétine les démocraties gangrenées par les vieux intérêts capitalistes et les baronnages.

Ce qui n’exclue pas de violents conflits entre les autocrates, dotés de la puissance financière des états, et les libertariens extrémistes du capitalisme sauvage. Le choc des titans entre le chef de l’État le plus puissant du monde et l’homme le plus riche du monde est un spectacle digne d’un Koh-Lanta élitiste. Si l’issue en est incertaine, les victimes, elles, sont déjà identifiées : les peuples.

1. https://v-dem.net/documents/54/v-dem_dr_2025_lowres_v1.pdf. Cet institut indépendant a basé son étude sur 202 pays depuis 1789 avec 600 critères démocratiques examiné par 4200 experts.

2. https://www.franceinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/golfe-du-mexique-au-lieu-de-golfe-d-amerique-l-agence-ap-bannie-du-bureau-ovale-et-de-l-avion-presidentiel-air-force-one_7076271.html.

3. https://www.latribune.fr/economie/international/tesla-et-spacex-ces-contrats-et-subventions-qui-lient-elon-musk-et-le-gouvernement-americain-1026755.html.

4. https://businessmodelanalyst.com/fr/la-mafia-paypal/.

5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-%C3%89douard_St%C3%A9rin.

6. https://france3-regions.franceinfo.fr/normandie/eure/evreux/qui-est-pierre-edouard-sterin-ce-milliardaire-d-extreme-droite-qui-fait-polemique-a-rouen-et-ailleurs-3166068.html.

7. La résistance s’organise toutefois contre ces sauteries qui visitent toutes les grandes métropoles françaises avec des manifestations de plus en plus conséquentes. La prochaine doit avoir lieu le 18 juin à Toulouse (https://toulouse.lanuitdubiencommun.com/ ). Comme à Nantes dernièrement, une protestation massive y est en préparation.

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