Les pros de la politique du strapontin et de l’« arc républicain » sont au moins d’accords sur un objectif : éviter à tout prix une dissolution, synonyme pour eux d’une probable privation de leur lopin de pouvoir. Ceci au prix de compromis qui auront tout de compromissions. Le fantomatique budget du pays sera toujours plus au service de son élite capitaliste, quand la gauche en sera encore à chercher sous la table les pièces de son puzzle. Les masques de responsabilité et de respectabilité des professionnels de la politique, s’ils ne faisaient plus illusion, sont tombés. L’élite construite de toutes pièces par un président mal élu, depuis un palais de l’Élysée qu’il a voulu transformer en siège social d’une « startup nation », est devenue une galerie de personnages digne des comédies horrifiques de série Z. À moins que ce ne soit le tournage secret de la suite du film Les Tuches 3 qui voit Jeff Tuche débarquer à l’Élysée. Après avoir ringardisé les partis dits de gouvernement, cette élite, qu’elle se nomme macronisme, socle commun, centre élargi… reposant sur le seul service au développement d’un capitalisme 2.0, dévoile ce qu’elle est réellement : une bulle idéologique qui est en train d’éclater, un monde virtuel victime d’un gros bug, complètement déconnecté qu’il est (s’il l’a jamais été) de la vie réelle de femmes et d’hommes, mais qu’il considère comme des avatars de sa startup nation.

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Macron, chef suprême de cette élite, n’a jamais fait mystère de ses objectifs : se mettre au service des milliardaires de ce pays en imposant autoritairement la politique de l’offre des grandes entreprises, en misant tout sur la croissance économique. Ce qui ne veut pas dire qu’il en maîtrise la trajectoire. L’oligarchie capitaliste française (ne parlons pas des Gafam opportunément trumpistes ou des pétromonarchies) a son propre agenda au service d’un pouvoir exclusif qui surpasse aujourd’hui celui des appareils étatiques. Malgré 211 milliards d’argent public ¹ déversés sur le secteur privé (2023), les Arnault, Bolloré, Saadé et autre Stérin ont leurs objectifs qui ne sont pas ceux d’un État social, ni même ceux d’un Macron en fin de règne. En attendant, élus de la nation et hauts fonctionnaires sont, encore aujourd’hui, incapables de dire où sont exactement passés ces milliards et quels en ont été les effets sur l’économie, sur l’emploi ‒ ne parlons pas du concept idéologique de ruissellement ‒ et surtout, sur le bien être des Français. La politique de l’offre, cela veut dire produire avant tout de l’obsolescence et du jetable, sans aucune adéquation avec les nécessités d’une vie bonne. Voir le scandale des centaines de milliers d’ordinateurs bons pour la casse, car inadaptés à windows 11.2
Un budget au service de la croissance capitaliste, pas du peuple
Et c’est bien tout le problème. Le budget du pays, sensé être avant tout au service de la population (services publics, éducation, aides sociales, logement…), est bâti, depuis des décennies, sous des pouvoirs de droite comme de gauche, sur une promesse de croissance économique éternelle. Il tient sur la base d’une progression d’une consommation intérieure dévorante : le gouvernement en serait presque à subventionner la publicité. Produire-consommer-jeter pour produire à nouveau, etc., voilà la boucle infernale, que ses initiateurs veulent intemporelle, dans laquelle les pouvoirs politiques et économiques nous ont, de concert, enfermés. Pour la macronie, c’est la condition d’un budget viable et apte à sauver son État capitaliste, donc son pouvoir. La dette dont nous serions redevables, empruntée en notre nom, mais sans notre aval, était destinée en grande partie à nourrir cette politique de l’offre, sans qu’on ne sache trop où ces centaines de milliards empruntés sont passés, dans la poche de qui. Le « quoi-qu’il-en-coûte » du Covid, une des principales causes d’emprunt, n’avait pas d’autre objectif que de préserver l’outil du patronat et un potentiel de croissance au service exclusif du capitalisme. Ce qui n’empêche pas tous les premiers ministres, eux aussi jetables, de nous présenter le remboursement de cette dette dans une dramaturgie propre à nous culpabiliser ‒ bande de paniers percés ‒, laissant supposer des représailles en cas de mauvaise volonté et de manifestations. Pour la macronie et les droites, l’optimisation fiscale des grandes entreprises, les fraudes aux cotisations sociales, aux subventions publiques, le doublement des fortunes de l’oligarchie, l’explosion des salaires des grands patrons, même s’ils se plantent, les ententes et monopoles permettant de racketter le bon peuple… tout cela est bien moins méprisable que la supposée ruée de migrants affamés sur l’aide médicale universelle, que les petites magouilles de quelques-uns, français ou étrangers, sur les aides sociales ou les arrêts maladie ou que les supposés malades imaginaires en longue maladie. Selon la macronie, ce sont bien ces derniers qui sont en train de mettre le pays sur la paille, pas les honorables grandes fortunes de France, même si elles sont exilées fiscales.
Le régent et le bouffon du roi
Pendant ce temps, les pros encartés dans des partis dits de gouvernement laminés lors de toutes les dernières élections (Républicains, centristes de tous poils, socialistes), sont pris de soudaines coliques à l’idée d’une possible dissolution qui signifierait pour eux dissolution de leurs attributs. Barons en région et boutiquiers dans l’arène du pouvoir, leurs « rodomontades et [leurs] caracoles de fiers-à-bras » 3 remplissent toutes les éditions spéciales. Mais en coulisses, se négocient les modalités d’une stabilité… de leurs sièges, ainsi qu’un budget de crise et donc les termes de notre mise à la diète d’office. Le capitalisme français, lui, se contentera d’une stabilité politique, du moment qu’elle est de droite, voire d’extrême droite, même si Bardella n’a pas obtenu un prix Nobel d’économie. La tentation d’une idylle LR-RN crève les yeux, mais Retailleau craint de se faire bouffer sur la droite de sa droite, Wauquiez joue sa partition et Darmanin se met en embuscade : la danse du diable se joue dans l’« union des droites ».
À gauche, dans la même misérable course aux canots de sauvetage ou à la barre d’un navire en perdition, cela fait bien longtemps que le parti socialiste ne sait plus où il habite (merci Tonton!). Et de se retrouver piégé par sa danse du ventre avec la macronie pour un plat de lentilles, pour une éventuelle, hypothétique, présumée, aléatoire, etc. suspension de la réforme autoritaire des retraites. Aujourd’hui, les socialistes, rebutés par Mélenchon (pas par les Insoumis) se retrouvent face à un Lecornu (3), avatar du monde virtuel de la macronie, avec un énorme dilemme : soit ils ne le censurent pas et ils subiront l’infamie des traitres ; soit ils censurent, provoquent une dissolution, promesse d’une dernière déculottée électorale.
Dans le reste de la gauche, les écolos tentent désespérément de recoller quelques morceaux de l’ancien Nouveau front populaire, histoire de ne pas devenir une espèce en voie de disparition en cas de dissolution. Le Parti communiste, enferré dans ses vieilles antiennes, reste un figurant, tandis que LFI, insoumise mais soumise au destin de son incontestable chef et directeur de conscience, cherche seule une improbable voie vers le pouvoir. Mélenchon, en se croyant seul au monde à pouvoir gouverner au nom du peuple, en bloquant toute émergence d’une relève insoumise, collective et démocratique, en visant exclusivement le pouvoir élyséen, prend le risque de continuer à se faire bouffer son électorat par les fachos du Rassemblement national.
Ce spectacle pitoyable est bien l’expression d’une élite représentative gagnée par la gangrène du capitalisme. Elle est l’occasion pour Macron, de marquer toujours plus son mépris pour le peuple et tout ce qui pourrait donner à ce dernier la parole. Macron est un régent, car il estime que le peuple n’est pas suffisamment adulte pour exprimer ses besoins et décider de ce qui est bon pour lui. Pour lui, le peuple est l’enfant que l’on fait taire à table et que l’on oblige à boire sa potion amère. S’il ne le fait pas, il menace de lui envoyer ses robocop. Lecornu (3) est le bouffon du roi, mais il n’amuse que le roi.
1. https://www.vie-publique.fr/eclairage/289629-aides-publiques-aux-entreprises-un-etat-des-lieux.
2. La maréchaussée a eu le nez fin puisqu’elle est passée sous Linux bien avant l’échéance imposée par Microsoft, ce que peuvent encore faire tous les utilisateurs d’ordinateurs qui n’ont en fait rien d’obsolète.
3. Directement inspiré de Blaise Cendrars.