
Des téléfilms guimauve incluant obligatoirement « Noël » dans leur titre et qui inondent les programmes tv gratuits ou payants ; le vénérable Tino qui crachote son « Petit papa Noël » dans des haut-parleurs urbains asthmatiques ; des pères Noël de supermarchés moins crédibles que des poupées gonflables et qui se pèlent sur le trottoir ; des illuminations très kitch qui clament, en kilowatts, un supposé statut social sur des bicoques de lotissement ; des marchés de Noël qui se multiplient comme les pains de la bible avec des marchands du temple de la consommation qui font la nique à Jésus ; des vins chauds qui se muent en piquettes fumantes ; une course numérique et frénétique à la console de jeux en pénurie de composants taïwanais ; des réseaux sociaux en transe où s’exposent les goûts les plus abracadabrantesques en matière de décoration et de recettes de cuisine festive… n’en jetez plus, les fêtes de fin d’année sont une gabegie de dépenses et de mauvais goût dont les conséquences sociales, environnementales, sont funestes.
Ainsi, derrière la bonhomie du bedonnant homme rouge, apparaît le méphistophélique Jeff qui se frotte les mains en faisant trimer jusqu’à épuisement ses lutins enchaînés à leurs consoles, fliqués par l’algorithme d’Amazon, dans des entrepôts sinistres de déshumanisation, dont l’appétit de gadgets plastiques et numériques est satisfait par d’autres hordes de lutins esclaves, pas en Laponie, mais en Chine : là-bas on les appelle des Ouïghours. Pas de rennes virevoltants mais des norias de porte-conteneurs et de camions puants pour déposer cette débauche de consommation sur le pas des portes, masquant le paillasson « Bienvenue ». Le bilan carbone de cette ordure de père Noël est indécent.

Et puis des réveils nauséeux et bruyants, des vomissures alcoolisées, des poubelles qui se remplissent d’emballages et d’excès festifs, des crises de nerfs devant des notices absconses ou l’absence du bon calibre de pile, des cadeaux qui n’en sont pas et qui vont faire tourner à fond les serveurs du Bon coin. Pour couronner ce sinistre tableau, des repas de famille qui se transforment en pugilats. Les motifs ne manquent pas : vaccination et antivax, Zemmour, campagne présidentielle, Zemmour, religions et terrorisme, Zemmour, féminisme et patriarcat, Zemmour, confinement et gestes barrière… Et puis les résultats de tests Covid de lendemain de réveillon et les accusations de contaminations. Ajoutez-y quelques vieilles rancœurs en souffrance : « J’ai toujours su que tu étais le préféré des parents ! » et il ne manquera aucune boule sur le sapin, en plastique ou bourré de pesticides. Et loin des éclats de voix et des guirlandes, des migrants se noient, le froid dévore des SDF, des déplacés climatiques sont en quête d’une crèche, des victimes de guerre agonisent, des petits vieux meurent de solitude.

Je ne sais pas si « c’était mieux avant », avant quoi d’ailleurs ? Mais j’ai le souvenir indélébile de mon premier jouet, paquet énorme et esseulé à côté de la traditionnelle orange : un train Hornby métallique, électrique et sonore. Pas de plastique à part un peu de bakélite sur le transformateur. C’était il y a 60 ans, il est toujours là dans sa boîte fatiguée, je vais le sortir pour jouer avec mes petits-fils. Pas sûr qu’en 2081, les enfants d’aujourd’hui se souviendront de leurs jouets du Noël 2021. En auront-ils d’ailleurs le loisir ?
