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Emmanuel Macron a donné du canon et chaussé ses brodequins de marche à jambières attenantes (voir mon précédent billet) pour prononcer ses vœux à la Nation ou monologuer devant un parterre de journalistes révérencieux et de ministres (y compris le premier d’entre eux) béats de gratitude. Parmi ces derniers, les hochements de têtes approbateurs étaient aussi significatifs qu’un chien qui bouge la tête sur la plage arrière d’une R8 Gordini. Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’heure est grave, il n’est plus temps de chicaner comme de mettre le doigt sur les mensonges d’une ministre de l’Éducation, même les mis en examen sont mobilisables. La « peur du retour de la guerre, du déclassement, de la perte de contrôle , […] les tensions géopolitiques,[…] les menaces d’attentats terroristes,[…] les conséquences du dérèglement climatique », qu’il vient récemment de découvrir1, tout y est passé pour accentuer un malaise populaire, et se présenter aussitôt comme seul recours contre l’ennemi extérieur. Au hasard… comme les immigrés ? Rien ne fonctionne mieux pour un chef de guerre que d’instiller la peur pour susciter la soumission, pour pousser ses concitoyens à resserrer les rangs et à monter au front en rangs très ordonnés. L’extrême droite sait faire et invoque les valeurs nationalistes face aux « invasions barbares » de migrants qui vont siphonner les emplois et aides sociales des classes laborieuses ou souiller les quartiers bourgeois. Macron, lui, en appelle au « réarmement civique ». Le peuple bougon ayant renâclé à lui donner une majorité à force d’avaler des pilules amères, manifestant à tout propos, traînant des pieds à travailler plus pour plus de précarité, notre chef des armées veut « réarmer » à tout-va, sous-titré « pour que l’économie capitaliste du pays reparte de l’avant » menacée par le bruit du canon et les nuages toxiques de la spéculation. « Avec cette métaphore guerrière, le chef de l'État cherche surtout à imposer sa stature régalienne. C’est lui le chef des Armées. Une manière d’affirmer : c’est moi ou le chaos, comme l’avait déjà fait François Mitterrand au cours de son second mandat », affirme Damon Mayaffre2, historien et linguiste, chercheur au CNRS. Il faut croire qu’après un septennat (2017-2024), une politique inconsistante, une absence de vision, une volée de 49.3, et malgré une gouvernance omnipotente, sa stature régalienne n’est pas une évidence.
Réarmer
Il s’agit donc de réarmer l’économie dominante, la grandeur industrielle, l’autorité de l’État. Jupiter se vante d’avoir doublé le budget de l’armée grâce à des lois « historiques », faisant tourner en quasi surchauffe le complexe militaro-industriel, fierté de la Nation. C’est aussi réarmer son industrie nucléaire, pourvoyeuse de plutonium, et ses flamboyants EPR, son agriculture chimiquement dopée, ses champions du bétonnage et du bitumage, sa startup nation à la pointe de la surveillance de masse…
Dans quel but gonfle-t-il les biceps qu’il n’a pas ? Il faut nous protéger, proclame-t-il ! De quoi ? De qui ? Peut-être des obus de caesar, des missiles scalp et autres joyeusetés que la France vend à tour de bras aux régimes autoritaires et autres dictateurs. Et qui pourraient bien se retourner contre nous ou des pays amis, comme ce missile exocet made in France tiré par des Argentins et qui a coulé un destroyer anglais faisant vingt morts en 1982. Mais c’est bon pour la balance commerciale et les actionnaires, et les Français devraient être fiers de leur complexe militaro-industriel extrêmement créatif. De plus, « réarmer la Nation », c’est ériger le nationalisme en idéologie indépassable, c’est chiper le fonds de commerce du Rassemblement National, c’est ce que pratique Poutine pour les objectifs sanglants que l’on sait. Jupiter demande par contre à son gouvernement de « ne pas céder […] à la peur de soulever certains mécontentements ». S’aviserait-il de rétablir l’impôt sur la fortune, de taxer les indécentes richesses, de freiner les appétits capitalistes pour les communs et de mécontenter ainsi ses opulents amis ? Ou pense-t-il à un retour sur les ronds-points des Gilets jaunes ?
Monologue de sourds et leçon de morale
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Le colporteur de conventions citoyennes qui ne portent pas à conséquences, ‒ sortes de performances théâtrales pour acteurs amateurs à qui il a vendu du rêve ‒, préfère le « monologue de sourds »3 et assène ses injonctions. Il veut « réarmer » les services publics, ce qui est une forme d’aveu : ils ont précédemment été désarmés, notamment par une lignée de gouvernements orthodoxes, de droite comme de gauche, dans leur approche purement économique de la gouvernance, dont ceux d’un certain président Macron ne sont pas les moindres coupables. Mais sans doute estime-t-il que les fautifs sont ailleurs. C’est pourquoi, il y a ajouté le « réarmement du civisme » chez un peuple qu’il juge sans doute ingrat et par trop dilettante, en tous cas pas assez enthousiaste à faire tourner la machine du capitalisme débridé et des inégalités. Ce réarmement du civisme est-il le prélude à une mobilisation générale ? L’« obéissance » à l’« autorité », à l’« ordre » étatique, l’« uniforme » ‒ que n’a-t-il parlé de tenues civiles identifiables plutôt que de faire référence, une fois de plus, à l’ordre militaire ‒ sans oublier le SNU (Service national universel) obligatoire pour apprendre à marcher au pas, le général Macron se montre en mauvaise copie d’un autre général et en parfait héritier d’un Sarkozy. Va-t-il dissoudre les mauvais éléments de la Nation au Karcher ? Par contre, de mobilisation générale et solidaire… contre le bouleversement climatique et l’effondrement écologique, contre les inégalités (sociales, économiques, de genre, culturelles, de territoires…), il n’a point été question, ce sont là des objectifs secondaires pour un chef de guerre.
Désarmons les dominants
Et si, au lieu de réarmer la chaudière à dividendes, on désarmait les oukases présidentiels et tout ce qui, soutenu par sa politique délétère et la contribution involontaire des contribuables, pollue l’environnement et les hommes, asservit les travailleurs, privatise les communs, vampirise les services publics ? Désarmer la politique de domination des puissants est devenu vital. Les Soulèvements de la terre ont fait du désarmement des entités privées, s’appropriant les terres nourricières et naturelles ainsi que l’eau, un moyen de défense légitime de la communauté des femmes et des hommes habitant les territoires et désirant y vivre et en vivre, en préservant les ressources, les paysages, les communs et finalement la cause communautaire plutôt que les intérêts particuliers.
Désarmer, c’est ridiculiser ces logorrhées de bateleurs, rois de l’escamotage, tel ce prononcé de vœux, ressemblant plus à une harangue de galonné avant l’assaut, dont l’orateur sait qu’il sera douloureux pour la piétaille, autrement dit les moins fortunés. Il nous faut dégonfler ces discours politiques creux, qui ne visent pas à emmener un peuple vers un idéal ‒que les politiciens professionnels sont bien incapables d’imaginer ‒, mais satisfaire sur le moment, comme un double rail de coke, leur addiction au pouvoir et leur égo. Il nous faut déconstruire (comme un McDonald’s !) les opérations de ripolinage écolo des grands groupes industriels et commerciaux, débusquer les manœuvres secrètes des états-majors du capitalisme, les mettre à nu, avec l’aide du journalisme indépendant qu’il nous faut soutenir.
Désarmer, c’est pratiquer le boycott à grande échelle des multinationales monopolistiques, des transnationales du commerce en ligne, des trusts, de l’agro-industrie qui empoisonne les corps et les champs, de la grande distribution qui asphyxie PME, artisans et paysans. C’est se rendre sourd et aveugle aux flux fétides des réseaux sociaux, aux brouillards toxiques du mensonge et des manipulations de masses que sont les campagnes publicitaires et électorales. C’est ignorer les médias sur papier glacé des patrons multi-millionnaires, conseillers premium du pouvoir politique.
Désarmer, c’est pratiquer la désobéissance civile, créer encore plus de zones à défendre les communs, bloquer les bétonneurs et les bitumeurs, partout où ils sévissent. C’est déchirer le voile de secrets qui entoure les grandes industries les plus nocives (énergies fossiles, nucléaire, tabac, chimie et pesticides…), mettre en pièce leur galimatias pseudo-scientifique, pseudo-écologique. C’est lancer des contre-campagnes populaires contre un capitalisme prédateur qui se repaît de l’inflation sur notre dos, coupables de notre embastillement dans un univers de consommation addictive.
Désarmer c’est décoloniser notre imaginaire
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Désarmer, c’est décoloniser notre imaginaire, comme le suggère judicieusement l’économiste théoricien de la décroissance Serge Latouche4 qui « prône d’entamer un sevrage à notre toxicodépendance à la consommation. […] Comme tout drogué, nous préférons continuer à nous approvisionner, accumuler toujours plus, plutôt que d’entamer le sevrage. Nous savons tous que nous allons dans le mur, mais nous préférons ne pas y croire, car cela exige une rupture radicale. Un changement de civilisation. »5 Décoloniser notre imaginaire, c’est donc retrouver une liberté de penser, de s’engager, c’est être libre d’inventer d’autres mondes qu’une startup nation ou une nation encasernée, des mondes locaux, régionaux, proches des gens qui habitent leur territoire, qui le connaissent sur le bout des doigts, et qui peuvent organiser le sevrage dans un souci d’égalité et de préservation des communs.
Désarmer Macron et son capitalisme désinhibé, c’est retrouver une bienheureuse sobriété qui laisse la place à un bonheur de vivre ensemble et en harmonie avec le monde vivant. C’est cultiver collectivement l’autonomie et la solidarité. C’est retrouver le sens de l’hospitalité, de l’accueil de l’autre, de la différence, parce qu’elles nous rendent bien plus riches qu’une armée de followers, qu’un mur d’écrans connectés. Désarmer, c’est lutter contre l’uniformisation qui anéantit la surprise, l’étonnement, la saveur en bouche. C’est lutter contre le clonage ultime de notre alimentation, de nos cultures populaires, d’un monde au service servile d’une oligarchie.
Les dominants ne peuvent plus penser à notre place, au risque pour nous de ne plus penser du tout.
2. https://www.ouest-france.fr/politique/mais-pourquoi-emmanuel-macron-veut-tout-rearmer-95f65530-af99-11ee-82ae-73e88db45bf9, Damon Mayaffre, Macron ou la puissance du verbe (éd. de l’Aube).
4. Serge Latouche, Décoloniser l'imaginaire : La Pensée créative contre l'économie de l'absurde, éd. Parangon, 2003 ( réimpression 2011).