
Agrandissement : Illustration 1

Les processus d’empoisonnement du monde vivant par l’Homme, innombrables, relèvent d’une imagination fertile mais corrompue, d’un technicisme fallacieux et d’un je-m’en-foutisme sans bornes. Mais quand les complotistes se masturbent (intellectuellement) avec un pseudo-complot mondial d’empoisonnement de l’humanité par les « chemtrails », ils veulent ignorer ‒ ce qui semble logique de la part de diffuseurs d’ignorance ‒ une contamination planétaire par le plastique, créature immortelle née de l’imagination corrompue, non pas du savant Frankestein, mais du capitalisme pétrolifère et de ses puissants lobbies, financiers et étatiques, qui usent et abusent de tout leur pouvoir pour faire échouer une négociation internationale (175 pays) pour réduire drastiquement les pollutions plastiques.
Considéré comme un matériau « fantastique » 1, reflétant la modernité et le progrès jusqu’au cœur des foyers dans la société de consommation triomphante des années 1950-19602, ses ravages éclatent désormais au grand jour devenant un symbole de l’anthropocène, puisqu’il a infiltré les moindres recoins de notre planète et de nos organismes, des profondeurs inexplorées des océans au placenta de l’enfant à naître. Comme la plupart des êtres vivants, désormais, nous respirons, nous mangeons, nous buvons du plastique, par la grâce de cette industrie sans éthique. La planète est submergée par 350 millions de tonnes de déchets plastique chaque année3 (soit 8 millions de semi-remorques, un convoi de 128 000 km, plus de trois fois la circonférence de la terre, vertigineux!). Mais c’est surtout une manne pour les pétroliers et l’industrie chimique qui produisent dans le même temps 460 millions de tonnes4 de ces polymères, à usage unique pour la moitié d’entre eux5, quasi indestructibles lorsqu’ils sont largués d’une main négligente dans l’environnement. Se divisant en particules de plus en plus microscopiques (de l’ordre du milliardième de mètre), le plastique s’infiltre dans les recoins les plus reculés et les plus intimes de notre sphère vitale.
Testicules plastifiés

Agrandissement : Illustration 2

Des profondeurs à la surface des océans, des sommets himalayens aux forêts tropicales, des îles perdues du Pacifique aux glaces des pôles, ces particules, macro-, micro-, nano-, sont partout présentes, incrustées dans le vivant, investissant la chaîne alimentaire jusqu’au prédateur ultime qu’est l’homme. Et pas besoin d’aller au bout du monde, sur les rivières de plastique de l’Asie (voir cette vision horrifique d’un cours d’eau traversant Manille aux Philippines) : des chercheurs ont récemment trouvé en moyenne 240 000 nanoparticules de plastique par litre6 dans l’eau pas très pure7 des grandes marques d’embouteilleurs qui squattent supermarchés et restauration rapide. Nous nous imbibons chaque semaine d’en moyenne cinq grammes de ces fragments colorés et indissolubles qui s’insinuent dans nos organes aussi facilement qu’un vulgaire virus SARS-CoV-2. Sauf que les dégâts ne sont pas visibles immédiatement. Les scientifiques commencent à s’intéresser aux effets délétères sur la santé de ces corpuscules polluants, infestant les corps vivants. Ces saloperies franchissent allègrement toutes les barrières biologiques du corps humain, mêmes les plus efficaces. Ingérées, certaines nanoparticules de plastique, accompagnées à leur surface de contaminants chimiques et biologiques ramassées au long de leur périple, atteignent le cerveau en moins de deux heures chez la souris, franchissant, dans certaines conditions, la barrière encéphalique, éveillant l’inquiétude des chercheurs sur leur rôle possible dans certaines maladies dites de civilisation, comme les maladies neurodégénératives. « Dans le cerveau, les particules de plastique pourraient augmenter le risque d’inflammation, de troubles neurologiques ou même de maladies neurodégénératives telles que les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson », explique Lukas Kenner, pathologiste à l’université médicale de Vienne et coauteur principal de l’étude.8 D’autres chercheurs qui s’avouent « extrêmement inquiets » ont retrouvé ces mêmes minuscules déchets plastiques dans des placentas humains9 (les bébés naissent donc avec du plastique dans leur corps), dans les selles des bébés10 (à une dose dix fois supérieure aux adultes), dans nos voies respiratoires11. Plus récemment, des scientifiques ont découvert que nous (les hommes) étions plastifiés jusque dans nos testicules.12 Les perturbateurs endocriniens présents dans les plastiques sont donc incrustés chez l’être humain dès sa genèse.
TotalEnergie mise sur le plastique

Agrandissement : Illustration 3

La famille nombreuse des plastiques n’est qu’un fléau parmi les centaines de milliers de la galaxie des industries pétrolières et chimiques. Et si ses rejetons, sous forme de micro-plastiques, constituent 85 % des matériaux polluants sur la planète, elle bénéficie d’une protection à coups de millions de dollars ou d’euros en lobbying auprès d’une partie des gouvernants qui commencent à s’inquiéter des dégâts. Pas moins de 170 pays négocient actuellement pour rédiger un Traité mondial contre la pollution plastique. S’il se révèle aussi efficace que l’accord de Paris sur le climat, c’est mal parti. Mais encore faudrait-il qu’il fasse l’objet d’un accord. Lancée par l’Assemblée des Nations unies pour l’Environnement (ANUE-5) en mars 2022 et devant être conclue avant la fin de cette année, la négociation est toujours dans l’impasse après quatre rounds d’affrontement sur les cinq prévus.13 Deux blocs se font face : ceux qui veulent prendre le problème à la racine en diminuant la production plastique (Europe, Norvège, Rwanda… en tout une soixantaine de pays), et une coalition de pays producteurs de pétroles et de plastiques menée par les pays du Golfe et l’Arabie Saoudite qui ne veulent pas entendre parler de réduction.
Autant dire que ce n’est pas gagné, les plus optimistes tablant sur un accord à l’eau tiède alors que l’ambition était un accord contraignant (avec quelles armes?). Selon le Lawrence Berkeley National Laboratory, il faudrait, à partir de cette année, diminuer de 12 à 17 % la production de plastiques chaque année, car elle risque, à elle seule, de faire dérailler les objectifs de l’Accord de Paris, rien de moins.14 Pour éviter cette avanie, cheiks « pétroleurs » et actionnaires des compagnies pétrolières ont envoyé à Ottawa, en avril, une force de dissuasion comptant 196 lobbyistes, soit 40 % de plus qu’au dernier round à Nairobi en novembre dernier et quatre fois plus que les chercheurs présents. Il y a tout juste un an, l’Arabie Saoudite montrait sa détermination en décidant d’investir 11 milliards de dollars dans un méga-complexe pétrochimique, en association avec le plus verdoyant des énergéticiens français, le groupe TotalEnergie, une « vraie bombe climatique ».15
Pour eux, le plastique reste fantastique, y voyant un créneau de diversification et de meilleure valorisation de leur or noir et poisseux, donc un créneau d’avenir pour bénéfices et dividendes. D’autres sont plus subtils et donnent dans le lavage plus vert que vert. Ainsi, la formidable cuisine en Formica®16 a des descendants puisque ce matériau, roi des années 1960, revient à la mode. Or, ce groupe industriel a sa vision de l’écologie et de la durabilité de son activité : « Le groupe Formica adopte une approche de la durabilité fondée sur le bon sens. Il faut pour cela reconnaître que, par définition, la création d’un produit nécessite des ressources et de l’énergie et que, par conséquent, un certain niveau d’impact sur l’environnement se produira. »
Mais pas d’inquiétude, « nous avons adopté une démarche sans relâche visant à maximiser la fonctionnalité de nos produits tout en minimisant leur impact sur l’environnement. Nous pensons que le développement durable est un exercice d’équilibre entre la fonctionnalité du produit et son impact. Notre objectif est de réduire les impacts sans perdre de vue la fonctionnalité du produit dont nos clients ont besoin. » 17 Une langue de bois qui ne mange pas de pain mais qui préserve les bénéfices, puisque le consommateur a un besoin irrépressible de Formica®.
Obsolescence programmée pour son utilisation, pas pour sa pollution

Agrandissement : Illustration 4

C’est toute la puissance d’un lobby exclusif et encore quasi monopolistique dans la fourniture d’énergie et d’objets du quotidien à l’obsolescence programmée dans leur utilisation, mais pas dans leur capacité à polluer éternellement notre sphère vitale. Le plus pernicieux des discours de désinformation sur cette pollution est de laisser croire que l’on peut recycler à l’infini, ou pour le moins efficacement, cette multitude de molécules polymères. Sachant que moins de 10 % des plastiques sont recyclés dans le monde3 (pour le reste, 50 % finissent en décharges, 19 % sont incinérés et 22 % sont abandonnés dans la nature ou brûlés à l’air libre) ; sachant que sur sept types de plastiques, seulement trois sont réellement recyclables ; sachant que ces derniers le sont deux à quatre fois maximum (sauf le PEHD recyclable dix fois), souvent avec un ajout de matière plastique neuve, 18 la comédie du recyclage plastique ressemble plus à un hochet de communiquant qu’à une solution à un problème, plus, une urgence vitale pour le monde vivant, humains compris.
Mais pour pétroliers et chimistes associés, le plastique c’est la drogue idéale. C’est comme des dealers de marie-jeanne qui se convertissent à l’ecstasy : le plastique jetable, on ne peut plus s’en passer, le consommateur est devenu le jouet d’un marché captif, dans le jargon capitaliste.
Mais pendant qu’on nous fait prendre des vessies (en plastique) pour des lanternes (en verre, recyclable à l’infini), environ 1000 cours d’eau rejettent des millions de tonnes de déchets plastiques dans mers et océans, 19 les asphyxiant, alors qu’une petite vingtaine d’entreprises seulement sont responsables de 55 % de la production de plastiques à usage unique.20 Nous ne sommes pas prêts à arrêter la plastification du monde.

Agrandissement : Illustration 5

1. Allusion à la chanson du groupe de rock français Elmer Food Beat (EFB) sortie en 1990 : https://www.youtube.com/watch?v=7oCE6dtKY4M. Il a toutefois revisité son texte en « Le plastique c’est dramatique » en 2019 pour soutenir la dépollution des océans : https://www.leparisien.fr/environnement/le-plastique-c-est-dramatique-elmer-food-beat-revisite-son-tube-version-ecolo-20-10-2019-8176641.php.
2. https://www.youtube.com/watch?v=kcy7qtdXgeA.
3. https://www.oecd.org/environment/plastics/.
4. https://fr.statista.com/statistiques/571746/production-mondiale-de-plastiques-1990/.
5. https://www.theseacleaners.org/fr/la-pollution-plastique/.
6. Voir l’étude : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2300582121.
7. Outre la pollution plastique liée aux contenants, l’eau en bouteille de plusieurs embouteilleurs, dont Nestlé, est contaminée par des bactéries et a fait l’objet de traitements de purification interdits, https://www.francetvinfo.fr/enquetes-franceinfo/enquete-franceinfo-plusieurs-producteurs-d-eau-en-bouteille-ont-filtre-illegalement-leur-eau-pour-masquer-une-contamination_6333046.html.
8. https://www.mdpi.com/2079-4991/13/8/1404 (en anglais).
9. https://academic.oup.com/toxsci/article/199/1/81/7609801?login=false et https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412020322297?via%3Dihub (en anglais).
10. https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.estlett.1c00559 (en anglais).
12. https://academic.oup.com/toxsci/advance-article-abstract/doi/10.1093/toxsci/kfae060/7673133?login=false (en anglais).
14. https://energyanalysis.lbl.gov/publications/climate-impact-primary-plastic (en anglais).
16. À noter que cet industriel a piqué le patronyme d’une famille de fourmis présentes dans l’hémisphère nord et qui ont pour droits d’auteur les déchets de celui-ci.
17. https://www.formica.com/fr-fr/campaigns/sustainability (en anglais).
20. https://reporterre.net/20-entreprises-produisent-55-des-dechets-plastiques-du-monde.
Autres lectures utiles :
- https://www.theseacleaners.org/fr/la-pollution-plastique/
- https://www.nationalgeographic.fr/le-plastique-en-10-chiffres
- https://news.mongabay.com/2020/07/our-life-is-plasticized-new-research-shows-microplastics-in-our-food-water-air/ (en anglais)