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Billet de blog 20 mars 2020

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J’ai rêvé d’un autre monde

La pandémie nous submerge et nous donne un avant-goût d’effondrement. Il est difficile de se projeter au delà de la journée en cours. Mais même claquemurés, il ne nous est pas interdit de rêver, de réfléchir à l’après, de rassembler nos forces pour faire triompher un nouveau monde.

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Comme un avant-goût…

Le fil internet nous relie à un monde anxiogène, à la fois grouillant de coronavirus et pris de catalepsie face à l’invasion, mortelle pour trop d’humains.

Planqué dans mon coin de bocage, j’ai l’immense privilège de pouvoir encore respirer à pleins poumons sous le soleil printanier, à une année lumière des situations désespérées que vivent malades et héros en blouses blanches.

Je m’enfonce quotidiennement dans les bois, sans âme humaine qui vive, mais explosant de vie animale et végétale, pour m’éloigner un temps du flux insensé d’infos d’un monde confiné, qui va bientôt sentir le renfermé. Pour libérer, l'espace d'une heure ou deux, mon esprit de l'emprise de la catastrophe.

Cette ambiance de fin d’un monde à l’air vicié porteur de mauvaises nouvelles qui jaillit des écrans ; ces boulevards désertés ; ces courbes qui s’affolent à la hausse (malades et morts) ou qui plongent dans le rouge (bourses) ; ces milliers d’avions cloués au sol ; ces scènes de panique dans les magasins ; ces familles entières qui tentent d’échapper à leur prison urbaine...

La pandémie courre à travers les continents à la vitesse d’une mondialisation qui s’auto-consume.

Et c’est comme un avant-goût... d’effondrement.

Comme un avant-goût de ce qui nous attend au bout du changement climatique et de l’anéantissement du vivant.

Des milliers de scientifiques, d’intellectuels, s’époumonent depuis des mois, des années, au milieu du brouhaha médiatique et de la frénésie consommatrice pour avertir décideurs et populations des fléaux à venir. Et les pandémies en faisaient partie1, comme les résistances bactériennes2.

La France, pays riche, manque cruellement de simples masques, petits objets de tissu, ne serait-ce que pour protéger les soignants. Le gouvernement discoure gravement, s’agite à la poursuite du virus, érige le corps médical et scientifique au panthéon. Pensant faire oublier sa gestion néolibérale des communs, du système de santé en particulier. Les stocks stratégiques de produits de santé font l’objet depuis 2011 d’une gestion purement comptable et reposant depuis sur l’idée que le marché mondial avait des capacités « suffisantes » pour pourvoir aux situations d’urgence3.

L’« efficience des marchés », antienne du néolibéralisme, a encore frappé. Le pressurage du monde de la santé et de ses personnels, déjà au bout du rouleau avant l’arrivée de cette nouvelle plaie, avait la même base idéologique. Quant à la recherche et à l’université qui clament leur misère depuis des mois, Macron, en visite à l’Institut Pasteur, a attendu la longue litanie de morts pour clamer : « La crise du Covid-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique ». Il fallait bien des centaines de malades et de morts (pour ne parler que de la France) pour arriver à cette conclusion. Tout en restant mesuré puisqu’il octroie 5 milliards d'euros supplémentaires sur dix ans sachant que la France a un budget de 50 milliards pour la recherche contre 92 en Allemagne.

Comme un arrière-goût d’amertume…

Enfermé à la maison, il est difficile de se projeter au delà de la journée en cours. Mais dans ce chemin boisé peuplé d’une joyeuse troupe animalière, je tente de penser au monde d’après.

Quel sera t-il ?

Les informations, les hypothèses, les projections, les prévisions nous plongent dans un monde sans horizon. Nous sommes ballottés dans un ascenseur émotionnel pris de spasmes.

Je rêve d’un autre monde.

D’une catastrophe planétaire peut naître un autre monde.

Mais les indices sont aussi contradictoires que nos émotions.

En vrac.

Bonne nouvelle : dans la grande débâcle boursière, les grandes fortunes prédatrices, les fonds vautours (hedge-fund), les rentiers hableurs, les pétroliers pollueurs, sont en train d’y perdre des pans de chemise voire quelques caleçons. On sait que les guerres mondiales ont réduit considérablement les écarts de richesses en anéantissant une partie des grands patrimoines. Fallait-il en arriver là pour réduire les inégalités ? Les grandes fortunes ont encore de la ressource, voyez Jeff Bezos, patron d’Amazon, se frotter les mains devant l’explosion du commerce en ligne alors que les magasins ont dû baisser le rideau et qu’il met encore plus, s’il était possible, ses salariés sous pression.

Mauvaise nouvelle : le monde de la finance boit la tasse et compte, comme un migrant au milieu de la Méditerranée, sur une bouée de sauvetage lancée par les États et les banques centrales. Comme en 2008. Sachant que cette finance toute puissante, comme une toxico perfusée en monnaie de singe4, a repris, dès 2008, ses jeux de casinos à hauts risques avec une créativité inépuisable. Cette finance des fonds d’investissements, qui vide le tissu économique de ses actifs et de ses salariés, donc de ses véritables richesses, est incontrôlable malgré les déclarations péremptoires du G7, des régulateurs étatiques, des banquiers centraux5.

Bonne nouvelle : la pollution, notamment atmosphérique, va provisoirement mais drastiquement baisser6. Même les Chinois redécouvre la couleur d’un ciel sans nuages. Le transport aérien débridé est en train de se crasher, les bagnoles sont au garage, les centrales à charbon lèvent le pied… les malades du Covid-19 toussent mais pas à cause de la pollution, même s’il semble que celle-ci ait laissé nos poumons très vulnérables à cette saloperie7.

Mauvaise nouvelle : le lobby de l’industrie du plastique exulte8. Entre le plastique médical à usage unique et la dégringolade des cours du pétrole, voilà un secteur qui devrait esquiver la crise mais produire une montagne de déchets. Et s’il vante l’usage unique pour éviter la propagation du virus, il oublie de dire que, dans nos intérieurs, c’est entre autres sur les surfaces en plastique que le coronavirus semble persister le plus longtemps9. Et n’oublions pas la souillure planétaire que représente le plastique qui est loin d’être « fantastique ».

Bonne nouvelle : la chute du nombre d’accidents de la route devrait être spectaculaire.

Mauvaise nouvelle : y aura t-il plus d’accidents domestiques ? Des médecins appelle les bricoleurs du dimanche à se calmer, ils ont autre chose à faire qu’à opérer des mains.

Bonnes nouvelles : des solidarités se mettent en place, de l’empathie parcourt internet et les quartiers, le dévouement et l’entraide comme remèdes à l’isolement et la dépendance sont nombreux même s’ils sont silencieux, les gens redécouvrent des liens humains auparavant dissous dans le métro-boulot-dodo-réseaux sociaux.

Mauvaises nouvelles : les pirates et hackeurs s’en donnent à cœur joie sur les réseaux et les vols de masques, vitaux pour les soignants, sont pratiqués par des recalés de l’humanisme.

Bonnes nouvelles : les dealers sont en chômage technique, les cambrioleurs ne trouvent pas beaucoup de logements vides.

Bonnes nouvelles : la mise en place de la 5G est mise en sommeil, les chantiers et projets pharaoniques sont stoppés, les chasseurs sont confinés, la nature profite du printemps,…

Mauvaise nouvelle : gouvernements et banques centrales arment un impressionnant arsenal budgétaire en millier de milliards pour relancer sur les chapeaux de roues la machine à consommer et consumer avec la trouille que la sphère financière s’effondre totalement.

Bonne ou mauvaises nouvelles ? Macron et ses ministres parlent de « nationalisations », d’interventionnisme économique et social, de sauvegarde du système de santé et de la recherche. Bruno Lemaire a dit :  « Il y aura dans l'histoire de l'économie mondiale un avant et un après coronavirus : nos peuples demandent que nous soyons plus indépendants. »10 Cela dit avec les œillères de l’économiste libéral qu’il est, cette phrase contient autant de nationalisme que de démondialisation. Les gouvernements libéraux redécouvriraient-ils les vertus des communs, d’un État et d’un budget au service de la population qu’ils sont sensés protéger contre les virus mais aussi contre les crimes du néolibéralisme ?

Je rêve d’un autre monde mais je ne me fais pas d’illusions.

Le capitalisme égoïste, le néolibéralisme prédateur, la finance mortifère sont loin d’avoir rendus les armes. Les égoïsmes sont vivaces comme l’ont prouvées les ruées sur les stocks ou les personnes qui se jouent des mesures de confinement ; les régimes autoritaires voient dans cette crise l’occasion cloîtrer leurs peuples dans les limites de leurs idéologies nationalistes ; les idéologies racistes et xénophobes sont à l’affût dans le sillage des politiques d’exception mises en place pour contenir la pandémie ; les multinationales ont encore suffisamment de pouvoir de nuisance pour continuer de piller de plus belle la planète dès l’orage passé; l’arsenal mondial et le marché des armes ne s’est jamais aussi bien porté.

Je rêve d’un autre monde mais beaucoup d’autres rêvaient aussi d’un autre monde : ils se sont écrasés sur les barbelés des frontières, se sont noyés en pleine mer, ont sombré dans la froideur nocturne d’un parking ou d’une bouche de métro. D’eux, plus ou peu de nouvelles : les milliers de réfugiés massés aux frontières européennes, les civils écrasés par les bombes russes et syriennes, les migrants entassés dans les centres de rétention, les SDF… tous passent à la trappe médiatique. Entre le virus et l’oubli, juste une plaie de plus sur leurs corps meurtris.

Si la mondialisation des marchandises et des profits chancelle, l’espérance d’une mondialisation des coopérations et des solidarités est encore dans les limbes. Les quelques échanges de matériel médical entre la Chine et l’Italie, la France ou l’Irak ne peuvent cacher les frontières qui se sont fermées, les réquisitions nationales de matériel médical...

Je pensais être à l’abri dans mon coin de bocage.

Pourtant, le vieux monde me rattrape inexorablement : un jeune agriculteur, un de ceux qui manifestent régulièrement sur leurs tracteurs neufs de 260 ch, vient de racheter une quarantaine d’hectares autour de chez nous. Depuis le début de l’épidémie, il y fait travailler quatre pelleteuses pour y éradiquer la moindre trace de vie libre bordant ses parcelles : haies, taillis, bois, ruisseaux, rien ne doit subsister et gêner l’avancée de ses engins . Puis ce sera, comme il l’a déjà fait, le cycle glyphosate, labours destructeurs, engrais de synthèse, culture de maïs subventionnée…

Le vieux monde bouge encore pourtant, je rêve encore d’un autre monde.

Ce qui est sûr, c’est que, malgré les pertes, il va falloir encore se battre pour faire advenir un nouveau monde apaisé, solidaire, social, écologique et émancipateur.

1 : http://www.slate.fr/story/181911/sante-risque-pandemie-preparation-changement-climatique-pauvrete, https://up-magazine.info/index.php/le-vivant/sciences/7860-les-scientifiques-attendent-la-prochaine-pandemie-mondiale-elle-pourrait-venir-d-un-simple-rhume/, https://www.science-et-vie.com/archives/la-pandemie-mondiale-36315, https://www.lepoint.fr/sante/maladie-x-la-prochaine-epidemie-mondiale-13-03-2018-2202169_40.php, et bien d’autres.

2 : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/01/27/en-inde-la-resistance-aux-antibiotiques-devient-un-probleme-sanitaire-tres-serieux_6027416_1650684.html

3 : https://www.bastamag.net/masques-chirurgicaux-FFP2-stocks-penurie-Covid19-malades-hopitaux-medecins-generalistes

4 : Monnaie de singe parce que monnaie créée ex-nihilo sans rapport avec la valeur réelle des richesses produites par l’économie réelle. Ce qui a fait gonfler la valeur des actions, monter les bourses sur des sommets himalayens sans rapport avec les bilans des entreprises. Ce qui a fait enfler une sphère financière opaque et déconnectée mais qui lorsqu’elle s’effondre, entraîne l’économie réelle.

5 : https://www.mediapart.fr/journal/international/160320/la-reserve-federale-americaine-seme-l-inquietude?page_article=1

6 : https://theconversation.com/avec-le-covid-19-une-decrue-historique-des-emissions-mondiales-de-co-est-amorcee-133975

7 : https://reporterre.net/Comment-la-pollution-nous-rend-plus-vulnerables-au-coronavirus

8 : https://reporterre.net/Comment-la-pollution-nous-rend-plus-vulnerables-au-coronavirus

9 : https://www.letemps.ch/sciences/surfaces-coronavirus-persistetil-plus-longtemps

10 : 09/03/2020 sur France Inter

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