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Billet de blog 10 mars 2023

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Faut-il « nettoyer » la montagne ?

À la faveur d’un hiver sec, la montagne était de nouveau en feu : sommets enrobés de panaches de fumées, air irrespirable pour les montagnards, faune et flore dévastées, érosion. Des exploitants agricoles pratiquent l’écobuage pour « nettoyer » la montagne, comme leurs semblables de la plaine « nettoient » leurs champs avec de généreux épandages de pesticides. La pratique ancestrale a bon dos.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Ecobuage non maîtrisé en mars 2022 © Suaski

Les incendies traumatisants de l’été 2022 et un hiver exceptionnellement sec, n’ont pas découragé les auteurs de brûlages agricoles et donc les écobuages des pâtures de montagne. Mi-février, dans la Soule, en Pays basque, les habitants suffoquaient et «il neigeait des cendres».1 « Depuis hier, c’est irrespirable, on a l’impression d’être dans un brouillard jaunâtre », témoigne un habitant de Mauléon sur France 32. « Je suis sûr que depuis deux jours, on est plus pollués que certaines grosses villes », constate un autre. « Un voile épais s’est installé ces derniers jours. La concentration des particules en suspension (PM10) a augmenté au Pays Basque Nord et l’association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air en Nouvelle-Aquitaine, Atmo Nouvelle-Aquitaine, tient les écobuages pour principaux responsables de cet épisode de pollutio», constate également le site « mediabask.eus ». Et malgré une interdiction préfectorale de 24 heures, le 14 février dernier, en raison d’une journée particulièrement sèche et venteuse, un feu d’écobuage allumé sur la commune des Eaux-Bonnes, dans le Béarn voisin, a inévitablement dérapé en incendie sur 22 hectares, malgré l’intervention des pompiers.3

Chaque hiver, de l’automne au début du printemps4, des éleveurs brûlent la montagne pyrénéenne pour défricher les espaces et les mettre littéralement à nu, voulant favoriser ainsi la pousse d’herbe jeune. La pratique est réglementée depuis le drame d'Esterençuby, le 10 février 2000, qui a vu la mort de six randonneurs dans les flammes d’un écobuage non maîtrisé. Mais les contrôles sont rares et, comme pour la chasse, les autres utilisateurs de la montagne en sont réduits à chasser l’information pour leurs sorties ou tout simplement à les annuler en périodes sèches favorables aux incendies.

Outre le danger de ces feux, ils provoquent des dégâts environnementaux à court et long terme.

À commencer par la pollution de l’air. Si brûler du bois bien sec dans un poêle fermé limite la pollution, brûler des végétaux, en partie encore verts ou peu secs, dégage une masse bien plus importante de substances toxiques pour les êtres humains et l’environnement, les riverains des incendies de l’été 2022 peuvent en témoigner. En premier lieu des particules PM 10 (particules de diamètre inférieur à 10 µm) particulièrement nocives, mais également des oxydes d’azote (Nox), des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du monoxyde de carbone (CO), des composés organiques volatils (COV), ou encore des dioxines.

Les effets délétères sur la santé des brûlages agricoles sont bien documentés, notamment par l’Anses dans un rapport de 2012.5 Alors que le brûlage des déchets verts est, à raison, interdit de façon permanente sur le territoire6, les écobuages restent tolérés dans les zones de pâturages. Entre les écobuages autorisés et les brûlages sauvages, les statistiques sur les surfaces incendiées manquent. Mais elles se comptent sans aucun doute en centaines d’hectares sur les Pyrénées, sachant que d’autres départements sont concernés (Haute-Loire, Lozère…).

Illustration 2
Les incendies non maîtrisés détruisent aussi le patrimoine montagnard. © Suaski

Ces brûlages étant répétés chaque année, les dégâts environnementaux sont importants, ce que constatent les membres de l’association environnementale basque Su aski (Halte aux feux)7 : « Il y a une évidente érosion accélérée du sol, la roche mère, le schiste ardoisier, commençant à affleurer et s’effriter en bien des endroits. La terre, déjà chargée de plombs de chasse, de produits de traitements vétérinaires, de désinfectants des bergeries, n’est plus retenue et se retrouve dans les cours d’eau, puis dans l’océan qu’elle pollue, augmentant au passage les risques d’inondation. Les myrtilliers sauvages et les bruyères sont ravagés, sachant que ces dernières, si elles repoussent, ne profiteront pas aux pollinisateurs puisque cette plante ne peut donner de nouveau du nectar qu’au bout de 7 ou 8 ans. Les quelques arbres isolés qui subsistent, s’ils ne meurent pas la première année, succombent quelques années plus tard. »

Cette pratique n’éradique pourtant pas les plantes jugées indésirables, bien au contraire : les fougères aigle toxiques ou grandes fougères (Pteridium aquilinum) ainsi que les ronces, n’en repoussent que plus vigoureusement sur ces sols acides, pauvres et pierreux, auparavant forestiers. La faune est bien évidemment impactée par ces incendies répétés, le gibier et les espèces emblématiques de ces massifs comme le gypaète barbu. Enfin les sols mis à nu juste avant les pluies de printemps ne retiennent plus l’eau et laissent libre cours à l’érosion, appauvrissant un peu plus les pâturages, favorisant des espèces pionnières moins intéressantes et augmentant le risque d’inondations en aval.

Si la pratique peut avoir un effet positif de court terme pour la pousse printanière d’herbe, les agriculteurs à l’origine de ces incendies ne peuvent pas ignorer les effets négatifs à long terme. La plateforme d’échange dédiée aux professionnels, « talkag.com », note que « la pratique affecte la qualité de l'air (pollution par émission de dioxines et de particules fines) ; entrave la protection et le repeuplement du gibier ; son abus peut favoriser un déséquilibre biologique ; mal utilisé, il dégrade les sols. D’autre part, elle peut être dangereuse, car susceptible de dégénérer en incendie. Aussi, mené dans un but pastoral, l'écobuage recèle un risque de pollution organique de la viande et du lait. »8

Les effets délétères des écobuages répétés et étendus ont été favorisés par une politique agricole européenne hors-sol. Depuis des années, des primes européennes n’étaient accordées qu’à la condition que les terres soient entièrement défrichées, sans subsistance de végétation haute (arbres) alors qu’ils sont indispensables pour le bien-être animal (ombrage, surface de frottements…), pour la biodiversité et pour retenir la terre.

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Il faut remettre des bergers dans les montagnes. © Stéphan Peccini
Illustration 4
Il faut aussi alterner les herbivores pour une meilleure gestion de la biodiversité. © Daniel Klutzny

Les pratiques ancestrales ne peuvent être invoquées pour justifier les incendies non maîtrisés d’aujourd’hui. Les incendies étaient proscrits et même passibles de sanctions. Un compte-rendu de réunion de notables, réunis en novembre 1704 pour établir le réglement des usages des pâtures de la vallée de Baïgorri, note qu'«il arrive souvent que des pasteurs ou autre gens allument le feu aux herems communs, ce qui cause un grand dommage au général, à cause des grands brulemens d’arbres qui s’y fait ».

Et de prévoir des sanctions financières pour les coupables « de cent livres aplicables un quart au profit de la communauté, un quart pour les églizes, un quart le dénonciateur et un quart pour les pauvres ». Avant guerre, les parcelles volontairement incendiées étaient même interdites de pâturage par les autorités. Plus près de nous, il y a quelques décennies, les feux de défrichage étaient très limités. « Autrefois, les montagnards pratiquaient le feu au carré, c’est-à-dire qu’ils brûlaient de manière maîtrisée un hectare par exemple. Ou ils fauchaient et rassemblaient les végétaux en tas qu’ils brûlaient », rappelle Franck Noden, éleveur près d’Itxassou. La biodiversité était ainsi mieux préservée. « Ce qui repousse après un incendie sauvage est de piètre qualité alimentaire pour les troupeaux qui développent aussi des maladies avec les tiques et mouches qui prolifèrent à cause de la disparition d’autres insectes et des oiseaux ». Aujourd’hui, l’écopâturage®9 que Franck Noden pratique avec ses vaches béarnaises se rapproche des méthodes utilisées autrefois de manière empirique. L’utilisation de différents herbivores , leur piétinement et leurs préférences alimentaires permettent d’endiguer l’enfrichement et de favoriser une hétérogénéité de la flore. Pour éviter aussi les effets néfastes similaires à une monoculture, il est souhaitable de favoriser une mosaïque paysagère avec des zones pâturées et des espaces forestiers à réhabiliter, ces derniers n’empêchant le pâturage. Cet écopastoralisme® suppose également de remettre de l’humain dans les estives, c’est-à-dire des bergers qui guident les troupeaux en fonction des besoins écologiques des espaces à entretenir.

Le pastoralisme est indispensable aux espaces montagnards où seul l'élevage extensif peut être pratiqué. Il est de plus la source de produits de qualité. Mais à l’aune des connaissances acquises sur ces milieux naturels fragiles, d’autres méthodes doivent être envisagées pour les préserver à la fois pour les biotopes, et pour que élevage et autres usages (tourisme, travaux forestiers…) puissent cohabiter en préservant ces trésors.

"Les forêts précèdent les peuples, et les déserts les suivent", citation apocryphe, mais néanmoins trop souvent juste, attribuée à François-René de Chateaubriand.

Illustration 5
Feux pastoraux sauvages. © Damien Labat

1. : https://www.mediabask.eus/fr/info_mbsk/20230220/les-ecobuages-principales-causes-de-la-pollution-actuelle.

2. :https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/pyrenees-atlantiques/pau/c-est-devenu-irrespirable-les-habitants-excedes-par-les-fumees-d-ecobuages-dans-les-pyrenees-atlantiques-2715666.html.

3. : https://www.sudouest.fr/pyrenees-atlantiques/bearn/bearn-un-ecobuage-interdit-et-non-declare-derape-en-incendie-au-moins-22-hectares-brules-14063144.php.

4. : Les dates précises varient selon les départements.

5. :https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2010sa0183Ra.pdf .

6. : Code de l'environnement : article L541-21-1 et interdiction des incinérateurs de jardin, Décret n°2003-462 du 21 mai 2003 relatif aux dispositions réglementaires du code de la santé publique, Circulaire du 26 avril 1982 relative à la modification du réglement sanitaire départemental type, Réponse ministérielle du 12 septembre 2013 sur l'interdiction générale et permanente de brûlage des déchets végétaux.

7. : https://suaski.wordpress.com/presentation/.

8. : https://www.talkag.com/post/?src=38150.

9. : https://ffecopaturage.fr/.

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