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Billet de blog 17 décembre 2025

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On achève bien les paysans

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Illustration 1
© Paola Breizh

Le livre d’Horace McCoy, On achève bien les chevaux, 1, qui s’est lui-même retrouvé ouvrier agricole saisonnier dans la crise des années 1930, parle d’un couple, naufragés du rêve américain durant la Dépression, qui tente sa chance dans un marathon de danse pour sortir la tête de l’eau, au risque d’y laisser sa peau et de s’abandonner au suicide. J’ose le parallèle avec l’agriculture française de ces dernières soixante années. Les agriculteurs sont les naufragés du rêve industriel et exportateur d’une poignée de propriétaires terriens et d’industriels. Fini les mains calleuses, les bottes crottées, le dos courbé sur les sillons, les exubérances gênantes de la nature, les foires locales et les cochonnailles cuisinées avec famille et voisins. L’éleveur, le cultivateur, est devenu l’exploitant agricole, créature de la FNSEA, bercé de l’illusion de devenir à la fois patron, trader, techno-scientiste, chimiste… Il s’est vu architecte bâtisseur d’une agriculture capitaliste et est devenu fossoyeur d’une terre vivante, son principal capital. La crise actuelle n’est que l’énième convulsion d’un grand corps malade des orientations politiques et économiques de ses élites.

Vouloir faire étables rases, sous contrainte policière, tout en déroulant une plaidoirie amphigourique et anxiogène, démontre seulement l’impréparation du tandem ministère-syndicat majoritaire face à une épizootie déjà connue et appréhendée (La Réunion 1970 et 1992).2 Cela traduit aussi le négationnisme d’un obligatoire changement de modèle agricole pris dans le tourbillon d’un climat en feu et de l’effondrement écologique. Ce négationnisme imposé par les gestionnaires associés du modèle agro-industriel, gouvernements libéraux (y compris de gauche)/syndicat patronal de la FNSEA, n’aura servi qu’à faire monter au créneau l’extrême droite agricole, représentée par la Coordination rurale qui, au passage, veut « faire la peau aux écolos ».3 N’y voyez-vous pas un parallèle avec le monde des droites politiques, de son alliage compromettant en construction ? Dans ces deux théâtres d’opérations aux intérêts de pouvoir bien compris, les victimes collatérales sont les populations enferrées dans ces idéologies, à mille lieues des nécessités vitales de nourrir, soigner, éduquer, autonomiser, protéger. Pour les budgets de l’État et de la Sécu, ce sont les plus modestes, les plus malades qui vont morfler. Dans le monde agricole, c’est l’agriculture familiale, polyproductrice et vivrière, qui a été sacrifiée et/ou asservie au service exclusif d’intérêts capitalistes et de tractations géopolitiques, voire néocolonialistes : le blé et la viande en produits de marchandage, voire de chantage.

L’agro-industrie détruit un pays de cocagne

Illustration 2
© calimityjane

Nos paysans, ceux qui restent, ceux qui ont gardé les pieds sur terre, se retrouvent sur un radeau de la méduse au milieu d’un territoire agricole qui se désertifie, humainement et écologiquement. Le Sud-Ouest est encore une région de résistance de cette agriculture familiale, contre laquelle les puissances dominatrices de l’État, commanditaire des patrons de l’agro-industrie, utilisent la force (il)légitime pour rentrer dans les étables et exécuter les troupeaux, dans le seul but de préserver la qualité d’exportateur, non pas du monde agricole, mais d’un consortium politico-industriel. Le basculement dans le négatif de la balance commerciale des produits agricoles 4 est un désaveu cinglant à la direction prise par l’agro-industrie qui a, au passage, tout fait pour compromettre toute voie alternative, prenant au piège paysans et fermiers dans des processus industriels, mais aussi ceux qu’ils sont censés nourrir, c’est-à-dire tous ceux qui ne peuvent se payer des produits de luxe pour la tablée des fêtes, pas même des produits sains pour les repas de chaque jour. La viande de qualité des bêtes abattues était probablement plus réservée à la bourgeoisie ou à l’exportation qu’à la population la plus modeste. Cette dernière, c’est l’agro-industrie qui s’en charge, avec ses produits ultra-transformés dotés d’un « Soleil vert » sur l’emballage.

Le pays de cocagne que pourrait être la France agricole, a été prédaté par l’agro-industrie exportatrice, lui faisant perdre sa souveraineté alimentaire. Seize millions de têtes de bétail, en partie nourries aux sojas brésilien et argentin, ne font pas une souveraineté alimentaire. Envoyer des cheptels entiers à l’engraissement hors de nos terroirs est une hérésie écologique par les transports maltraitants d’animaux que cela entraîne. Les élevages, surtout intensifs, monopolisent des terres également en France 5 avec des productions végétales (maïs surtout) qui pourraient nous nourrir sans intermédiaires bovins, avec des productions adaptées aux changements climatiques. La viande rouge était, dans un passé pas si lointain, un met d’exception, réservé aux jours de fêtes, aux dimanches familiaux. Ce qui nourrissait au quotidien étaient les protéines végétales dont on devrait redécouvrir la richesse des saveurs et des bienfaits. Comme l’élevage, quel qu’il soit, était complémentaire des productions végétales dans les fermes. L’élevage exclusif doit être avant tout extensif dans les zones non ou difficilement cultivables, mais réclamant un entretien paysager. Mobiliser des terres cultivables, ici ou ailleurs, pour alimenter des usines à viande ou à lait n’est pas supportable. De même qu’il est affligeant de voir se lamenter la FNSEA devant l’augmentation des importations massives de produits agricoles étrangers (non au Mercosur) et de consacrer 550 000 hectares à la production d’agrocarburants pour nos bagnoles.6 Pas très nourrissant.

Priorité à la production vivrière et locale

Illustration 3
© Thomas Loire

La production agricole vivrière et locale doit avoir priorité absolue sur les productions d’exportation, qui ne doivent concerner que les surplus. Cette agriculture peut être à l’écoute de la recherche scientifique et des innovations, tout en gardant une prudence… de paysan et en ne perdant jamais de vue la préservation de terres vivantes. Les usines à protéines n’ont et n’auront jamais de justification autre que l’appât financier d’affairiste, tout comme l’agrivoltaïsme massif qui colonise les terres. Il est inique et dangereux d’abandonner la production alimentaire aux salles de marchés financiers. Dans leur monde de chiffres et de fric, les paysans français, spoliés de leur indépendance, et les paysans des pays importateurs, écrasés par le dumping des produits subventionnés, sont tous perdants. Ce qui n’est pas interdit, ce sont les échanges dans un cadre respectueux des paysans et des populations à nourrir, en restant dans un rayon géographique raisonnable.

La FNSEA a réussi l’exploit de la profonde division du monde agricole et favorisé l’émergence du populisme d’extrême droite en son sein. Elle s’en inquiète, mais il est sans doute déjà trop tard pour elle et y a perdu des plumes lors des dernières élections professionnelles, malgré une hégémonie sur les leviers structurels et politiques. Les abattages systématiques et ravageurs pour les éleveurs, relèvent de sa seule responsabilité. Son alliance avec le pouvoir politique a jeté dans l’opposition des alliés comme les Jeunes agriculteurs ou des francs-tireurs comme les Ultras. Le Grand Soir serait l’arrivée de l’extrême droite à l’Élysée et une razzia de la Coordination rurales sur les instances agricoles. Qui peut alors imaginer un monde agricole prospère dans ces conditions ?

Reste à savoir si le monde agricole nourricier pourra se relever avec suffisamment de force pour changer de modèle et s’adapter aux bouleversements écologiques. Sous risque de fermeture définitive, laissant la place aux seuls industriels et businessmen.

1. Horace McCoy, On achève bien les chevaux, en Folio chez Gallimard ou en poche chez Gallmeister.

2. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/dermatose-nodulaire-contagieuse-dnc-epidemie-bovin-france-ile-de-la-reunion-vaccin.

3. https://france3-regions.franceinfo.fr/occitanie/gers/auch/il-appelle-a-faire-la-peau-aux-ecologistes-ouverture-d-une-enquete-apres-les-propos-du-nouveau-president-de-la-coordination-rurale-3255418.html.

4. https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/BilanConj2025/detail/.

5. Environ 52 % des terres agricoles sont utilisées par les élevages (prairies et landes) + 20 % de terres cultivables pour produire des végétaux destinés à leur consommation, auxquels il faut ajouter les terres à soja souvent prises sur la déforestation en Amérique du Sud.

6. https://www.franceagrimer.fr/sites/default/files/2025-10/21012025_NOTE_MAJ%20SAU.pdf.

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