La valse des représentants de commerce politique a commencé avec pour objectif le pouvoir élyséen en avril 2022. Chaque candidat, candidat à la candidature ou candidat putatif s’adresse à la cantonade pour vendre ses promesses de lendemains qui chantent et anesthésier tout esprit critique. Ils vont de foyer en foyer, le pied dans la porte médiatique, proposant à chaque électeur potentiel de se décharger de toute responsabilité à leur profit : « ne vous inquiétez de rien, on s’occupe de tout ». La négation d’une démocratie directe.
Le terme de démocratie a été employé en 1791 par opposition à celui d’aristocratie, dêmos désignant par extension l’ensemble des citoyens libres, aristos traduction du « plus fort », de l’élite, et kratein « commander », diriger. Le gouvernement par le peuple contre le gouvernement par l’élite. La noblesse n’est plus mais c’est bien une aristocratie de hauts fonctionnaires, d’énarques, de professionnels de la politique qui dirigent et dominent ce pays avec l’aide de cabinets de conseils affairistes, de communication, de sondages. L’utilisation, désormais massive, des moyens policiers de répression, de fichage, de surveillance, de contraintes, parachève le verrouillage du pouvoir. Emmanuel Macron, un président monarchiste dans son exercice solitaire de ce pouvoir (voir le pays en quête de sa parole péremptoire de ce mardi soir), a une carrière d’énarque, d’inspecteur des finances et de banquier d’affaire qui ne prédispose pas à la nuance humaniste et à l’élaboration d’un projet populaire. Sur le plan politique, ses convictions se sont diluées de la sociale-démocratie (encore une expression impropre) à la droite libérale, au gré de ses ambitions et des intérêts de ses coreligionnaires et financeurs.
Élections déresponsabilisantes
Pour l’enseignant-chercheur en science politique et anarchiste québécois Francis Dupuis-Déri,1 les élections d’un régime représentatif, censées traduire une volonté collective, mettent en réalité en place des élites minoritaires qui se retrouvent en roue libre dès le pouvoir en main, accrochés à leurs objectifs de carrière et garants des intérêts du monde capitaliste qui les sponsorisent. Car la sélection se fait d’abord par le coût des campagnes électorales et le poids du lobby financier qui les sous-tend. Des lobbies que l’on retrouve dans les coulisses du pouvoir, de septennats en quinquennats, en visiteurs du soir à l’Élysée ou dans les ministères, en rédacteurs des textes de lois ou en groupes de pression patronaux, du Medef à la FNSEA. Le haut pouvoir est donc affaire de réseau, tirant de concert dans le même sens, celui du système libéral et capitaliste, sans véritables contre-pouvoirs. Sénat et assemblée nationale sont pris dans les mêmes mailles du filet et les rares francs-tireurs hors partis n’y ont pas droit de cité. Dans un tel régime, où les subsides publiques sont fléchés vers les membres de réseaux, un élu libre, honnête, transparent, avec la volonté d’appliquer le programme sur lequel il a été élu, n’a aucune chance de remplir sa tâche au service de sa communauté de citoyens.
Maillon essentiel de ces réseaux de confiscation de la démocratie, les récentes grandes manœuvres de concentrations des grands médias entre les mains de milliardaires, par ailleurs premiers financeurs de la politique professionnelle, en dit long sur leur puissance. La campagne va se jouer essentiellement entre les médias de Bolloré, Bouygues, Arnault, Niel et Drahi. Au point que cela inquiète certains politiques qui pourraient ne pas être dans les petits papiers de ces faiseurs de roi et donc de n’être pas en vitrine. De son côté, comme le rapporte Laurent Mauduit,2 Macron, gouvernement et élus, détenteurs des rênes et bénéficiaires du système, jouent les vierges effarouchées en lançant des enquêtes très bridées. Ces véritables machines de guerre médiatiques sont de redoutables armes de propagande massive dans leur conquête du pouvoir. Le pluralisme de la presse n’étant plus, le peu de pluralisme démocratique ‒ a-t-il existé au regard des critères de sélection d’un tel système élitiste ?‒ s’en trouve anéanti. Et les brigades de communicants qui accompagnent les candidats maîtrisent désormais leurs prolongements que sont les réseaux sociaux de la désinformation (le pied dans la porte évoqué plus haut).
Devoir électoral culpabilisant
Devant la désaffection du corps électoral pour les urnes qui les empêchent de légitimer leur pastiche de démocratie, la communication des propriétaires de sièges électifs n’hésitent pas à culpabiliser les rétifs en brandissant le « devoir électoral » qui doit faire de chacun un électeur responsable, alors que leur seul pouvoir est de choisir entre un nombre restreint de professionnels de la représentation, sans aucune prise sur les événements post-vote. Le vote est une illusion de pouvoir. Dans un système représentatif, chaque bulletin individuel, même multiplié par millions, n’a pas plus d’influence sur une politique gouvernementale que l’addition de petits gestes, tout aussi individuels, n’a la capacité de nous sauver des flammes de l’enfer climatique. Dans la logique de la Ve République, le vote majoritaire ne sert qu’à perpétuer la domination d’une clique patriarcale et hors-sol, un pouvoir au service des grands courants de l’économie capitaliste. « Le rituel électoral permet à quelques individus de prétendre représenter le peuple ou de penser, vouloir, parler et agir en son nom, comme un fétiche ou un totem incarnerait la volonté de dieux et déesses, d’esprits de la nature ou d’ancêtres », juge Francis Dupuis-Déri. Comme un nudge3 pour guider inconsciemment le chaland vers le produit à vendre ou l’action idoine, le but est de déposséder l’électeur de sa liberté de ne pas choisir « entre la peste et le choléra », de lui passer l’envie de revendiquer une forme de démocratie réelle par le peuple.
Les prétendants au trône n’ont même plus la prétention d’une idéologie politique de droite ou de gauche, encore moins innovante, détonante. Et les programmes, pour peu qu’ils en présentent un, sont la plupart du temps un inventaire à la Prévert, une suite inconsistante de mesures, sans colonne vertébrale, c’est-à-dire sans projet qui puisse faire société avec la pleine participation de ses membres.
Un clown horrifique en embuscade
L’univers féerique de la politique représentative française se résume à :
‒ Un monde néo-libéral de la Droite macroniste des riches à la Droite Ciottiste et cynique des bourgeois de la Côte, en passant par la Droite vieux monde de Barnier ;
‒ Une Gauche éparpillée « façon puzzle », délestée de ses derniers oripeaux idéologiques et utopiques, suffisamment pragmatique pour intégrer le système castrateur de cette république tant qu’elle obtient des strapontins ;
‒ Et un clown horrifique, qui rêve d’un régime vichyste, un club de beaufs franchouillards, remugle d’une époque que les ultras du virage extrémiste d’aujourd’hui n’ont pas connu.
Car c’est bien le risque majeur qui découle de cette déliquescence des valeurs démocratiques. Face à la colonisation du pouvoir par les réseaux capitalistes, économiques et financiers, le peuple des impécunieux, spolié de ses moyens d’existence digne et de ses voix multiples et inventives pour décider de son devenir, risque de basculer du côté sombre du clown et/ou de prendre d’assaut les institutions. Ce ne sera pas qu’une simple porte de ministère défoncée avec un chariot élévateur ou un symbole comme l’Arc de triomphe mis à sac. L’assaut du Capitol qui a fait vaciller l’Amérique reste dans toutes les têtes, surtout celle du clown horrifique et de ses sbires néo-fascistes. Les revendications se multiplient et ce gouvernement craint plus que tout une flambée épidémique de mouvements sociaux, dont le détonateur pourrait être un hiver sous le joug d’une nouvelle vague de Covid et de nouvelles mesures contraignantes. En attendant, Macron joue avec le feu en misant sur un quitte ou double au deuxième tour face à l’extrême droite, vichyste ou non. Avec le risque de nous faire glisser dans de sombres perspectives. Un grand nombre de démocraties historiques ou fragiles, en Europe comme dans le reste du monde, sont en train de basculer vers des régimes illibéraux voire autoritaires. Une fois au pouvoir, à l’issue d’élections plombées par un populisme de mauvais aloi, épaulés par des forces armées ou de police et par des hommes (plus rarement des femmes) d’affaires qui mènent de véritables hold-up sur l’argent public, ces bien-mal élus mènent des quasi coups d’état en modifiant les constitutions à leur avantage, en mettant sous cloche les libertés publiques et de presse. Quand on ne bascule pas dans des parodies telle l’« élection » du clan Ortega au Nicaragua après avoir fait emprisonner tous les autres candidats. On peut aussi observer le poids des religieux extrémistes dans les arrivées au pouvoir des Trump, Bolsonaro, Duda (Pologne) ou même Poutine.
La démocratie représentative est une porte ouverte à tous les excès de domination par le pouvoir souvent d’un seul homme sensé représenter un peuple. Les alternatives de démocraties intégrales, libertaires, dans lesquelles les termes de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, sont en germes dans des expérimentations locales ou régionales, parfois même dans des zones de guerre (Rojava) ou de résistance (NDDL, Chiapas…), et dans l’esprit de penseurs libres d’hier (Murray Bookchin) et d’aujourd’hui (Dupuy-Déri, Baillargeon…). Elles doivent être débattues, élargies, amendées dans des assemblées populaires, expérimentées localement, hors des cadres institutionnels castrateurs de créativité démocratique.
Mais le temps risque de manquer pour une transition pacifique, forcément de longue haleine. L’actuel hiérarque de l’Élysée joue un jeu dangereux alors que de plus en plus de membres de LR se rallient au clown horrifique4 et que les groupes extrémistes néo-fascistes sont particulièrement attentifs ce phénomène : « neuf attentats terroristes d’ultradroite ont été déjoués en France depuis 2017 », recense le média en ligne Basta.5 Dès lors, tout peut basculer.
1- : Nous n’irons plus aux urnes, plaidoyer pour l’abstention, de Francis Dupuis-Déri, Lux Éditeur, 2019. Recension de Fabien Escalona pour Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/260620/miseres-et-vertus-du-rituel-electoral.
3- : Nudge : dispositif marketing qui vise à orienter vos choix sans que vous ayez toujours conscience d’en être l’objet. Il fait partie des armes du neuro-marketing, pour des causes louables comme la sécurité ou moins avouables comme le commerce.