L’après Covid-19 sera fantastique, dixit la tête d’œuf à particule qui dirige la Banque de France1 : la vénérée croissance s’annonce exceptionnelle dès 2021, alors même que tous nos morts ne seront pas encore mis en bière. Mais un enterrement de première classe, c’est du PIB, et les capitalistes ne crachent pas sur les tombes. Toutefois, monsieur François Villeroy de Galhau, et son frère d’armes, Bruno Lemaire, grand argentier devant Jupiter, comptent avant tout sur les survivants pour se jeter sur les caddies, dans une course effrénée dans les allées des supermarchés. Bref, retrouver au plus vite les petits bonheurs d’actionnaires du monde d’avant. Politiques et boursicoteurs lorgnent d’ailleurs avec insistance sur le bas de laine des Français qui a fortement gonflé, faute de pouvoir consommer tout et surtout n’importe quoi dans les centres commerciaux.
Attention spoiler sur le monde d’après
En attendant, le monde d’après, c’est aussi un duo pas comique Macron-Lepen promis pour 2022 par toutes les madames Irma des instituts de sondages, une jouissance sommitale pour les pros du maroquin de la Ve République, qui voient là l’occasion de se glisser dans un « front républicain » digne des décors en carton pâte d’un navet hollywoodien. Le monde d’après, ce sera un état d’urgence qui ne sera plus dans l’urgence, puisqu’il sera permanent. L’autoritarisme, c’est l’avenir assuré des gouvernements, actuel et futurs, de cette république irrespirable où les parlementaires sont des accessoires aussi utiles qu’une convention citoyenne sur le climat. L’autoritarisme, ce sont des promesses de désordre violent et des manifestants qui comptent leurs morts et leurs blessés. L’avenir, c’est Big Brother, capitalisme de surveillance de plus en plus invasif, ce sont des Gafam, bandits de grands chemins numériques, faisant main basse sur nos intimités pour les revendre aux plus offrants, entreprises apatrides toutes puissantes devant les états, leurs lois et leurs peuples. L’horizon post-Covid, ce sont d’autres pandémies surgissant sans crier gare des forêts primaires suppliciées et du marigot de l’élevage industriel. Ce sont des tsunamis de béton asphyxiant la terre nourricière et c’est une chaîne alimentaire farcie aux micro-plastiques, aux antibiotiques, aux pesticides, et à toute la foisonnante palette chimique du progrès. Notre postérité, ce seront de vieilles chaudières nucléaires fissurées, fumantes, et notre héritage, une poubelle de déchets radioactifs pour l’éternité. Les lendemains de gueule de bois covidée, ce seront des étudiants perdus, proies faciles du capitalisme ubérisé ; des artistes faisant la manche dans des couloirs de métro puants ; des anciens parqués dans l’oubli ou mis au turbin, faute de retraites décentes ; des premiers.res de corvées toujours sous-payés ; des services publics anémiés ; des populations à la rue ; des migrations climatiques et de conflits meurtrières ; des biens communs privatisés…
JE CRAQUE !
Croyez-moi : le Sars-Cov-2, malgré ses plus de deux millions de morts, est le moindre de nos soucis. La petite guéguerre de cour de récré politicienne autour d’un ersatz de projet de loi contre l’apocalypse climatique, c’est comme dresser des pâtés de sables sur la plage face au tsunami qui arrive. Ça désespère ou/et révolte, mais ça fera bien rigoler les archéologues et anthropologues du futur venus explorer notre planète à califourchon sur leurs ovnis.
Je suis d’un âge certain, mais un anarchiste conscient de prime jeunesse. Rebelle au conformisme, aux injustices, aux ségrégations depuis toujours, l’âge m’a amené à plus de conscience politique pour résister aux dominants. L’étude, encore en cours, des pensées de l’anarchisme ont permis ma libération intellectuelle et façonné chez moi une nouvelle résistance aux aliénations de notre époque, aux emprises du pouvoir et au légitimisme de cooptation. Ces pensées anarchistes sont vivantes, adaptables, multiformes par tous ceux qui veulent s'émanciper et construire des coopérations assumées sur des territoires, des projets communs, des solidarités… Elles sont déjà à l'œuvre à Notre-Dame-des-Landes (voir ci-dessous), à Gonesse, dans la vallée de la Roya…
Alors quel anarchiste-résistant vais-je devenir ? Il faut réinventer. Mais peut-on construire l’opposé du capitalisme au sein du capitalisme ? Deux solutions, pas une de plus.
Soit il nous reste suffisamment de lambeaux de liberté pour construire des îlots de société autonomes et libertaires, écologiques et égalitaires, sans que les escadrons de la répression ne rasent à coups de cutters et de tractopelles la moindre cabane et le plus petit signe de liberté créatrice. On peut toujours rêver mais pas compter sur la mansuétude du pouvoir et de ses brigades de coercition. Les petites victoires de Notre-Dame-des-Landes à Gonesse ne sont justement que des petites victoires et non des guerres gagnées, comme l’indiquent études et chiffres officiels même pas cachés ou démentis sur le non respect des engagements du très pâle Accord de Paris sur le climat ou dans bien d’autres domaines comme l’artificialisation des terres.
Autre solution, on s’empare de l’une des armes du capitalisme en la retournant contre lui. Et l’un des mantras du capitalisme est la destruction-créatrice, notion shumpeterienne, portée aux nues par Macron dans son slogan marketing de « start-up nation », comme par tous les ultra-orthodoxes de la religion de la croissance. Vous savez, cette histoire à dormir debout qui consiste à nous faire avaler (de force) que les licenciements, la précarité, le flicage, les pollutions, l’esclavage, les inégalités… sont des maux nécessaires pour accoucher d’une nouvelle tranche de croissance des dividendes mais aussi, promis-juré et deuxième mantra, ruisselante de pitié et de miettes pour les masses laborieuses.
Mondialisation des luttes
Que donnerait la mise en œuvre du principe de destruction-créatrice par l’anarchisme libertaire et humaniste ? De la destruction, par les luttes, du capitalisme et de ses excroissances monstrueuses, finance stratosphérique et mondialisation à tous crins (y compris des virus), peut naître une nouvelle tranche de vie, de respiration, pour l’Homme et la nature, un vent de liberté, d’émancipation et d’ordonnancement en projets territorialisés et fédérateurs. Une croissance intellectuelle libertaire et une économie de coopérations locales par cercles concentriques, dont les fruits seraient acquis à ceux qui créent, en tenant collectivement à bonne distance de ruissellement tous les Arnault, Bezos, Bolloré, Musk et autres profiteurs (je vous épargne la liste des financiers). Ces derniers ne disparaîtront probablement pas. Probable qu’ils pratiqueront, encore plus qu’aujourd’hui, le communautarisme de bon aloi dans des ghettos biens gardés, clusters de bienséance surannée, vestiges du monde d’avant.
En attendant, les alertes (OCDE, Forum de Davos, FMI) se multiplient pour avertir les dominants que la pression monte et menace la belle architecture capitaliste et leurs cassettes. Les rébellions, révoltes, luttes, manifestations massives, résistances, mouvements de désobéissance fleurissent un peu partout dans le monde, mouvements sociaux pacifiques qui ne dégénèrent que sous la violence des répressions. Ils n’ont pas (encore) de liens physiques entre eux et les détonateurs sont multiples mais avec une constante : l’injustice des ségrégations, des spoliations, des humiliations, des génocides physiques et/ou culturels. Là encore, on peut retourner l’une des armes du capitalisme, celle de la mondialisation, en reliant, en fédérant, en mutualisant les luttes locales et régionales par cercles concentriques.
Mise à jour de dernière minute
En France, il faudra bientôt reprendre les luttes pour sauvegarder des pans entiers de l’état social, des biens communs, de nos libertés qui subissent de nouveaux coups de boutoir de la part du gouvernement et des lobbies. Coïncidence bienfaisante, au moment où je concluais ce billet, est apparu l’appel du lancement des Soulèvements de la terre. Au nom de la terre nourricière et du bien commun, d’une zone libertaire victorieuse, Notre-Dame-des-Landes, émerge une coopération de volontaires émancipés pour sauver les terres arables et sauvages des appétits capitalistes.
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A lire, à discuter, à enrichir, à diffuser :
LES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE
"Cet appel est issu d’une rencontre récente sur la zad de Notre-Dame-des-Landes qui a réuni des personnes des quatre coins du pays : paysan.nes et paysannes, jeunes écologistes en révolte, habitant.e.s de zad et territoires en luttes, syndicalistes, chercheurs.euses engagés dans la défense du vivant. Appel à reprendre les terres, à bloquer les industries qui les dévorent, et annonce d’une première saison d’actions communes."