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Billet de blog 20 janvier 2023

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Le sens du partage

Le service après-vente gouvernemental veut un « juste partage des efforts » pour financer les retraites, sachant qu’il exclue d’autorité la participation des plus hautes retraites, des cotisations patronales ou d’une taxation des superprofits de crise des plus opulents. Le pays n’a jamais été aussi riche. Le juste partage ne serait-il pas celui de ces richesses pour une vie meilleure pour tous ?

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Illustration 1
La redistribution des richesses s'impose © Alternative Libertaire

Gabriel Attal était à l’attaque ce vendredi matin sur France Inter (20/01) pour faire le service après-vente du projet de réforme des retraites dont aucun syndicat ne veut, ni la quasi totalité de ceux pour qui elle annonce une prolongation de peine. Et de marteler que leur réforme est « juste », « équilibrée » et qu’il doit y avoir « un juste partage des efforts ». Des éléments de langage répétés jusqu’à la nausée, sur tous les médias, en louvoyant avec virtuosité entre les rares questions gênantes.

Car qu’entendent-ils par « juste partage des efforts » ? Des efforts à partager entre qui et qui ?

Dans le mode d’emploi (façon de parler) de leur réforme, ils excluent catégoriquement de ces efforts, donc non négociable, les retraites les plus élevées (aussi disproportionnées que certains salaires), les cotisations patronales (parce qu’il faut diminuer toujours plus le coût du travail pour les entreprises), et une taxation, même modeste, des énormes butins que les plus riches ont accumulés, sans scrupules et sans coup férir, dans le sillage des dernières crises, du Covid à L’Ukraine. Alors, que reste-t-il ? Les plus précaires, les classes ouvrières et moyennes, les sans-patrimoine, les « sans-dents » comme les a nommés un ex-président… de gauche. C’est vrai qu’un partage des efforts entre pauvres, ça ne mange pas de pain : s’ils veulent une meilleure retraite, qu’ils se la payent ! C’est comme ça qu’on unit un pays chez les macronistes, en prônant la solidarité de classe : les impécunieux avec les impécunieux, les opulents avec les opulents. Ces efforts seraient urgents, justifiant la peine brutale de deux ans de plus à trimer, car le système de répartition, exemple de solidarité nationale voulue par le Conseil national de la Résistance dans un pays à genoux à la sortie de la guerre, serait à l’agonie. Mais que fait le fantomatique Conseil national de la Refondation, hochet proposé par Macron ? Et de brandir les spectres des déficits publics, de la dette souveraine, le pays est à genoux, nos enfants sont promis aux galères…

Sauf que « la France [est] un pays bien plus riche qu’on tend à l’imaginer », dixit lefigaro.fr (28/09/22), aveu circonstancié de la première classe dans son média maison qui poursuit : « Alors que l'inflation en hausse et le pouvoir d'achat en baisse n'en finissent pas de faire les gros titres, la Banque de France livre [...] une information plutôt à contre-courant de l'intuition générale. La France ne s'appauvrit pas, loin de là… » avec un patrimoine national de 18 906 milliards d'euros en 2021 et un PIB de plus de 2 500 milliards qui abondent le pactole chaque année. La somme des profits 2023 des boîtes du CAC40 est de 172 milliards, en hausse de 34 %, selon investir.lesechos.fr, qui évite de se réjouir trop bruyamment. Entre les rachats d’action et les dividendes records, ces entreprises « ont distribué le montant record de 80,1 milliards d’euros à leurs actionnaires » (20minutes.fr, 08/01/23). « Le nombre de banquiers millionnaires n’a jamais été aussi élevé en Europe », titre Le Monde (20/01) sur la foi d’un rapport de l’Autorité bancaire européenne. Rien qu’en France, 371 de ces costard-cravate dépassent le million en rémunération. Les cinq principales banques françaises ont engrangé 32,5 milliards d’euros de bénéfices net en 2021, alimentés pour une bonne partie, par les frais bancaires, ponctionnés en particulier sur les comptes d’une population en difficulté depuis l’enchaînement de crises, et qui participent à les enfoncer un peu plus.

La France est riche ou plutôt les riches Français sont encore plus riches

En conséquence logique, voitures, montres et logements de luxes ne connaissent pas la crise et s’arrachent. Le fric en quantité astronomique, ça ne se laisse pas sur un compte bancaire, même offshore. « Ces montres de luxe devenues introuvables dans les magasins », (pas le supermarché du coin) s’affligent lesechos.fr (daté du  21/05/22 mais toujours valable aujourd’hui). « 2022, année record pour Bentley, Lamborghini ou encore Rolls Royce », fanfaronne automoto.fr (11/01/23), et malgré la succession de crises, « les marques de luxe résistent. Pis encore, elles affichent des bilans financiers tout simplement insolents. » Là aussi, c’est la pénurie dans les concessions. Vite, un plan d’urgence de l’État.

Le pays est donc riche. Sauf que cette richesse, produite par tous, et en premier lieu par les petites mains qui tiennent les pieds de l’échelle sociale, est récoltée et jalousement thésaurisées par une petite caste, celle des milliardaires et autres multimillionnaires. En 2022, « Les 10 premiers milliardaires français ont augmenté leur fortune de 189 milliards d’euros, l’équivalent de deux ans de facture de gaz,d’électricité et de carburant des Français-e-s », note le dernier rapport Oxfam2. Certes, les riches réinvestissent, notamment dans les produits de luxe de la famille Arnault ou les armes volantes de la famille Dassault, ce qui fait le bonheur des peuples et reste dans la famille, surtout qu’on se refile le bâton de maréchal de génération en génération. Ils ont le sens du partage demandé par Gabriel Attal et consort. « Sur les 10 dernières années, en moyenne, pour 100 € de richesses créées en France, 35 € ont été captés par les 1 % des Français-e-s les plus riches, 32 € par les 9 % suivants. Les 50 % les plus précaires n’en ont capté que 8 € », constate Oxfam.

Alors, il est où l’argent des futures retraites du commun des mortels qui ne volent pas en jet privé ?

Face à la montée en pression de la rue et au succès des manifs, en ville comme dans les campagnes, gouvernement et rentiers doivent commencer à s’inquiéter. Surtout si, comme avec les Gilets jaunes en leur temps, des mouvements catégoriels coalisent (santé, étudiants et lycéens…) et s’émancipent du cadre syndical, jugé trop étriqué. Ce n’est peut-être pas le moment de sortir la Lamborghini du garage, Patek Philippe au poignet.

1. : BNP Paribas (9,5 milliards d’euros de bénéfice net), Crédit agricole (9,1 milliards), Société générale (5,6 milliards), groupe Crédit mutuel (4,3 milliards) et BPCE (4 milliards).

2. : https://www.oxfamfrance.org/.

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