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Sauver Willy… du péché d’orgueil ! C’est vrai, ça tombait mal pour le patron des tireurs pas vraiment d’élite, Willy Schraen : des accidents graves en cascade au moment où une pétition, "Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça !" lancée il y a seulement quelques semaines, recueillait plus de 100 000 signatures pour réclamer une régulation de la chasse.1 Une conjonction et surtout un succès populaire suffisamment probant pour que le Sénat n’attende pas l’échéance du 10 mars 2022 (fin de période de signatures) pour lancer une mission conjointe de contrôle qui sera suivie d’une inscription à l’ordre du jour d’un texte législatif et d’un débat en séance publique.2 La mort de Morgan Keane, 25 ans, abattu dans son jardin comme un vulgaire sanglier il y a presque un an, a motivé le lancement de la pétition par le collectif d’« Un jour, un chasseur » qui a recueilli des centaines de témoignages de débordements, souvent violents, dans les actions de chasseurs. Au début du mois, dans la Mayenne, c’est un paisible automobiliste de 67 ans transformé en cible vivante qui a été tué par une balle à sanglier par un chasseur de 70 ans qui avait doublé un premier tir raté sur l’animal.
« Le risque zéro n’existe pas, c’est comme ça », a assené Willy Schraen3 avec beaucoup de compassion pour les victimes d’un simple loisir d’une minorité mais qui sont ici considérées comme de simples dégâts collatéraux. « C’est comme ça », donc ça ne se discute pas, ce qui permet de tuer le débat de la régulation.
« Mais t’as pas compris ! »

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La réplique à ce tir groupé populaire n’a pas tardé de la part d’un Willy Schraen, transcendé en chef de guerre, persuadé que l’arme procure au chasseur une domination sans réplique. « Toi, tu penses qu’on est là pour réguler, mais t’as pas compris. T’as pas compris que pour nous c’est une passion ? T’as pas compris qu’on prend du plaisir dans l’acte de chasse ? Moi, mon métier, ce n’est pas chasseur, j’en ai rien à foutre de réguler », a-t-il lancé à une avocate, choquée de l’abattage de gibier en enclos, au cours de l’émission de comptoir et bien nommée « Les Grandes gueules ».4 Des grandes gueules qui n’ont rien à dire (de constructif) mais qui le disent haut et fort. Schraen a donc mis en ordre de bataille son lobby avec à sa tête l’incontournable Thierry Costes, chef de sa garde prétorienne, qui a ses entrées dans les salons ministériels les plus reculés5 jusqu’à l’oreille complaisante et intéressée d’Emmanuel Macron. Ce dernier, candidat en campagne de chasse aux voix pour la présidentielle, ne veut évidemment pas laisser l’électorat des chasseurs à Xavier Bertrand qui a lui, rappelons-le, nommé une responsable d'association de chasse, Véronique Teintenier, 13e vice-présidente de sa Région en charge de la biodiversité, également membre de la commission environnement, ruralité, chasse et pêche.
Thierry Costes avait déjà engagé la bataille de la communication et de l’image, notamment lors de la manifestation des chasseurs le 18 septembre dernier, en dénonçant la « stigmatisation » des chasseurs, une stratégie de communication qu’avait adopté la FNSEA dénonçant l’agribashing, du « chasseur bashing » en quelque sorte. Xavier Bertrand, en pointe dans ce plan com, avait tweeté ce jour-là : « Il y a une chasse qui devrait être interdite : la chasse aux chasseurs ».6

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L’autre contre-offensive est venue de l’incontournable Schraen dans le JDD (14/11) qui a annoncé vouloir « proposer aux élus ruraux, lors du Congrès des maires cette semaine, un "partenariat" afin de donner aux agents assermentés de sa Fédération des pouvoirs de police dans la forêt, pour lutter "contre la délinquance rurale et environnementale" ». Les chasseurs, bras armé de Darmanin dans les prairies et forêts, il fallait y penser. Les exploitants de la FNSEA ont obtenu le soutien d’une cellule Demeter de la gendarmerie, les chasseurs veulent leur propre police. Cela illustre le sentiment de domination de la caste au sommet de la fédération des chasseurs. Une loi révolutionnaire de 1795 (3 brumaire an IV), instituant le corps des gardes-champêtres pour assurer la défense des intérêts de la collectivité des habitants de la commune, a bizarrement gardé une certaine mansuétude vis-à-vis des propriétaires terriens en leur accordant le droit de nommer des gardes particuliers qui peuvent constater « par procès-verbaux tous délits et contraventions portant atteinte aux propriétés dont ils ont la garde » (article 29 du code de procédure pénale) ou « relever les infractions à la police de la chasse ou de la pêche qui portent préjudice aux détenteurs des droits de chasse ou de pêche qui les emploient ». Ces gardes sont aujourd’hui essentiellement des fonctionnaires de l’Office français de la biodiversité (OFB) mais certains sont salariés par des associations de chasse, des parcs naturels ou des propriétaires privés.
Gardiens de l’ordre rural ?
Une note conjointe du ministère de l’Intérieur et de celui de l’Écologie adressée aux préfets8 a toutefois remis les pendules à l’heure face au lobbying des chasseurs visant à faire investir certains agents particuliers de prérogatives judiciaires au profit de groupements privés, d’associations ou fédérations départementales, qui veulent satisfaire une clientèle de propriétaires privés intéressés. Le ministère a donc demandé aux préfets une certaine vigilance sur les critères d’assermentation : « Ces demandes doivent être considérées comme irrecevables, car ces groupements ne peuvent solliciter l’agrément d’un garde particulier que pour assurer la garderie des terrains pour lesquels ils disposent en propre des droits de propriété ou d’usage ou des droits de chasse ou de pêche. » Willy Schraen veut au contraire étendre les prérogatives de police de ses propres agents particuliers sur toutes les zones rurales et sur tous ses usagers. Pas sûr que les militaires de la gendarmerie voient cette milice rurale d’un bon œil tout comme les condés de la Police nationale n’ont pas apprécié l’arrivée des municipaux sur leurs plates-bandes.

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La morgue dominatrice d’un Willy Schraen, l’entregent d’un lobbyiste introduit au plus haut niveau de l’État et les moyens financiers de la Fédération de chasse pour financer ses campagnes… de lobbying, vont-ils avoir raison de l’opposition d’une grande partie de la population qui ne demande pas l’interdiction de la chasse mais quelques jours de répit familial au cours des six mois de saison de chasse et une meilleure régulation pour plus de sécurité ? Pas sûr que les pétitionnaires trouvent du réconfort chez les sénateurs, qui ne sont certes pas soumis au vote des électeurs armés, mais qui se revendiquent ancrés dans une ruralité où les chasseurs estiment qu’ils sont en droit faire la loi. Par contre, les soldats de Willy Schraen et Thierry Costes ont ouvert la chasse aux candidats à la présidentielle, soit pour les rallier à leur cause soit pour décrédibiliser ceux qui ne se montreraient pas assez amicaux, suivez mon regard. Ça va péter dans les campagnes !

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1- : https://petitions.senat.fr/initiatives/i-742.
2- : https://www.facebook.com/unjourunchasseur et https://www.instagram.com/unjourunchasseur/.
4- : https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/replay/les-grandes-gueules/.
5- : se souvenir du témoignage d’un Nicolas Hulot choqué de la présence, sans invitation, du lobbyiste professionnel lors d’une réunion ministérielle sur la chasse et qui avait précipité sa démission.
7- : https://www.lejdd.fr/Societe/willy-schraen-president-des-chasseurs-nous-avons-un-role-a-jouer-en-matiere-de-police-de-proximite-4076848 (payant).
8- : document pdf (INTD0400092C.pdf) à télécharger sur www.interieur.gouv.fr.