Les énergies renouvelables seraient-elles LA solution pour nous sauver de l’enfer climatique ?

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Un panneau photovoltaïque, une éolienne, ce sont avant tout des matériaux non renouvelables, souvent difficilement recyclables, qui réclament énormément d’énergie pour aller les extraire, les transformer, les transporter, les monter puis les installer, ceci avant même qu’ils aient produit le moindre kilowattheure. Comme il faudra beaucoup d’énergie pour collecter, séparer, recycler, transformer, transporter, monter puis réinstaller ces appareils, alors qu’ils ne produisent plus le moindre kilowattheure. Cette énergie de premier et de dernier cycles vient principalement des sources fossiles, très minoritairement du nucléaire (un autre problème) ou des renouvelables. Et les besoins ne font que grandir. Car notre soif d’énergie devient inextinguible au fur et à mesure que nos industries se complexifient, s’artificialisent et nous pondent avec… énergie des appareils et gadgets à l’efficacité souvent douteuse, mais à la consommation énergétique et en ressources certaine. Chaque kilowattheure, ou équivalent, supplémentaire produit est immédiatement absorbé par l’invention d’un nouvel objet connecté et/ou branché, ou par la multiplication exponentielle de nouveaux usages : streaming, cryptomonnaies, intelligence artificielle, électrification des mobilités, des lieux de vie… L’accélération de l’arrivée de la voiture électrique, outre le fait qu’est reproduite la même erreur d’accroissement de son gabarit, ne fait que gonfler le parc global des véhicules particuliers et utilitaires, pour preuve les embouteillages planétaires et la frénésie à bitumer. Les véhicules électriques viennent principalement s’additionner et ne remplaceront pas de sitôt les véhicules thermiques, mais renforcent par contre la montée en gamme… des tarifs. Le trafic autoroutier a augmenté de 2 % l’an dernier et si la consommation de carburant a baissé dans le même temps de 2 % également, il est probable que les problèmes de pouvoir d’achat y sont aussi pour quelque chose. L’engagement européen pour la suppression des moteurs thermiques en 2035 bat déjà de l’aile devant la charge des puissants lobbies automobiles (de Porsche à Stellantis, de Renault à Mercedes) et la non moins efficace pression des associations d’automobilistes, accros au rugissement de leur rangée de soupapes. En France, le gouvernement vient de dire stop au leasing social qui permettait à des ménages modestes d’acheter une petite électrique, mais vient d’autoriser de nouveaux forages pétroliers dans les Landes. Du pétrole vert, semble-t-il puisque l’argument gouvernemental est qu’il ne voyagera pas : « tant qu'on a encore besoin de pétrole, il vaut mieux qu’il vienne d’ici plutôt que du bout du monde », expliquait benoîtement en décembre dernier Christophe Béchu, là où les habitants de la Teste-de-Buch venaient de voir 7000 hectares de leur forêt partir en fumée.
800 tonnes de houille par heure pour des climatiseurs

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Ailleurs, la Chine, dont les besoins énergétiques de développement sur un modèle technologique occidental explosent, est championne du monde dans la course à l’installation d’énergies renouvelables, mais est plus que jamais accro au charbon1 : depuis 2022, elle en brûle près de quatre milliards de tonnes par an, ouvre en moyenne deux centrales à charbon… par semaine, pour, se justifie-t-elle, alimenter les millions de climatiseurs qui permettent de se protéger des vagues de chaleur du changement climatique ‒ le chien qui se mord la queue. La seule centrale de Shanghaï brûle 800 tonnes de houille par heure à cette même fin.2 La Chine est également l’une des premières clientes du pétrole russe ou du charbon australien. Elle additionne les énergies même si la crise économique actuelle au pays de Xi permet à la production énergétique de rattraper la consommation. La décroissance serait-elle la solution ? Autre exemple d’addition dans les sources d’énergie et les consommations, les États-Unis : tandis que Biden lançait un vaste plan de promotion des énergies renouvelables, le pays devenait le plus grand producteur de pétrole et de gaz, avec la fracturation hydraulique mais également des projets de forages, dépassant son pic record de 2019.3
Et comme il faut de plus en plus d’énergie pour aller chercher les prochains barils de pétrole ou réserves de gaz, car enfouis sous les océans, sous les calottes glaciaires ou dans les interstices à fracturer de l’écorce terrestre, le rendement devient de moins en moins intéressant ou plutôt de plus en plus cher en bout de chaîne ‒ ce qui explique le bénéfice net record de près de 20 milliards d’euros de notre champion Total et le salaire tout aussi record de son patron, bienfaiteur de l’humanité : environ 10 millions d’euros annuels en augmentation de 10 % en 2023 tandis qu’il proposait 7,5 % de plus à ses salariés4 (c’est une digression, mais je n’ai pas résisté). La Chine, encore elle, et parce qu’elle en a les moyens financiers, fore actuellement un trou de 10 000 mètres de profondeur, espérant en tirer pétrole et autres ressources carbonées. Ils seront au tiers de l’épaisseur de la croûte terrestre.5 Par ailleurs, le capitalisme, lancé dans une course folle aux ressources minières et énergétiques, engendre déjà et engendrera obligatoirement des conflits géostratégiques, eux-mêmes gouffres en énergie et ressources.
Les hérésies du capitalisme vert

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Le capitalisme est capable de toutes les hérésies lorsqu’il se voit plus vert mais aboutit finalement au vert-de-gris. La verdure est alors remplacée par des océans de panneaux scintillants lorsque l’agrivoltaïsme transforme, industrialise nos paysages ruraux, colonise collines et forêts, landes sauvages et prairies protectrices. Hérésie, car les terres agricoles, forestières, naturelles sont les plus efficaces des capteurs d’énergie solaire grâce à la photosynthèse. Elles nous fournissent nos carburants primaires comme notre nourriture ou le bois pour nous abriter et nous chauffer, en plus de nous permettre de nous régénérer dans d’apaisantes balades. Avec l’aide de la biodiversité, elles fixent le carbone et retiennent l’eau qui nous est vitale. Ces services sont en grande partie gratuits ou proposés avec l’aide des paysans et forestiers. Avec l’agrivoltaïsme industriel, on substitue à ce service gratuit et vertueux un service payant au profit d’une petite caste capitaliste. C'est en quelque sorte une privatisation du flux solaire gratuit. Alors quel est l’intérêt pour la communauté de se priver de milliers d’hectares de paysages ruraux lorsque d’immenses surfaces artificialisées, toits, hangars, parkings, friches industrielles, routes… peuvent accueillir cette industrie. L’argument de surfaces insuffisantes est fallacieux lorsqu’on sait qu’une installation sur un toit coûte plus cher que sur une prairie verdoyante et qu’il ne s’agit pas, là-encore, de remplacer des énergies fossiles mais de venir les compléter.
L’efficacité énergétique, mantra de la pseudo-transition, est engloutie par l’effet rebond : l’industrie invente ou perfectionne des moteurs moins gourmands tandis que le marketing imagine des véhicules toujours plus imposants et équipés, moins profilés pour répondre aux critères de mode, qui consomment donc proportionnellement plus pour transporter la même personne, surtout si cette dernière a pris du poids dans une société suralimentée. Même ritournelle chez les avionneurs qui multiplient leurs flottes d’appareils comme des petits pains. Le marketing fait le reste en cultivant l’appétence d’une clientèle aisée, 11 % des humains ayant déjà pris l’avion.6
Il faut de l’énergie pour aller puiser de l’énergie

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L’extraction des ressources rares, sans parler de ses dégâts environnementaux dévastateurs, réclame des quantités d’énergie bien plus importantes que de simples derricks saoudiens, parce qu’elles sont, non pas rares, mais en quantités extrêmement dispersées dans la croûte terrestre. Et à ceux qui imaginent aller chercher de nouvelles ressources sur d’autres astres, il faut dire que les seules sorties touristiques effectuées dans la banlieue terrestre par la caste des milliardaires, dilapident une quantité astronomique d’énergie vitale pour les populations les plus modestes.
Lorsque Jeff Bezos et ses trois petits copains milliardaires se sont envoyés en l’air en 2021, ils ont, en dix petites minutes (pour jouir de quatre minutes en apesanteur), consommé autant d’énergie et émis plus de carbone qu’un milliard des terriens les plus pauvres durant toute leur vie. S’y ajoutent la fabrication et la construction des engins, matériaux, infrastructures et bases de lancement. Un voyage d’une Falcon de chez Musk vers l’ISS (station internationale) « engendre plus de 1150 tonnes de CO2, soit “638 ans d’émissions d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an” ».7 N’essayez pas de faire le total pour une mission qui irait collecter quelques centaines de kilos de minerais sur la Lune, un astéroïde ou Mars, il n’y aurait pas assez de zéros sur votre calculette. Ces zozos pleins au as y croient dur comme (minerai de) fer sur le dos de ceux qui resteront scotchés sur terre, enfumés par les gaz d’échappement de leurs fusées. Chaque lancement est aussi un désastre écologique sur des dizaines de kilomètres carrés.8
Les optimistes veulent croire que des solutions techniques plus vertueuses seront trouvées dans les années et décennies à venir. Si elles existent, faudrait-il déjà qu’elles arrivent à temps pour sauver les naufragés que nous ne tarderons pas à être. Mais le scepticisme paraît plus prudent. Tout ce que ces cinquante dernières années ont accouché d’innovations technologiques n’a fait qu’affoler les compteurs de la consommation énergétique. L’enrichissement astronomique des détenteurs de pétrole et les déficits commerciaux abyssaux des pays consommateurs sont là pour le confirmer. Prenez l’hydrogène, atome (H) commun dans l’univers, mais molécule (H2) beaucoup plus rare sur terre. Le produire demande beaucoup d’énergie, principalement fossile, et les possibles gisements d’hydrogène blanc (ou naturel) sont loin du compte s’ils devaient remplacer ne serait-ce qu’une infime partie de l’énergie fossile actuellement consommée. Le chien se mord toujours la queue, au point de la dévorer.
Lutter contre le capitalisme vert-de-gris

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La lutte contre le capitalisme ivre d’énergie carbonée et de ressources finies est vitale si on veut ne pas tomber en panne sèche, synonyme d’effondrement de nos sociétés. C’est le carburant désintéressé de tous les camarades qui font face aux forces militarisées de l’ordre capitaliste, notamment à Saïx sur l’A69. Il est illusoire aussi de croire que ce capitalisme favorisera l’autonomie énergétique des foyers, de projets locaux et citoyens. Ce serait lâcher leur corne d’abondance, libérer les foules captives de leurs profitables chaînes d’approvisionnement énergétiques. En inondant la ruralité de centrales photovoltaïques industrielles, ils ne font qu’ajouter des tuyaux supplémentaires à un système verrouillé. Dans leur monde, la sobriété est une insulte à leur sens de la cupidité.
La race humaine n’utilise pas son intelligence à maintenir son navire à flot en gérant avec prudence ses ressources, mais à perfectionner ses méthodes de dissipation de l’énergie qu’elle peut capter, preuve que la raison ‒ le raisonnement logique ‒ ne préside pas à son fonctionnement. Comme l’a théorisé le regretté François Roddier, astro-physicien et thermodynamicien, la société humaine se comporte comme un banal un système thermodynamique, commun dans tous l’univers, de nos cellules les plus intimes aux galaxies les plus lointaines.9 Et un système thermodynamique passe son temps à optimiser la dispersion de l’énergie à sa disposition, jusqu’à la panne sèche, jusqu’à la mort. Son intelligence se limite à perfectionner cette optimisation de dispersion énergétique, et à la croyance en une source infinie d’énergie et de ressources à dilapider pour remplir ce tonneau des Danaïdes.
L’ensemble du vivant terrestre n’existe que parce que l’énergie solaire existe et qu’il a su évoluer pour en tirer naturellement le carburant (en premier lieu la photosynthèse) et ainsi faire tourner ses cellules. Avant l’avènement de l’homme industrieux et dominant ‒ c’était hier au soir ‒, le système vivant s’équilibrait avec des chaînes alimentaires se fournissant en énergie à la même source, mais en recyclant le carbone ou en le stockant en profondeur sur le long terme, c’est-à-dire sur des dizaines de millions d’années. En moins de deux siècles, nous avons rompu cet équilibre, modifié les conditions de vie sur terre pour quelques millénaires (des centaines en ce qui concerne les déchets nucléaires) et sacrifié nos compagnons de route, le monde vivant non humain, pour nous jeter en panique sur ce qui nous reste de réserves de vivres (de bien vivre) dans les soutes de notre minuscule vaisseau spatial. Ce n’est pas un roman d’anticipation crépusculaire, mais notre effrayante réalité.
Nota : sur le même thème, la caution scientifique en plus, Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l'environnement et chargé de recherche au CNRS, vient de publier un livre, que je n’ai malheureusement pas encore lu, Sans transition : une nouvelle histoire de l’énergie, aux éditions du Seuil, « Essais Écocène », 416 p.
6. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378020307779.
9. François Roddier, Thermodynamique de l'évolution. Un essai de thermo-bio-sociologie, (2012) éditions Paroles.