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« Ça n’est absolument pas un camouflet pour le gouvernement », a réagi Christophe Béchu1 avec l’aplomb très professionnel de la mauvaise foi du politicien. Le ministre de la Transition écologique a été envoyé au front par un Darmanin qui avait sans doute un problème de digestion de la décision du Conseil d’État qui le désavouait et annulait la dissolution des Soulèvements de la Terre qu’il avait annoncée sur un ton martial en juin dernier.
Le mouvement des Soulèvements de la Terre peut donc continuer à exister sous sa forme atypique et poursuivre son combat contre la prédation des biens communs que sont les terres agricoles, naturelles et forestières et l’eau. Si l’on peut s’en réjouir, une décision contraire n’aurait pas changé la nature du combat encore moins impliqué sa disparition. Les Soulèvements de la Terre sont un mouvement diffus, protéiforme et d’essence anarchiste, c’est-à-dire sans hiérarchie ‒ ou arborescence de décision ‒ ni leaders. Son combat n’est ni sectaire, ni communautaire, il irrigue lentement mais sûrement toutes les couches de la société. C’est le concept du rhizome proposé par les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari, un mouvement « évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales et dénué de niveaux ». Les « plantes » issues de ces rhizomes peuvent être fauchées par dissolution, broyées par les charges de forces de l’ordre ou effeuillées par des procès baillons, elles repoussent d’une manière ou d’une autre, d’un endroit à l’autre, à partir de la diffusion des rhizomes. Parce que ces combats sont légitimes et au service du collectif. Dès l’oukase lancé par Darmanin, dans les plus de deux cent dix comités locaux indépendants et solidaires, se préparaient déjà les résurgences nécessaires à la pérennisation du combat en prévision d’une éventuelle dissolution.
On pourrait utiliser aussi la métaphore d’un immense réseau neuronal d’au moins 157 000 individus et entités, qui génère des connexions (synapses) permettant de nouveaux chemins d’actions, de nouvelles coopérations, l’éclosion de nouvelles associations de défense des espaces vitaux, permettant l’initiation collective à la connaissance des milieux naturels, l’identification commune des menaces, l’introduction citoyenne aux arcanes politique, administratif et juridique, transformant le mouvement en un formidable réseau d’éducation populaire, créant une intelligence collective, bien plus vivante qu’une pseudo-intelligence numérique, tellement artificielle qu’elle efface émotions et empathie.
Contre l’opportunisme capitaliste
Bien entendu, ce mode de fonctionnement réclame imagination, créativité et concertations et un lien humain qui n’aurait jamais dû nous quitter. Il demande de se libérer de la colonisation intellectuelle et coercitive des appareils d’état et capitalistes. Il génère des tâtonnements, des dispersions, des débats et des frottements, des pertes de temps, des découragements, immédiatement contrecarrés par la multiplicité des rhizomes porteurs d’énergie humaniste et de solidarité. Pas de chaos, mais l’invention débridée de nouvelles cohésions, l’initiation à une nouvelle forme d’organisation à démocratie directe, à différentes formes d’activismes selon les possibilités de chacun.
Les Soulèvements fonctionnent bien sur le mode de l’anarchie, au sens politique d’acratie (sans état ou pouvoir), impliquant la responsabilité individuelle, l’autogestion collective et le fédéralisme des comités locaux qui se manifeste par une participation volontariste aux événements et combats locaux (mégabassines, A69, Lafarge…). Le contraire d’un système pyramidal. Des rencontres fédératives, régionales, nationales, permettent de définir les objectifs des « saisons » d’action. Mais dans les territoires, des centaines d’événements et de mobilisations locales éclosent, éveillent les résistances en nombre aussi important que les irruptions brutales de projets écocides.
Car les transitions énergétique et écologique ont aiguisé les appétits du capitalisme, transformant une nécessité vitale en opportunités bassement mercantiles. L’agrivoltaïsme en est un exemple (mais pas le seul). Grands groupes internationaux ou start-ups aux dents longues tournent, comme un vol de vautours, autour des terres agricoles ou de sites naturels et forestiers. L’objectif faussement affiché du gouvernement de couvrir toits, parkings et autres friches industrielles ne fait pas le poids face aux coûts bien moindres d’installations au sol identifiés par ces entreprises focalisées sur leurs seuls bénéfices au détriment de l'intérêt commun. Et elles n’ont en face d’elles que des agriculteurs financièrement aux abois qui ne peuvent offrir que peu de résistance et des collectivités locales appâtées par des rentrées financières. Nos terroirs et paysages agrestes se couvrent donc à vitesse frénétique de marées de panneaux réfléchissants, aux éclats métalliques, cernées de hautes clôtures. Ces entreprises, auxquelles l’État a déroulé tapis rouge, prennent toute la place d’intermédiaires, privatisent la production d’énergie, là où il faudrait des initiatives citoyennes et locales, où les collectivités devraient favoriser l’autonomie des citoyens et les projets collectifs et concertés.

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C’est là qu’interviennent les dizaines de comités locaux des Soulèvements en appui des associations et collectifs de défense qui bourgeonnent dans les campagnes.
Et puis, rêvons un peu. De ces Soulèvements à la fois foisonnants et cohérents, nés d’une expérience riche et victorieuse, Notre-Dame-Des-Landes, pourra-t-on tirer un ferment pour construire une nouvelle société, alternative tellement plus enthousiaste et positive à un appareil d’État répressif, dont les seules libéralités vont aux prédateurs de richesses communes, alternative aussi à des partis politiques pyramidaux qui, même à gauche, même écologistes, reproduisent les schémas de la domination, du doctrinaire et du pouvoir. « Nous ne pouvons enchaîner les actions sans tracer d’horizons. Nos offensives se renforcent en se liant à des propositions qui ébauchent les mondes que nous voulons voir advenir », proposent les Soulèvements de la Terre qui appellent par exemple à créer des « greniers » pour « la production et le ravitaillement alimentaire des luttes sociales et écologiques […] liens durables avec les paysan·nes en lutte que nous côtoyons. »2
Impossible pour quiconque de citer une ou un leader des Soulèvements. Chacun de ses membres ou soutiens se reconnaît dans un combat, un projet commun, un avenir désirable, pas dans un chef ou un pouvoir. Et les Soulèvements restent attentifs à la vindicte d’un Darmanin convoitant ce même pouvoir. Ils sont aussi vigilants vis-à-vis des menaces de violences prononcées par le syndicat patronal de la FNSEA qui vient d’accuser une défaite commune avec ses partenaires du gouvernement. Ce sera une lutte de longue haleine.
Les Soulèvements de la Terre ont lancé un Appel international à des journées d'action contre Lafarge et le monde du béton du 9 au 12 décembre.
N’hésitez pas à rejoindre un comité local : https://lessoulevementsdelaterre.org/comites/la-carte-des-comites.
2. https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/appel-a-la-saison-6-des-soulevements-de-la-terre.