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Billet de blog 21 juillet 2023

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Balade bucolique dans un champ de « mines » de l’anthropocène

Les poubelles non ramassées à Paris, ça se voit et ça se sent, le citadin décharge sur le trottoir pour ne pas tourner de l’œil dans son aquarium. À la campagne, on balance le « colis » sur le bas-côté en regardant l’horizon. L’anthropocène dégueule ses miasmes dans les moindres interstices de notre monde. Et la balade bucolique nous oblige à louvoyer entre les « mines ».

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Pourquoi parler de « mines » de l’anthropocène ? Certes, elles sont moins radicales et instantanées que les mines généreusement dispersées sur les champs de bataille par les soudards. Mais les « mines » polluantes de l’anthropocène, disséminées dans les moindres interstices de la planète, ont des effets dévastateurs, mortels, à long terme sur l’ensemble du vivant et donc sur le genre humain.

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Illustration 1
Déchet de la civilisation fossile © Yves Guillerault

Comme chaque matin au lever, je vais combattre mon pessimisme de fin du monde capitalo-techno-bureaucratique par une balade dans la campagne environnante, accompagné de ma chienne (elle est ma psy). Le piémont pyrénéen est un paysage pastoral, aux courbes sensuelles et boisées, un tapi mendian1 de vertes prairies mouchetées de petites troupes de vaches ou de brebis, ou ondulantes avant la fauche, de jaunes colzas ou tournesols, de blondes céréales, le tout sous un ciel céruléen et sur fond de sommets à la sombre autorité.

Mais trève de (mauvaise) poésie. À peine la porte refermée, je tente une profonde inspiration, histoire d’éveiller mes poumons comme on se passe le visage fripé sous l’eau. Première erreur. Un relent de boule puante, souvenir hilare de jeunesse, me chatouille la narine. Le vent est mal orienté, l’usine de pâte à papier, « la cellulose » comme on l’appelle ici, pourtant située à une douzaine de kilomètres à vol d’oiseau, nous envoie quelques bulles flatulentes de sulfure d’hydrogène, réveillant trop brutalement mon odorat. Cette Cocotte-Minute© vieille de 64 ans est classée Seveso-seuil haut et son histoire est parsemée de crises et accidents, le dernier, un incendie, en février dernier.

Chassant de mauvaises pensées à l’encontre de « la cellulose », je me mets en mode vigilance survie en longeant sur 200 mètres la départementale en plein milieu du hameau. Il s’agit d’éviter de se faire écharper par un SUV mal réveillé ou un utilitaire en retard pour le boulot. Autant dire que nous (ma chienne et moi) ne faisons pas plus le poids que les deux panneaux stop censés briser leur élan. Nous progressons donc par sauts de kangourou prudent. Car ici, pas de trottoir encombré de poubelles, trottinettes et autres véhicules, mais un étroit accotement herbeux longeant un fossé… qui sert de poubelle : je récupère une première bouteille plastique ‒ copyright Coca-Cola©, l’un des colonisateurs les plus puissants et dévastateurs de la planète, tant d’un point de vue culturel, que de santé publique, de prédation de la ressource en eau ou de pollution par le plastique ‒.

Illustration 2
Platane mangeur d'objet civilisationnel. © Yves Guillerault

Je bifurque sur la route de Hountayno, bien plus calme et passe devant le platane mangeur de panneau de circulation ‒ une bien maigre victoire de la nature ‒ et remonte vers la petite église du village. Sur le trajet, à l’abri d’un petit bois qui n’avait rien demandé, se situent les conteneurs de tri des déchets de notre belle civilisation. Le tri de ses déchets est le marqueur bourgeois le plus en vogue tandis que la sobriété est l’apanage du marginal constructeur de maison en paille ou du pauvre qui a le tort d’être pauvre. Parlons donc de tri. Il semble que la définition du geste n’est pas la même pour tous puisque j’y ai déjà trouvé un siège de 4x4, des petits meubles, des suspensions etc. Aujourd’hui, c’est un jeu complet de pneus usagés d’un usager qui se plaindra de l’augmentation de la taxe sur les ordures qui permettra de payer et entretenir véhicules et salariés permettant de nettoyer toutes les aires de « tri ».

Illustration 3
Un automobiliste s'est "déchaussé" derrière les conteneurs de tri. © Yves Guillerault

J’aperçois le clocher-mur, ou campenard, typique du Sud-Ouest, de l’église en haut du hameau, la vue devient grandiose sur le rempart pyrénéen. Un milan s’exprime en planant au dessus du paysage, mais son cri est couvert par le bruyant ballet d’une poignée d’ouvriers et d’une toupie de béton sur le chantier d’une villa avec vue. Peu de chance d’y voir naître une maison autonome, en matériaux naturels, recyclables ou recyclés, la paille est broyée sur le champ d’à côté, en attendant de le voir bétonné à son tour, malgré toutes les promesses politiques.

Cap sur le chemin qui part le long de l’église, le clocher marque la demie de 8 heures, la forêt est à portée, et le panorama est exceptionnel : d’un côté le piémont et les montagnes, de l’autre, la vallée de la Garonne qui serpente en direction de Toulouse. Enfin le duveteux fond sonore de la nature ? Raté : un coup de craie blanche strie le ciel azur, Airbus ou Boeing signale son passage par un roulement basse fréquence qui emplit l’espace des kilomètres à la ronde. Pas la peine d’attendre son éloignement, il sera remplacé par le chuintement des roues sur les chaussées de l’autoroute, cinq kilomètres en contrebas dans la vallée. La civilisation fossile est en marche. Bientôt obsolète, bientôt fossilisée dans sa propre fange.

Ma chienne m’entraîne dans la forêt, sous la protection de la canopée, « ce moutonnement de brocolis géants »2, dans un bain de phytoncides3 avec un effet immédiat et positif sur mon réseau psycho-neuro-immuno-endocrinien. De nombreux chercheurs se penchent depuis plusieurs années sur les bienfaits d'une ballade en forêt. Au Japon, ils appellent ça le shinrin-yoku ou le bain de forêt. En 2019, la publication « Santé publique»4 a effectué une revue de la littérature scientifique qui démontre tous les bénéfices offerts au monde vivant, humains compris, par bois et forêts. Mais je ne vis pas au milieu de la forêt et le retour s'effectue par une autre route non moins souillée. J'ai oublié mon sac à collecter les déchets, mais je ne tarde pas à en trouver un fiché dans un petit massif de ronces, promesse de mûres juteuses et automnales, néanmoins immangeables, contaminées qu'elles seront par les miasmes automobiles et agricoles. C'est un cabas (terme occitan) en plastique, de ceux que l'on nous vend comme « recyclés, durables et réutilisables » dans votre supermarché préféré, bien évidemment. Le sommet de la vertitude dans une société de consommation. Une couffe5 que l'on remplit frénétiquement avec toujours un train de retard sur l'horripilant et menaçant bip de la caisse enregistreuse. Aujourd'hui, il ne servira qu'à ramasser les rognures, les rebuts, les ordures de la croissance capitaliste, du progrès technique et de la consommation, toutes cornes d'abondance que recherchent avec avidité politiques et patrons de ce monde merveilleux du capitalisme.

Illustration 4
A la pêche aux déchets © Yves Guillerault

Et la récolte est fructueuse ce qui signifie que l'économie ne va pas si mal, et c'est bien là le principal. L'agonie du vivant et sa litanie de cancers ne sont que billevesées et effets secondaires négligeables. Encore ne me suis-je pas penché avec loupe et microscope sur cette terre martyrisée pour y collecter microplastiques et autres nanomatériaux, plantes et micro-organismes chimiquement contaminés, des chercheurs le font mieux que moi sans être pour autant mieux entendus.

Dernières dépêches en provenance de la guerre mondiale que nous nous auto-déclarons : plus de la moitié des réservoirs d’eau douce (lacs, mers intérieures, étangs, zones humides) sont en baisse ; les courants océaniques profonds, qui régulent le climat, ralentissent bien plus tôt que prévu ; la couche d’ozone est de nouveau attaquée par des gaz interdits par un accord signé par tous les pays ; et où que nous soyons sur la planète, nous mangeons, buvons et respirons du plastique, poule aux œufs d’or des pétroliers. La catastrophe n’est plus à notre porte mais a déjà les deux pieds dans la maison. Mais rassurons-nous, la Nasa est capable de dévier une hypothétique météorite venue des confins de notre système solaire et Musk le mégalo prépare son voyage avec quelques richissimes amis pour aller polluer Mars : bon voyage à eux… et bon débarras.

Moi, j'ai retrouvé mon jardin et j'admire les Pyrénées qui veillent sur la campagne environnante, comme on assiste à un spectacle grandiose et crépusculaire.

Illustration 5
L'objet symbole de cette civilisation s'invite dans le paysage © Yves Guillerault

1. Le tapi mendian désigne, à La Réunion, un couvre-lit fait d’un assemblage de petits morceaux hexagonaux de tissus de récupération.

2. Citation de l’écrivaine Marie Darrieussecq (Petit Robert 2022).

3. Les phytoncides sont des composés organiques volatiles (COV) antimicrobiens libérés par les stomates des arbres et autres plantes pour se défendre contre les micro-organismes pathogènes.

4. Revue « Santé publique » du premier semestre 2019, partie 3, pages 115 à 172, consultables sur https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2019-HS1.htm.

5. La couffe, c’est le cabas provençal en toile ou en paille de riz.

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