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Billet de blog 9 juin 2023

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Comment faire sécession : expérience anarchiste en cours 2/3

Les riches font sécession en se réfugiant dans leurs bunkers dorés ? Devant le séisme climatique et écologique, il est temps pour les peuples prolétaires exploités de faire eux-mêmes sécession de ce système de servitudes, de resocialiser, relocaliser et d’inventer une contre-société d’émancipation. Les Soulèvements de la terre constituent une expérience anarchiste fertile.

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Climat : pour sauver notre peau, faisons sécession (1/3)

(2/3) L’Institut des politiques publiques vient de confirmer un faisceau d’indices et de preuves empiriques plus que concordants : plus ils sont friqués, moins ils paient d’impôts.1 Les ultra-riches, qui ont fait leurs fortunes sur la servitude de millions de prolétaires et de paysans, enjambant les frontières fiscales avec leurs jets et leurs bataillons d’avocats fiscalistes, s’extraient avec mépris des contingences sociales et font sécession. Ils bâfrent sur le pont supérieur de leur yacht et ne veulent surtout pas savoir ce qui se passe dans la soute du moment que le moteur tourne.

Pire, cette caste économique dominante l’est aussi sur le plan politique, leurs magots, et donc leur pouvoir d’influence, étant plus importants que le PIB de la plupart des états. « Ils se croient les maîtres du monde, mais personne ne les a élus. Ce ne sont pas des dictateurs et ils nous prient de les nommer " bienfaiteurs " », constate l’éditorialiste du Monde, Philippe Bernard.2 Ils infiltrent les structures de l’État avec leurs sherpas pantoufleurs, ces technocrates qui balancent entre privé et public, enrichissant à chaque passage leur carnet d’adresse. Le système représentatif, phagocyté par une bourgeoisie professionnalisée et carriériste ‒ une expérience professionnelle désormais comme une autre3 ‒, met le législatif au service de cette œuvre capitaliste, tandis que l’État et ses pouvoirs administratif et policier, se chargent de mettre au pas toutes les franges récalcitrantes de la population, qui refusent de se mettre au service des objectifs infinis de croissance économique.

Qui est l’éco-terroriste ?

Une quinzaine d’activistes écologistes, qui ont participé au désarmement d’une installation du géant mondial du béton Lafarge-Holcim au nord de Marseille, viennent d’en faire les frais. Rien de moins que la sous-direction anti terroriste (SDAT) pour un coup de filet national, quasi militaire, contre de dangereux individus, accusés de « dégradation ou destruction par moyen dangereux en bande organisée » contre cette cimenterie. Si trois militants ont été aussitôt relâchés, les douze autres ont vu leur garde à vue prolongée, au même titre que de vulgaires terroristes à kalachnikovs. Darmanin, auteur du néologisme d’éco-terroriste a mis ses menaces à exécution.

En matière de terrorisme, Lafarge, qui a porté la plainte à l’origine d’une information judiciaire, a comme le ministre de l'Intérieur sa propre conception du terrorisme et les fréquentations sélectives. Le groupe français a été croqué en 2021 par le suisse Holcim après avoir été pris la main dans le sac en train de fricoter avec Daech pour pouvoir continuer son bizness en Syrie.4 Et côté éco-terrorisme, le groupe franco-suisse multiplie les carrières, inonde la planète d’environ 200 millions de tonnes de ciment (ingrédient clé du béton) chaque année, et est un des plus gros émetteurs de CO2.5

Le désastre climatique et écologique est sans aucun doute le fruit amer et toxique de ce capitalisme, sans retenue ni éthique, prédateur de ressources naturelles et de vies humaines, colonisant les esprits et suppliciant les corps, au seul bénéfice illégitime d’une tribu dominante de milliardaires. Les marchands d’armes, actuellement en pleine euphorie, ne diront pas le contraire.

Comment faire face à ce capitalisme monstrueux ? Comment s’extraire de ce réalisme capitaliste6 dont le principal argument propagandiste est de nous asséner un « there is no alternative », il n’y a pas d’alternative. Un mantra qui fait bible, saturant les espaces politique, publicitaire, médiatique pour nous empêcher de penser une alternative ou conjurer toute intention sécessionniste.

Or, devant les échecs patents de l’écologie politique et de la Gauche sociale, engagées dans la course à l’échalote du pouvoir et de ses strapontins, notre salut se trouve sans aucun doute dans un sécessionnisme populaire. Nous devons décoloniser nos esprits6, nos imaginaires, et sortir de cette aliénation consumériste ‒ I can’t get no satisfaction ‒, pour nous réapproprier nos vies et nos avenirs.

Les Soulèvements de la terre nouveau laboratoire d’émancipation

Dans cette optique, l’expérience des Soulèvements de la terre est sans doute l’expérimentation anarchiste la plus enthousiasmante depuis fort longtemps dans nos contrées balisées par un État omniprésent et une organisation sociale shootée à la consommation. Les Soulèvements de la terre sont nés dans le terreau fertile de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sauvée du bétonnage. Avec cette particularité d’avoir exclu toute forme d’organisation verticale, de statuts reconnus par les structures étatiques. Une association rentre dans le cadre d’une loi, celle de 1901, et reste une organisation verticale : le premier acte est de désigner un·e président·e, un·e secrétaire et un·e trésorier·ère, entraînant trop souvent des luttes de pouvoir parasitant l’action ou une gestion paternaliste. Les Soulèvements de la terre, eux, sont un mouvement protéiforme, sans leaders désignés ou auto désignés, qui a essaimé, et essaime encore, en une multitude de comités locaux7 sur tout le territoire, tous autonomes, qui eux-mêmes, réseautent avec des collectifs, des associations en lutte sur leurs lieux de vie contre des projets prédateurs de ressources communes. Leur composition humaine est fluctuante, non répertoriée, avec des membres qui se rendent disponibles à la demande, en toute liberté, avec des origines sociales diverses mais représentant une large portion de la population qui souhaite s’engager dans une forme de résistance aux castes et institutions qui promeuvent ces projets dévastateurs.

Son fonctionnement se décline du local au national en passant par le régional. Avec la spécificité d’une circulation des informations, des ressources et des énergies en toile d’araignée. Qu’un projet destructeur touche un endroit précis de la toile, cela alerte l’ensemble des points d’intersection (comités locaux), qui, par réaction, vont converger vers le point chaud de résistance. Cela fonctionne à toutes les échelles. L’ordre moins le pouvoir dans l’organisation et le nombre contre le pouvoir, pour l’efficacité dans l’action. Après la victoire de Notre-Dame-des-Landes, les mobilisations de Sainte-Soline, du contournement de Rouen ou encore sur le projet d’autoroute Castres/Toulouse ont montré toute l’efficacité de ce mode de fonctionnement libre (l’engagement est volontaire et non formalisé) et horizontal (chaque parole compte à égalité). Cette organisation d’une grande souplesse, protéiforme, en réseaux à la fois autonomes et solidaires, la rend difficilement identifiable au sens d’organisation (pas de hiérarchie, d’organigramme nominatif…) et met le pouvoir et l’appareil policier sur les dents. Darmanin veut taper fort mais ne sait pas où frapper. Le mouvement fait même l’objet d’un rapport élogieux des services de renseignements eux-mêmes : « Les Soulèvements de la Terre par leur inventivité, leur niveau d’organisation, leur force d’influence, leur capacité à mobiliser et à donner un retentissement national et médiatique aux luttes locales auxquelles ils s’associent, apparaissent aujourd’hui comme un acteur majeur de la contestation écologique radicale. » 8

On ne dissout pas un soulèvement M. le ministre

On ne dissout pas un soulèvement, titre l’ouvrage collectif du mouvement, écrit à multiples mains par intellectuels, acteurs sociaux, militants… 9 La mobilisation transgresse les frontières de classes. L’arrestation des militants (relâchés sans charges) par les services anti-terroristes et la teneur des interrogatoires10 montrent bien le désarroi de l’appareil répressif qui cherche dans l'immédiat à dessiner les contours de ce soulèvement. La pression policière sur certains militants ne peut en aucun cas abattre le mouvement de résistance à la prédation ravageuse du capitalisme que sont les Soulèvements de la terre. Impossible de remonter une échelle de responsabilités, puisqu’elles sont partagées égalitairement par des membres non encartés, disséminés dans tous les milieux et sur tout le territoire. La force du mouvement est aussi, non pas d’initier les actions, mais de venir en appui de combats collectifs locaux, de mobiliser sur le terrain des moyens humains « intérimaires » en renfort, venus de toutes les régions.

L’objectif est celui du désarmement des projets et installations les plus mortifères pour les terres agricoles et espaces vivants, les plus prédateurs de ressources communes (extractivisme, eau, forêt…), les plus nocifs pour la santé des populations, tous remettant en cause notre avenir en commun. Les modes d’action sont à la fois fluctuants et ciblés et visent clairement à ralentir puis stopper la marche des bulldozers, goudronneuses et autres bétonneuses. Cela doit aussi remettre en cause la légitimité de ces chantiers, légitimité accordée par un système politique et étatique dévoyé par son fonctionnement professionnalisé et infiltré par les intérêts privés d’une riche minorité.

Retrouver de la démocratie

Cela ne veut pas dire que le mouvement se construit dans la facilité. Expérimenter une démocratie intégrale dans un cadre anarchiste n’est pas exempt de difficultés opérationnelles. L’émancipation est un apprentissage d’autant plus difficile que nos imaginaires sont endoctrinés, sclérosés, par la propagande marketing du capitalisme de consommation d’une part, et par les idéologies politiques dénaturées par les luttes de pouvoirs d’une poignée de politiciens·ennes professionnels·elles d’autre part. Les Soulèvements de la terre sont nés dans le laboratoire de Notre-Dame-des-Landes après d’intenses échanges. Dès la menace de dissolution du ministre de l’Intérieur, à l’appel du Mouvement, des groupes de personnes se sont constitués dans l’urgence marquant leur exaspération devant le blocage du système alors que les catastrophes environnementales et les alertes rouges se succèdent à une allure exponentielle. Le caporalisme de Darmanin motive plus qu’il ne dissuade.

Les premières réunions d’un comité local oscillent entre le désir d’agir devant l’urgence, d’apprendre à se connaître, d’établir des liens humains, et dessiner une organisation. Si le recensement des projets destructeurs et prédateurs de ressources ne pose pas de problème, les débats sur les prises de décision, et donc sur le processus démocratique à mettre en place, sont intenses et fertiles. Et difficiles à trancher. Même si le thème a été défriché par de nombreux penseurs et philosophes majeurs depuis l’Antiquité, tout comme dans les milieux anarchistes depuis un siècle, la formule magique n'existe pas. Mais des débats qui sont la base même de l’émancipation. La définition du philosophe Paul Ricœur illustre bien le processus à l’œuvre : « Est démocratique une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, dans l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage. »

Les Soulèvements de la terre sont donc un extraordinaire laboratoire populaire d’organisation anarchiste et égalitaire, de résistance, d’émancipation, l’objectif immédiat étant avant tout de stopper l’agression politico-capitaliste. Après les victoires de la résistance devra venir le temps d’une construction sociale alternative (Ce sera l'objet de mon prochain billet). « Les Soulèvements de la terre : nouvelles têtes pensantes de l’écologie politique ? » interroge Guillaume Erner sur « France culture » 11.

On ne dissout pas un soulèvement

1. : https://www.ipp.eu/actualites/quels-impots-les-milliardaires-paient-ils/.

2. : Philippe Bernard revient sur un autre outil d’influence des politiques publiques qu’ils utilisent : la philanthropie. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/29/il-faut-imaginer-des-moyens-de-controler-la-propension-de-milliardaires-a-se-substituer-aux-etats_6147849_3232.html.

3. : https://www.slate.fr/story/247571/vie-politique-francaise-annexee-marche-emploi-gouvernement-societe-civile-experience-image.

4. : https://www.mediapart.fr/journal/international/250423/la-multinationale-les-terroristes-et-la-grenouille-les-secrets-de-la-chute-de-lafarge-en-syrie.

5. : En novembre dernier, peu après la COP27, Macron a reçu à l’Élysée les 27 entreprises les plus polluantes de France, Lafarge et Total en tête de peloton.

Pour le poids écologique du béton, voir https://www.geo.fr/environnement/le-beton-ciment-troisieme-pays-des-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-206744.

6. : Décoloniser l’imaginaire de Serge Latouche, éd. Parangon/Vs.

7. : Le 28 mars, Darmanin annonçait son intention de demander la dissolution des Soulèvements de la terre. Trois semaines plus tard, plus d’une centaine de comités locaux avaient déjà émergé, sans doute plus du double aujourd’hui auxquels s’ajoutent des centaines de points relais ou lieux « amis ». https://lessoulevementsdelaterre.org/comites/des-dizainesdecomites-soulevements-de-la-terre-naissent-partout-en-france.

8. : https://lundi.am/Le-rapport-complet-des-renseignements-francais-qui-fait-l-eloge-des .

9. : On ne dissout pas un soulèvement. 40 voix pour les Soulèvements de la Terre, ouvrage collectif (éd. Du Seuil, 11,50€, Les droits d’auteur de ce livre sont versés aux Soulèvements de la Terre) avec la participation de Geneviève Azam, Jérôme Baschet, Aurélien Berlan, Blue Monk, Christophe Bonneuil, Isabelle Cambourakis, Confédération paysanne, Alain Damasio, Des cantinières et cantiniers de l’Ouest, Philippe Descola, Virginie Despentes, Alix F., Malcom Ferdinand, David Gé Bartoli, Sophie Gosselin, Florence Habets, Lea Hobson, Celia Izoard, François Jarrige, Léna Lazare, Julien Le Guet, Cy Lecerf Maulpoix, Martine Luterre, Marcelle et Marcel, Virginie Maris, Tanguy Martin, Gaïa Marx, Baptiste Morizot, Naturalistes des Terres, Kassim Niamanouch, Lotta Nouqui, Alessandro Pignocchi, Geneviève Pruvost, Kristin Ross, Scientifiques en rébellion, Isabelle Stengers, Françoise Vergès, Eduardo Viveiros de Castro, Terra Zassoulitch et des dizaines d'organisations internationales. https://www.seuil.com/ouvrage/on-ne-dissout-pas-un-soulevement-40-voix-pour-les-soulevements-de-la-terre-collectif/9782021547269.

10. : https://www.mediapart.fr/journal/france/080623/militants-ecologistes-arretes-tous-relaches-et-apres.

11. : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/les-soulevements-de-la-terre-nouvelles-tetes-pensantes-de-l-ecologie-politique-7450490.

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