Pendant que Lou Bayrou, futur ex-Premier ministre, dinosaure de la politique professionnelle franchouillarde, pointait d’un doigt accusateur, presque rageur, plusieurs catégories de la population coupables, selon lui, de dilapider l’argent public et de creuser la dette du pays ; tandis qu’il lançait, à qui acceptait encore de l’entendre, vouloir adopter un langage de « vérité » sur un soi-disant surendettement du pays, tel un vulgaire chargé de compte bancaire tançant son client prolétaire qui dépasse de quelques piécettes son découvert pour nourrir ses enfants, il évitait de rendre un bilan sur cinquante années (un demi-siècle) de décisions politiques de ceux (lui compris) qui ont gouverné, souvent bien loin de leurs promesses électorales.
C’est qu’ils (de droite comme de gauche) n’étaient pas seuls à décider. L’entrisme des grands capitalistes du pays, voire d’ailleurs, et des lobbies ‒ telle la FNSEA ‒ dans les sphères du pouvoir leur a permis de favoriser leur bizness, leurs intérêts et ceux de leurs actionnaires avec un taux de connivence indécent. La politique de l’offre, voulue par un Macron qui n’en démord pas, parce que ambassadeur des intérêts du capitalisme français, a fait basculer le pouvoir du politique vers les intérêts économiques. Elle est sensée stimuler la production quel qu’en soit le prix, pour espérer des embauches, des cotisations, et une vitrine de startup nation. Mais elle est demande aussi impérativement une baisse drastique des coûts, salaires et cotisations sociales. L’argent public ruisselle sur les grandes entreprises, des subventions qui s’apparentent le plus souvent à des dons, un véritable tonneau des Danaïdes puisque l’État administratif et les gouvernements successifs ont et sont toujours incapables de dénombrer, et ces aides publiques et leur montant exact. C’est comme un cours d’eau saisonnier qui s’engage dans une zone sableuse et sèche : il y a beaucoup de pertes en route (les dividendes, les salaires de plus en plus pantagruéliques des grands patrons) et il n’atteint presque jamais l’autre côté du désert, ou alors au compte-goutte. La non comptabilité de ces aides publiques s’accompagne généralement d’une absence de contre-parties et de règles fluctuantes, de toute façon rarement contrôlées. Le nombre d’entreprises à capitaux multiples qui ont encaissé des subventions pour finalement se faire la valise à la moindre baisse de rentabilité sont légions. Autant de dépenses à fonds perdus pour l’État et le peuple. Et puis il y a les grands hold-up comme la privatisation des autoroutes ou de l’eau, l’optimisation et l’évasion fiscales, les ententes sur marchés publics… Un manque à gagner de dizaines de milliards pour les finances publiques et une charge supplémentaire pour les usagers ‒ dont les boomers qui ont financé par leurs impôts les grandes infrastructures.
Alors non, M. l’ex-Premier ministre (et celui ou celle qui lui succédera), la dette de la France n’est pas celle des travailleurs et travailleuses, notamment ceux que vous encensiez pendant le Covid. Ce « pognon de dingue », emprunté sur les marchés du grand capital et reversé sans condition à ce même grand capital est VOTRE dette et celle de tous ceux qui vous ont précédé. C’est celle des décisions politiques irresponsables de ces dernières décennies, celle de la collusion entre deux mondes de pouvoir qui n’en font plus qu’un : le politique qui a choisi les intérêts particuliers de l’élite capitaliste contre ceux du peuple et des Communs, et le grand capital prédateur dont la puissance financière a décuplé, lui octroyant le pouvoir du chantage à l’emploi et d’un supposé prestige économique. La dette est l’un des moteurs du système capitaliste et sa principale arme de confinement des peuples et de leurs institutions dans des règles exclusivement définies par ce même système.
Sénescence de la Ve République
C’est aussi la sénescence, à la limite de la décomposition, du régime de la Ve République. Rappelons-nous que cette dernière a été créée par un militaire (avec l’aide de Debré) et à sa dimension. Mon-Général ne supportait plus cette cour de récréation parlementaire qu’était la IVe République et voulait remettre tout ce petit monde au garde-à-vous, confiner le communisme pro-stalinien et mater le putsh d’Alger. Les constitutionnalistes qualifient ce régime de semi-présidentiel, parce que le pouvoir exécutif du président et de son Premier ministre est censé être équilibré par le pouvoir législatif dont les élections sont couplées aux présidentielles. Dans les faits, le locataire de l’Élysée s'est arrogé un pouvoir étendu, surtout lorsqu’il est servi par une majorité dévouée à sa vision. Qui se transforme en un pouvoir quasi absolu lorsque qu’il n’a plus de majorité du tout. Macron se voit toujours comme l’homme fort du pays et il s’obstine dans sa politique et son idéologie économique, rejetées par la grande majorité. Sa politique de l’offre a un coût exorbitant pour les finances publiques, mettant le peuple français sous emprise des créanciers du capitalisme financier. Mais il compte toujours la faire payer à ceux qui n’en bénéficient pas. Son ministre de l’Intérieur a d’ailleurs donné l’ordre de protéger à tout prix les « symboles du capitalisme » devant la vague populaire et protestataire qui va déferler. Cela veut-il dire sauver le roi ?
Nota : les lecteurs me pardonneront de ne pas avoir listé, faute de temps, les nombreuses références appuyant les affirmations de ce billet. Mais elles sont facilement repérables sur internet en sélectionnant les sources fiables. Je n’ai pas voulu non plus inonder ce billet de chiffres, la valse des milliards, dans le brouhaha politico-médiatique, n’ayant plus beaucoup de sens pour le commun des mortels que nous sommes.