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« Les nations qui maltraitent les femmes échouent. Non seulement ces sociétés se privent de la moitié de tout. De la moitié de l’intelligence. De la moitié de l’amour. De la moitié de la joie. De la moitié du courage. Mais elles produisent quantité d’hommes misérables, remplis de frustrations affectives et sexuelles, lesquelles frustrations générèrent la violence et le chaos. » 1 En lançant cette affirmation, Anne Rosencher, journaliste à l’Express, fait référence à une étude de trois chercheuses américaines, relevée par The Economist.2 Ces dernières ont établi un indicateur rendant compte des avanies que peuvent subir les femmes, mineures ou adultes, dans une société : violences et impunité pour leurs agresseurs, mariage forcé, priorité aux garçons dans une fratrie, inégalités devant le droit de propriété, etc. Appliquant cet indicateur à pas moins de 176 pays, elles ont pu mettre en évidence un lien statistique indubitable entre la soumission des femmes dans une société donnée et son instabilité politique violente. L’exemple le plus tyrannique est celui de l’Afghanistan, où l’Occident a abandonné les Afghanes à leur sort, et surtout à la domination primitive des Talibans. « Le pire endroit pour les femmes » 3 selon le grand reporter et réalisateur franco-afghan Mortaza Behboudi, réfugié en France depuis 2015. Emmurées, invisibilisées, assignées aux seules tâches domestiques et à la reproduction de leurs bourreaux, elles sont désormais contraintes au silence le plus anonyme, tel des meubles sans âme. On ne leur accorde pas plus de valeur humaine que les esclavagistes en donnaient à leurs captifs. Parallèlement, le pays s’enfonce dans une crise et un obscurantisme émaillés d’épisodes de violence.
Des lois contraignantes pour les femmes édictées par des hommes
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Dans le cas de l’Afghanistan comme d’autres théocraties islamiques, Iran, Arabie-Saoudite, la religion, ou du moins ses interprétations par un clergé masculin, est l’instrument principal de ségrégation. Selon Élisabeth Badinter, « le patriarcat n’est pas un simple système d’oppression sexuelle. Il est aussi l’expression d’un système politique qui a pris appui, dans nos sociétés, sur une théologie. Selon que celle-ci fut autoritaire ou tolérante, respectueuse ou non de l’individu, le patriarcat a montré, au cours de l’histoire, différents visages qui vont du pire au tolérable. » 4 Je ne sais pas ce qu’Élisabeth Badinter entend par « tolérable », mais il semble que nous retombions dans le pire, dans un puritanisme à son paroxysme. La charia, qui établit notamment les règles sociales et relationnelles dans le monde islamique, est une interprétation temporelle du fiqh, une sorte de jurisprudence de la loi islamique, mais rédigée par un clergé, là-encore, exclusivement masculin. Ceci explique sans doute cela. Certes, quelques femmes ministres du culte y sont récemment apparues, comme dans le judaïsme ou chez les presbytériens, dans les franges les plus tolérantes, mais rien qui suffise à remettre en cause le pouvoir exclusif des hommes.
Dans l’Occident chrétien, le patriarcat, et son expression la plus brutale, l’idéologie masculiniste, n’est sans doute pas une religion, mais on peut le considérer comme un culte qui doit beaucoup aux racines judéo-chrétiennes, vantées par les milieux de la droite bourgeoise, celle qui n’a toujours pas digéré le droit de vote des femmes, comme celui de leur liberté de disposer de leur corps. Bien qu’ébranlé ‒ ou peut-être à cause de cela ‒ par le Mouvement de libération de la femme (MLF) post-Soixante-huit, le patriarcat revient avec brutalité tenter de reprendre son emprise sur nos sociétés en quête d’égalité. Il reprend de la vigueur parallèlement au regain de pouvoir des religions monothéistes dans les appareils politiques et les relations sociales et servant de support idéologique aux extrêmes-droites.
Sexe fort et sexe faible ?
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Le masculiniste du XXIe siècle, dont Trump est un échantillon tragi-comique, a une logique scolastique, s’appuyant sur un dogme indubitable qui n’accepte pas la contradiction, celui du mâle alpha, du phallocrate. Cette domination viriliste n’est pas inscrite dans les textes premiers des religions abrahamiques, hormis chez les catholiques, dont le clergé pratique la discrimination de genre depuis l’aube de sa domination, quand la femme, supposée avoir croqué dans une pomme, a irrémédiablement compromis sa place dans la société, devenant de fait le « sexe faible ». Une faute originelle et imaginaire qui cantonne les femmes au rôle de subordonnées, quand ce n’est pas d’objets, d’esclaves sexuelles ou de simples corps reproducteurs. Là aussi, des clergés misogynes ont réinterprété les textes fondateurs des religions au service de leur domination. Selon ce culte phallocratique, une partie des hommes s’octroie le pouvoir d’excommunier la moitié féminine de l’humanité, à laquelle ils ajoutent les minorités de genre, qu’ils honnissent peut-être encore plus. Dans la « bible » des masculinistes, les versets vilipendent les femmes et tout ce qu’ils ignorent.
La plupart des dirigeants autoritaires de l’Occident, qui réduisent les droits des femmes, sont arrivés au pouvoir avec l’appui de groupes religieux intégristes et nationalistes, rimant le plus souvent avec extrêmes droites. Trump, qui aime « attraper les femmes par la chatte », a été porté par les évangélistes qui confondent foi et nationalisme. La fin du droit fédéral à l’avortement est une concession faite à ce puissant lobby, le statut de l’embryon comptant plus que la liberté de choix des femmes, même quand elles sont victimes de viol et d’inceste, ou quand la grossesse est à risques. Dans la foulée, les minorités LGBTQ+ sont la cible du duo Trump/Musk, ce dernier reniant l’une de ses filles trans, estimant que « le virus woke a tué [s]on fils ».5 Même chose dans la sainte Russie de Poutine qui dispose d’un fan-club orthodoxe particulièrement va-t-en-guerre. Le patriarche Cyrille est resté admiratif des démonstrations, muscles saillants, de l’homme poutinien. Si quelques femmes hantent furtivement les allées du pouvoir à Moscou, et on aura beau chercher une femme oligarque, les dominants sont entre mâles. Dans le reste de cet immense pays, les femmes sont enjointes à procréer pour contrer un déclin démographique catastrophique et fournir en chair à canon les potentats du Kremlin.
Le capitalisme, une affaire de mâles avant tout
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Selon le classement Forbes, 6 la France compte 53 milliardaires dont seulement 10 femmes, la plupart héritières et n’ayant pas ou peu de pouvoirs exécutoires dans les entreprises. Au bas de l’échelle du fric, les femmes subissent de plein fouet la montée exponentielle des inégalités, à commencer par l’inégalité salariale : les Françaises travaillent gratuitement depuis le 8 novembre, 16h48, 7 alors que leurs collègues hommes continuent d’être payés pour le même boulot. Pour elles, le plafond est en verre blindé. Quand un homme prend la patronne pour l’assistante du patron… Elles sont le gros des troupes du capitalisme dans les emplois précaires, les postes de seconde ligne. Dès l’école, elles sont discriminées et pré-standardisées pour certaines tâches, celles dans lesquelles les hommes ne trouvent pas assez de pouvoir. Y a-t-il des femmes chez les traders ? Y a-t-il des hommes dans les crèches ? Des mères célibataires, bien plus nombreuses que les pères célibataires, prennent souvent toute la charge mentale du foyer tout en peinant à recouvrer les pensions alimentaires de pères irresponsables, qui en sont restés à cette génération de chefs de famille qui ont pour fonction de ramener l’argent au foyer, mais qui, divorcés, abandonne volontiers ce statut à leur ex, rompant la coresponsabilité. Ce n’est pas une généralité mais une réalité trop fréquente.
Dans le monde capitaliste en déliquescence, qui essore toutes les ressources y compris humaines, les femmes ne sont généralement que de la chair à canon, des petites mains, les coolies qui, dans une autre forme de servage de l’empire colonial, ont remplacé les esclaves, sans plus de considération. Dans les pays riches, elles sont aussi des cibles faciles. Les réseaux asociaux du capitalisme numérique font leurs profits des discours haineux de la manosphère8, ces communautés masculinistes, patentées par l’extrême droite, dans laquelle se mélange la misogynie la plus crasse, le racisme, le libertarianisme, le nationalisme, le complotisme, n’en jetez plus, une plongée dans ces antres puants vous sidère, vous glace, vous détruit. Ils sont les héritiers directs des bourgeois du XXe siècle qui se sont opposé violemment au droit de vote des femmes, à la contraception, à l’avortement… La haine des femmes peut aller jusqu’à l’élimination physique dans des tueries dont l’Amérique du Nord a le secret. Ce sont les incels, 9 qui se définissent comme célibataires involontaires, rejetés par la gent féminine et qui en ressente une rancœur haineuse. En réalité des partisans d’un suprémacisme masculin, qui estiment que le féminisme et un supposé wokisme leur volent leur virilité. Jusqu’où se niche la frustration sexuelle ?
La haine des femmes jusqu’à leur élimination
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Dans la culture, la planète rap a, dès ses origines, ses dérives misogynes, des rappeurs bodybuildés, clinquants, se vautrant sur des filles dénudées, chosifiées. Et on découvre l’ampleur, pour ceux qui ne sont pas du milieu, de la culture du harcèlement et du viol dans les coulisses, les loges, sur les tournages. Des femmes osent prendre la parole contre des « monuments » du cinéma, de la musique, du théâtre tout en continuant de subir la réprobation d’une partie de la société. Comme par un curieux effet de balancier, le mouvement #Meetoo contribue à libérer la parole des femmes et à desserrer l’étau phallocratique, tandis que dans de nombreuses parties du monde, leurs droits régressent et leur intégrité est de plus en plus menacée.
Le recul des droits des femmes est parallèle à une pandémie d’inégalités économiques et sociétales inhérente au monde capitaliste. Les femmes (et leurs enfants) sont les premières victimes des crises économiques, des nationalismes, des conflits en tout genre. Pendant que les hommes s’étripent Coran et Torah à la main, 70 % des victimes de Gaza sont des femmes et des enfants selon l’ONU.10 En Occident, les femmes sont les cibles faciles du mépris ordinaire comme de la haine viscérale d’hommes pathétiques. Dans le secret des foyers, les violences conjugales sont en hausse de 10 % en France11 et les féminicides restent à un niveau préoccupant. Cent trois ont été dénombrés en 2023, faisant 124 orphelins, et déjà 84 en 2024.7 Le procès Pélicot, dit des « viols de Mazan », est l’illustration la plus effarante de la déshumanisation du corps de la femme, permettant à des mâles frustes de s’enivrer d’une parcelle de pouvoir. Le chasseur a son gibier…
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Les masculinistes (et complotistes) alertent sur un féminisme qui viserait le contrôle des hommes par les femmes, que ces dernières piloteraient déjà le monde en sous-main, ignorant volontairement leur sous-représentation dans toutes les sphères dirigeantes, malgré un frémissement. La bêtise confondante des mâles qui se veulent dominants est de ne pas voir que les femmes émancipées et l’égalité leur sauveront en réalité les fesses dans une société humaine qui va droit dans le mur. Ils feraient bien de prendre exemple sur la sororité, un concept rassembleur, égalitariste, que l’auteure et créatrice Chloé Delaume décrit ainsi : « Le terme sororité implique l’horizontal, ce n’est pas un décalque du patriarcat. L’état de sœur neutralise l’idée de domination, de hiérarchie, de pyramide. La qualité de sœur, expériences, âges multiples, le cercle est de paroles qui s’écoutent en égales. Différentes mais égales. » 13 Pour elle, « la sororité est la clé du renversement du patriarcat ».14
Les masculinistes ont en réalité peur des femmes, de leur force, de leurs capacités à créer, à procréer, craignant que leur féminité ne les émascule. C’est d’une stupidité confondante. Il faut que les hommes croient en l’intelligence des femmes, sinon, ils creuseront leur tombe.
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2. https://www.economist.com/leaders/2021/09/11/why-nations-that-fail-women-fail (gratuit).
4. Elizabeth Badinter, L’un et l’autre, p.197.
6. https://www.forbes.fr/business/le-classement-forbes-des-milliardaires-francais-2024/
8. La manosphère, au sein de la sphère masculiniste, désigne un ensemble de communautés en ligne où des hommes se retrouvent entre eux pour parler de problèmes qu'ils considèrent « typiquement masculins », et ouvertement revendiquer certains stéréotypes de genre et une haine des femmes. Source Wikipedia et https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/07/09/sur-les-reseaux-sociaux-la-pensee-masculiniste-de-la-manosphere-cible-les-jeunes-adolescents_6134060_4401467.html.
9. https://www.slate.fr/story/214593/plongee-monde-perverti-incels-masculinistes-haine-femmes-tuerie-plymouth-communaute-menace-terrorisme et https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2024/05/23/quand-la-misogynie-deraille-en-terreur/, et https://theconversation.com/plongee-dans-le-monde-perverti-des-incels-masculinistes-frustres-et-haineux-166383.
10. https://news.un.org/fr/story/2024/11/1150406.
12. https://www.feminicides.fr/f%C3%A9minicides-2024.
13. Chloé Delaume, Mes bien chères sœurs éd. Du Seuil (2019).