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C’est une petite victoire au goût amer pour la maman d’Emmy : le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) reconnaît l’existence d’un lien de causalité entre le décès de son enfant en 2022 et son exposition aux pesticides pendant sa grossesse, alors qu’elle était fleuriste. Fleuriste, un métier qu’elle pensait inoffensif, un artisanat du beau, plein d’humanité, juste pour que les autres puissent le dire avec des fleurs. Sans le savoir, elle a intoxiqué sa fille in utero, alors que le poison invisible des pesticides traversait les pores de sa peau.
À cette occasion on apprend qu’il n’y a aucune limite aux traitements sur les fleurs de l’agro-industrie ; qu’on y retrouve jusqu’à une quarantaine de molécules différentes sur un même bouquet ‒ sentez le doux parfum de l’agrochimie ! ‒, dont certaines interdites dans l’Union européenne ; et que les professionnels n’ont aucune information sur les risques qu’ils prennent, plus grands encore que pour les agriculteurs, bonjour le droit du travail. Les pesticides sont des tueurs invisibles, comme une grande majorité des molécules issues de la créativité morbide de l’industrie chimique. Si des pictogrammes à tête de mort sont discrètement accolés aux bidons de ces poisons, il est inimaginable de les joindre à un bouquet de fleurs à offrir.

Emmy est le deuxième enfant pour lequel le lien entre pesticides et décès est reconnu par le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Le premier, Théo, 16 ans, a été reconnu victime du glyphosate en 2022, sa mère y ayant été exposée durant sa grossesse seize ans plus tôt. En octobre dernier, Théo et ses parents lançaient un appel à Macron pour qu'il revienne à la raison et interdise l'herbicide de Bayer-Monsanto. Le FIVP a été créé également dans la douleur, en 2020, face au lobbying musclé de l’agrochimie, protégé par la macronie. En février 2019, la majorité du gouvernement d’Édouard Philippe torpille pour la troisième fois l’examen du texte de loi en l’inscrivant au milieu de la nuit, en compagnie d’un autre texte s’attaquant à un autre scandale de l’agrochimie, le chlordécone, du nom de ce pesticide qui a empoisonné la terre des Antilles et les corps des Antillais pour des décennies. Quelque temps plus tôt, Macron actait qu’il ne tiendrait pas sa promesse de sortir du glyphosate. Pourtant, dès cette époque, l’association Phyto-Victimes1recensait 10 000 victimes potentielles à indemniser. Encore un « pognon de dingue » à distribuer à des gens qui ne veulent pas reconnaître les bienfaits du progrès. Le décret d’application ne sera publié qu’en novembre 2020. Car la mort d’Emmy n’est pas le seul drame engendré par les pesticides, et les agriculteurs et agricultrices et leur progéniture en sont les premières victimes.
Ce qui a conduit le docteur Sylvain Chamot à ouvrir la première consultation pédiatrique spécialisée pour les maladies en lien avec l’utilisation des pesticides au sein du CHU d’Amiens il y a un an.2 Leucémies, tumeurs cérébrales, malformations congénitales, troubles du neurodéveloppement sont le lot des professionnels et de leurs enfants au contact de ces produits dangereux.
Agriculteurs, riverains, consommateurs, tous victimes de l’agrochimie
« Nous faisons très attention à ne pas culpabiliser les parents, surtout ceux issus du monde agricole, en grande souffrance. Ils se disent que l’on veut tuer leur profession. Utiliser des pesticides, c’est notre société qui veut ça. Il n’y a pas à juger. Les agriculteurs sont des victimes », précise ce médecin.3 Une femme d’agriculteur et mère d’un garçon de sept ans victime d’un hypospadias4 et opéré en 2023, insiste : « Les agriculteurs suivent ce que les techniciens leur disent de faire. J’entame cette procédure [d’indemnisation] pour les autres enfants et pour que l’État prenne conscience des répercussions que peuvent avoir les pesticides sur la santé. » Au vu des décisions de feu le gouvernement Attal en faveur de l’agriculture industrielle et des intentions du tout frais gouvernement Barnier, pas sûr que ces victimes ou futures victimes pèsent bien lourd.
En fin d’année dernière, peu avant l’ouverture du Salon de l’agriculture, l’Inserm5 publiait dans la revue Environmental Health Perpspectives une étude6 mettait en lumière un lien entre une augmentation du risque de leucémie de type «lymphoblastique» chez les enfants de moins de 15 ans, riverains de parcelles de vignes, risque accru en fonction des surfaces cultivées dans un rayon de 1000 m autour du domicile. Ce qui disqualifie le discours des différents (pas si différents) ministres de l'Agriculture qui ont institué la règle des 5 ou 10 m de zones de «protection» des habitations. Une étude qui n'est pourtant pas de nature à faire douter la FNSEA et la Coordination rurale qui ont demandé une réduction drastique des réglementations dans ce domaine sensible lors des manifestations et coups de force du début d'année. Ce qui a été entendu cinq sur cinq par le ministre démissionné Fesneau et sera sans nul doute repris avec zèle par la nouvelle ministre Genevard. Cette ancienne députée LR, outre qu'elle est anti-mariage pour tous, anti-PMA, anti-gens du voyage, anti-immigration, anti-danses étrangères dans les mariages, anti-militants écologistes, anti-loup... le tout avec force propositions de lois ultra-conservatrices, elle ne ménage pas ses efforts pour faire passer les messages et revendications de l'agriculture productiviste et des pontes de la FNSEA. En janvier dernier, elle a cosigné, avec le groupe LR de l'Assemblée, un livre blanc pour l'agriculture contenant 60 propositions pas vraiment écolo, dont « un moratoire sur la suppression d’outils phystosanitaires » et surtout « moins de charges et moins de normes » . Lors de sa passation de pouvoir fin septembre, elle a rabâché, « pas d’interdiction sans solution », enlevant les mots de la bouche d’Arnaud Rousseau, le patron de l’agriculture productiviste et fan des pesticides. Les parents d’Emmy et de tous les enfants atteints de leucémie lui en seront certainement reconnaissants.
Des pesticides interdits depuis des années détectés

Rien à attendre donc de positif du côté des autorités et du syndicat majoritaire. Sur le terrain, la lutte des parents, des riverains, des agriculteurs bio… pour protéger enfants, santé et cultures saines n’est pas une sinécure. À Montroy, en Charente-Maritime, les habitants ont eu la bonne surprise d’apprendre que leur commune avait connu des taux records, jamais vus en France, d’un herbicide au doux nom de prosulfocarbe, dans l’air qu’ils respiraient au cours de l’été 2022. Cette étude annuelle de l’organisme Atmo-Nouvelle-Aquitaine7 relève même la présence, parmi les 107 molécules recherchées, de molécules interdites depuis plusieurs années en France pour leur dangerosité, comme le chlorpyriphos-méthyl, insecticide utilisé sur les vignes, ou le chlorothalonil, fongicide utilisé sur les céréales. Aucun risque que les pollueurs soient pris. Les Montroyens ont donc décidé de se mobiliser en créant un groupe Facebook8 Et ils se sont aperçu que les légumes de leurs jardins, « leur petit paradis », étaient truffés aux herbicides agricoles, parfois à des doses largement supérieures aux limites autorisées dans l’alimentation, notamment du chlortoluron, un herbicide cancérigène qu’on retrouve également dans l’eau d’un captage.9 Le plus courant reste le prosulfocarbe, connu pour affecter la motricité et les facultés cognitives des enfants et favoriser notamment les leucémies, selon un rapport d’un groupe d’experts réunis par l’Inserm.10 Mais c’est en tout 41 molécules qui ont été repérées dans l’air de Montroy. D’autres associations, comme Avenir Santé Environnement, luttent pour connaître l’origine de la multiplication de cancers pédiatriques dans les campagnes, même si on retrouve aussi ces pesticides dans les atmosphères urbaines où ils s’ajoutent aux autres pollutions. Des parents inquiets enquêtent pour remonter aux sources des pollutions. Il ne s’agit pas de faire la chasse aux agriculteurs, mais de mettre les autorités devant leurs responsabilités lorsqu’elles autorisent la mise sur le marché de produits aussi dangereux pour la santé humaine que pour l’environnement. La FNSEA et le lobby de l’agrochimie peuvent dormir sur leurs dividendes, la ministre Genevard l’a répété en arrivant dans son ministère : « Je vais faire en sorte que, dans les prochaines semaines, des résultats se voient dans les cours de ferme ». Serait-il possible à la ministre Genevard de faire en sorte que les résultats d’une nourriture saine se voient aussi dans les potagers des riverains ?

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1. Phyto-Victimes est une association créée en 2011 par Paul François, un viticulteur charentais intoxiqué par un pesticide et qui a gagné en procès contre Monsanto. https://www.phyto-victimes.fr/.
2. Plus précisément au sein du centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CRPE) des Hauts-de-France.
4. Malformation congénitale du pénis ou plus rarement du vagin.
5. Institut national de la santé et de la recherche médicale.
6. https://ehp.niehs.nih.gov/doi/10.1289/EHP12634 (en anglais).
7. https://www.atmo-nouvelleaquitaine.org/publications/les-pesticides-dans-lair-bilan-annuel-2022.
8. https://www.facebook.com/groups/collectifplfp.
9. https://reporterre.net/En-Charente-Maritime-des-citoyens-s-organisent-contre-les-pesticides.
10. https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-effets-sur-sante/.