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Que ce soit dans le conflit israélo-palestinien ou dans celui entre Ukraine et Russie, des tribuns, des éditorialistes et autres influenceurs de réseaux asociaux enjoignent chacun à prendre en main un drapeau, à signer pétition, à se positionner dans une case idéologique pré-dessinée (et non prédestinée), bref à choisir son camp. Le problème est que, la plupart du temps, les camps qui s’expriment ou ceux qui s’autoproclament représentant de tel ou tel, le font avec un nuancier d’arguments taillé à la serpe, proche de la propagande, dans le sillage d’un chef ou d’un état-major dont la seule logique, exprimée ou sous-jacente, est une prise de pouvoir.
Disons tout de suite que, s’il y a un camp de « coupables », c’est sans aucun doute celui des dirigeants autoritaires, des dictateurs, des autocrates, des clergés politisés, des présidents qui règnent presque sans partage, même sous les ors d’une république. Tousse remontent les « valseuses », déroulent communiqués de guerre et oukases fort peu diplomatiques, font commerce de quincailleries pétaradantes, lèvent de l’argent public (comme le livret A) pour le complexe militaro-industriel et expédient la piétaille à la boucherie. Les galonnés se poussent du col (officier) et prennent d’assaut les plateaux des chaînes d’info, VRP étoilés des marchands de canons. Ces chefs, donc, partent en guerre avant tout contre leur propre peuple, les prennent à témoin de leurs délires mégalomaniaques, de l’engrenage qu’ils disent subir pour justifier toutes les dérives autoritaires nécessaires au maintien de leur pouvoir, usant de stratagèmes dignes de gourous essoreurs de cerveaux, une élite marinée dans la testostérone ‒ avez-vous remarqué que les cheffes sont plutôt absentes de ce cirque, hormis Ursula très préoccupée par la sauvegarde de son trône ?
S’il est impensable de rester les bras croisés devant tant de souffrances humaines, il faut se garder d’être entraîné par les courants sombres et violents mus par des doctrinaires, des prosélytes, des bellicistes qui puisent une jouissante puissance dans les guerres de religions, culturelles, ethniques. Je refuse de servir un pouvoir, une religion, une idéologie de domination quelconque. Les seules causes à soutenir sont celles des peuples qui ne demandent qu’à vivre en paix ; les seuls combats qui vaillent sont ceux qui mènent à l’émancipation de ces peuples vis-à-vis des pouvoirs, religieux, politiques, militaires, étatiques.

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Soutenir le peuple palestinien, ce n’est pas être antisémite, mais contre le colonialisme ségrégationniste du chef de guerre corrompu de l’état israélien et l’idéologie suprémaciste de ses alliés cléricaux. Soutenir le peuple palestinien, c’est aussi se dresser contre une autre idéologie religieuse, contre le pouvoir patriarcal des chefs de guerre du Hamas, contre leurs reîtres sanguinaires qui ont déferlé sur des kibboutz civils ou un concert rassemblant des jeunes désarmés. Soutenir le peuple juif, ce n’est pas adhérer au sionisme politique et guerrier, ni au projet colonial qui s’appuie sur des événements antédiluviens pour spolier les Palestiniens des terres qu’ils mettent en valeur depuis des siècles. Pour l’exemple, l’un des sbires fascisant de Netanyahou vient de saisir 800 hectares de terres fertiles en Cisjordanie occupée, « un crime de guerre » selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.1 Qui sont les perdants dans ces affrontements ? Des deux côtés de la barrière dressée par deux pouvoirs fanatiques, militarisés, les enfants, les femmes, les vieillards, massacrés, affamés, torturés, kidnappés, violés. Mais aussi les forces vives des deux communautés, des jeunes conscrits israéliens entraînés à chasser le Palestinien, aux jeunes Palestiniens qui n’ont d’autre horizon que la barrière de leur prison gazaouie et la lutte contre l’occupant. Tous sont embrigadés par un nationalisme sous-tendu de prosélytisme religieux, les transformant en soldats d’un dieu bien peu miséricordieux. Qu’il soit juif, musulman, ou de toute autre obédience, un cadavre sera bouffé par des vers qui eux, ne feront pas le tri.
Sur cette terre de Sanaan aux contours et frontières fluctuantes, berceau, sur trois millénaires, de nombreuses éclosions civilisationnelles et religieuses, les peuples se sont entrecroisés, côtoyés, révoltés, affrontés, enrichis culturellement et matériellement, sans avoir un droit de préemption permettant la spoliation et les meurtres. La notion de partage, présente aussi bien dans la Torah que dans le Coran, ne fait pourtant pas partie du champ lexical des chefs de guerre d’aujourd’hui, leaders mâles ivres de leur pouvoir, pas plus que parmi les théocrates illuminés, éminences grises des précédents. Tous ont choisi l’antinomique domination.

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Sur le front de l’est, les problématiques relèvent des mêmes abus de pouvoir, du nettoyage ethnique et culturel, de l’illégitimité des frontières étatiques. Un despote qui se rêve empereur, des élites corrompues, des populations démunies envoyées à l’abattoir, et finalement la même déliquescence de l’appareil étatique. La charge émotionnelle veut qu’on affirme logiquement soutenir les Ukrainiens face à l’envahisseur impérialiste russe. Mais doit-on inclure dans « les » Ukrainiens les oligarques qui ont mis à sac les richesses créées au prix de la sueur des prolétaires et paysans de ce pays libéré de l’emprise soviétique ? Ainsi que les groupes néo-fascistes qui ont allumé de nombreuses mèches nationalistes ? Peut-on assimiler à des envahisseurs russes, des ethnies différentes issues de contrées reculées de Russie, appauvries par un pouvoir centralisé, enrôlées de force et poussées sous le hachoir de l’artillerie d’un pays envahi ? Peut-on ne pas soutenir ces Russes qui, malgré leur isolement, résistent de l’intérieur en incendiant des bureaux de recrutement ou versent des flacons d’encre dans des urnes non démocratiques.
Soutenir ces peuples, ce n’est pas agiter un drapeau ou abonder les discours haineux des nationalistes, c’est affirmer leur légitime aspiration à se choisir un destin de liberté face toute domination brutale.