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Billet de blog 11 mars 2022

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Ciels d’apocalypse

[Rediffusion] La guerre de retour en Europe avec menaces nucléaires quand d’autres guerres ravagent à bas bruit bien d’autres régions depuis des années ; une communauté scientifique mondiale qui agite désespérément le tocsin sur l’emballement climatique et le déclin de la biosphère ; le capitalisme mondial livré à ses démons et hors de contrôle, l’humanité est en train de sombrer toutes sirènes hurlantes.

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Illustration 1
Ciel d'apocalypse © FUMIGRAPHIK

Le 20 janvier dernier, la très sérieuse assemblée de scientifiques, The Bulletin of Atomic Scientists, fixait la grande aiguille de l’Horloge de l’Apocalypse à 100 secondes des douze coups de minuit,1 synonyme de « fin du monde », celle d’un cataclysme, au choix ou en lot, nucléaire, écologique ou technologique. Un goût d’eschatologie. C’était juste avant que Poutine et les Occidentaux s’invectivent par-dessus l’Ukraine suppliciée, en se menaçant mutuellement d’appuyer sur le bouton rouge. Le dictateur du Kremlin mettait en alerte sa dissuasion nucléaire tandis que Le Drian lui rappelait, comme s’il ne le savait pas, que l’Otan « [était] aussi une puissance nucléaire ». Ambiance…

La guerre, l’exode, les fosses communes, le sang, les larmes, sont de retour dans une Europe qui se croyait en paix pour toujours, puisque quand le commerce et le bizness vont, tout va pour le mieux. Poutine et ses oligarques ont bénéficié de tous les égards des puissants de notre monde politique et capitaliste, ces derniers bénissant leur pétrole, leur gaz, leurs ressources minières, leurs investissements dans les bizness-clubs de foot, dans les remontées mécaniques de Courchevel ou la construction navale. Poutine dans la Galerie des glaces, ça rappelle Bachar El-Assad sur les Champs-Élysée, Kadhafi plantant sa tente dans les jardins de la République ou encore Al-Sissi sur tapis rouge à l’Élysée. En arrière plan, le bizness du pétrole et des armes et d’immenses réseaux de corruption, entre gens de bonnes familles. Bizness, bizness, bizness.

Notre mémoire est courte, notre attention limitée à notre fond de jardin. Nous avons déjà oublié les ruines et les morts d’Alep, nous ignorons les massacres du Yémen, de Somalie, du Sud-Soudan, nous avons inexorablement fermé les yeux sur les femmes asservies d’Afganistan, etc, etc, etc. Mis à part les fabricants et marchands d’armes dont les cours flambent actuellement et les joueurs-spéculateurs de matières premières misant sur les désastres et la mort (voir les spasmes des bourses), les businessmans du monde entier devraient pourtant s’inquiéter d’une planète à feu et à sang. Le Global Peace Index, un think tank australien ayant des bureaux dans tous les royaumes de la finance, estime que ces conflits ont un coût annuel de 15 000 milliards de dollars, soit 11,6 % du PIB mondial.2 C’était avant la guerre en Europe.

Climat étouffant

Illustration 2
Cimetière de guerre © Laurent 91700

Les bombes russes ont en tous cas fait beaucoup plus de bruit que le deuxième volet du dernier rapport du Giec. Difficile pour les médias de faire des directs, casque sur la tête, sur des insulaires en train de se noyer à petites lampées ou sur la disparition de légions entières d’insectes qui ont l’amabilité de ne plus s’écraser salement sur nos pare-brises. « Ce rapport est un terrible avertissement sur les conséquences de l’inaction, a averti Hoesung Lee, le président du Giec, dans un communiqué. Il montre que le changement climatique est une menace grave et croissante pour notre bien-être et la santé de cette planète. Nos actions aujourd’hui détermineront comment l’humanité et la nature s’adapteront aux risques climatiques croissants. »3 Que dire de plus ? Pour toute réponse, les gouvernements occidentaux déclarent en cœur qu’ils vont augmenter leur budget… militaire, la Chine et d’autres ayant pris de l’avance dans cette course. Ils ont tout compris à la transition écologique et aux cataclysmes climatiques qui nous attendent. Après l’hécatombe de la Covid, les génocides pour diminuer l’empreinte écologique et climatique humaine ? Certains auront sans doute le cynisme de penser cela. Les kleptocrates du capitalisme spéculatif se voient obligés de se réorganiser avec la pagaille des sanctions, mais le bizness continue, demandez à Thalès et à Dassault.

« Déclin de civilisation inéluctable » selon Dennis Meadows

Illustration 3
Pollution © xgi93

Mais plus généralement, le monde capitaliste, qu’il soit libéral, étatique ou oligarchique, se fout des conflits (tant qu’ils restent limités), du tri des déchets ou des canicules. Dans ses lofts climatisés et aseptisés, le commun des capitalistes estime qu’au-delà de ces menus inconvénients, on doit continuer le business as usal, se porter d’urgence au chevet de la croissance, ne pas la compromettre par des contraintes environnementales ou pour des raisons humanitaires (sauf quand ça atteint l’image marketing). « L’écologie, ça commence à bien faire » avait lancé Sarko en 2010 pour enterrer le Grenelle de l’environnement. Tous des visionnaires comme Elon, Marc ou Jeff qui se voient déjà batifoler sur Mars entre gens de bonne éducation. Dans le même élan d’opportunisme, le lobby de l’agriculture industrielle et productiviste revendique la mise au rebut des contraintes écologiques pour assurer la « souveraineté alimentaire », comme le relève justement Amélie Poinssot dans Médiapart. La FNSEA y voit surtout l’occasion de doper ses exportations en prenant la place des exportateurs Russes et Ukrainiens occupés à autre chose qu’à faire pousser des épis de blé. Le même cynisme qu’un Bolsonaro (voir l’article de Jean-Mathieu Albertini).

Pourtant, deux ans avant la sortie imbécile de Sarko, le scientifique australien Graham M. Turner avait démontré que les prédictions du Rapport du club de Rome, ou rapport Meadows, sur les limites de la croissance, paru en 1972, se vérifiaient point par point.4 Dennis Meadows et son équipe, auteurs dudit rapport, l’ont réactualisé en 2012 avant d’en sortir une version du 50ème anniversaire il y a quelques jours.5 Et son constat est cinglant : « le déclin de notre civilisation est inéluctable »,6 précisant que « ce déclin devrait avoir de nombreuses conséquences sociales et politiques », même s’il est et sera « progressif » et « inégalement réparti ». « Cela étant dit, en 1972 nous avions encore une chance de ralentir ce processus, du moins théoriquement, et de garder la démographie et la consommation à des niveaux soutenables. Ce n’est plus possible. Nous sommes déjà bien au-dessus de ces limites. D’une manière ou d’une autre, les caractéristiques physiques de notre société vont décliner », assène le scientifique dans une interview éclairante de Reporterre.

Vous avez dit « déclinisme » ?

Illustration 4
Exposition The World of Steve McCurry concue par Biba Giacchetti © Miguel Discart

Les optimistes vont hurler au déclinisme. J’aimerais faire mieux pour vous remonter le moral. Désolé, je ne peux pas, je ne peux plus. J’ai 66 ans et la remilitarisation de l’Europe est pour moi un grand retour en arrière qui fait suite aux glissements autoritaires, illibéraux, populistes, militaires (appelez-les comme vous voulez) de nombres de pays, dont des pays européens. Où l’on voit aussi que la dissuasion nucléaire n’est pas dissuasive : Poutine et ses 1600 têtes nucléaires n’hésitent pas à défier l’Otan qui comprend trois puissances nucléaires, en fourbissant ses bombinettes nucléaires dites tactiques. Il est tellement peu dissuadé qu’il massacre des peuples (tchétchène, syrien, ukrainien et plus si affinités) sans coup férir. Il nous a presque fait oublier que la pandémie de Covid a fait des millions de morts.

Alors, qu’est-ce qui pourrait nous rendre optimistes ? « Toute la nature conspire à t’avertir par un sinistre augure », dit le sénateur Dolabella à César, peu de temps avant son assassinat, dans le classique de Voltaire, La mort de César.7

Et j’avais titré l’un de mes premiers billets en 2019 : « Humanité, game over ? ». Contrairement à ce que dit ma femme, je n’aime pas toujours avoir raison…

1. : Cette horloge conceptuelle est mise à l’heure chaque année par cette très sérieuse assemblée de scientifiques comprenant pas moins de treize prix Nobel. L'ONG The Bulletin of Atomic Scientists a été créée en 1947 pour conjurer le feu atomique qui venait de ravager Hiroshima et Nagasaki. https://thebulletin.org/doomsday-clock/.

2. : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210718-conflits-les-10-pays-les-moins-pacifi%C3%A9s-au-monde

3. : https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/un-terrible-avertissement-ce-qu-il-faut-retenir-du-nouveau-rapport-du-giec-sur-les-effets-du-rechauffement-climatique_4977336.html.

4. : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959378008000435. (en anglais)

5. : Les Limites à la croissance (dans un monde fini), de Dennis Meadows, Donella Meadows, Jorgen Randers, éditions Rue de l’échiquier, mars 2022, 488 p., 14,90 euros.

6. : https://reporterre.net/Dennis-Meadows-Il-y-a-deux-manieres-d-etre-heureux-avoir-plus-ou-vouloir-moins.

7. : La mort de César, Voltaire (1736), acte III, scène 5.

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