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Billet de blog 25 janv. 2023

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Fait pas bon être vieux

Vous allez être de plus en plus nombreux à courir après la retraite et de moins en moins à la rattraper. Rallongement du temps de servitude au capitalisme plus stagnation, voire baisse, de l’espérance de vie, égale moins de temps à flemmarder, c’est le genre d’économies sur les futures retraites que recherche le pouvoir. Un retraité qui meurt sur la ligne d’arrivée ne coûte que sa pierre tombale.

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Illustration 1
Derrière la fenêtre © Alain Bachellier

La chasse aux retraités est ouverte. Les vieilles et vieux qui soignent leurs vieilles douleurs au coin du feu n’ont pas bonne presse dans les milieux ministériels et patronaux. Ils coûtent trop cher à ne rien produire, ils sont une charge pour la start-up nation. Il est donc nécessaire de limiter, voire diminuer leur nombre.

Le Covid (32 % de mortalité chez les plus de 80 ans) et Orpéa et Cie (qui ont mis à la diète leurs pensionnaires) ont déjà fait quelques coupes claires dans leurs rangs. Hormis ces organismes serial killer de petits vieux, la tendance politique serait d’éviter qu’ils atteignent trop tôt leur date de péremption, déjà passée de 60 à 62 ans. De précédents gouvernements avaient autorisé les entreprises à mettre nombre de leurs vétérans au rebut (pardon, en retraite anticipée) avant la date légale, le tout financé en partie sur le budget de l’État. Mais ce dernier estime que le-dit rebut coûte désormais trop cher à stocker. Il va falloir trouver un Cigeo II.1 Pour les entreprises, c’était gagnant pour leur trésorerie et leurs actionnaires : subventions pour virer les vieux grincheux et remplacement par des jeunots plus malléables et beaucoup moins chers, avec salaire minimum et baisses de charges tout aussi subventionnées.

Aujourd’hui, face à la démission d’une partie de la jeunesse et à la pénurie de main d’œuvre, le tandem Borne/Macron veut les maintenir jusqu’à l’extrême limite de validité au service de la production capitaliste. Il faudra pour cela que patrons et pouvoir politique se mettent sur la même longueur d’onde. Les entreprises de la start-up nation ne veulent pas devenir des Ehpad, estimant impossible d’intégrer ces papy-boomers qui ne captent rien au call business plan, au feedback ou encore au growth hacking.2 Les entreprises de production sont restées sur l’ancien schéma et mettent leurs anciens au placard tout en misant sur l'apprentissage subventionné. Enfin les multinationales, drivées par leurs actionnaires-rentiers, veulent garder une souplesse de la masse salariale et les jeunes précaires sont plus faciles à virer que des vieux enkystés dans les tableaux Excel des ressources humaines.

Avec cette gestion politique et économique très finaude, la France a le pire taux d’emploi des plus de 50 ans parmi les pays dits avancés. Le projet d’index du taux d’anciens dans les boîtes de plus de 1000 salariés (300 en 2024), nouvelle usine à gaz administrative pour l’instant non contraignante, est rejeté par le patronat qui y voit là un nouvel outil de dénigrement des entreprises, les empêchant de gérer leur masse de salariés comme ils veulent, c’est-à-dire comme une ligne de stock dans une compta. À moins qu’une petite baisse de charges financée sur argent public…

No man’s land sociétal

Illustration 2
Cassé avant la retraite ? © Oiluj Samall Zeid

En attendant nombre d’anciens se retrouvent dans un no man’s land sociétal avec leur expérience, leur savoir-faire, leur capacité de modération au milieu d’un effectif de jeunots, mais dont la plupart des patrons veulent ignorer le potentiel. En Afrique, souvent caricaturée, celle de la brousse non atteinte par la productivité et la compétitivité, les anciens n’ont pas le pouvoir mais le savoir et la pondération, qualités respectées et valorisées au sein d’un conseil auquel se réfère la communauté active du village. Structure que l’on retrouve dans d’autres sociétés. Dans la start-up nation de Macron, la transmission se fait désormais par des écoles créées par des lobbies professionnels et exclusivement dédiées à leurs filières de production. Ils veulent de bons petits soldats spécialisés, pas des collaborateurs qui réfléchissent avec leur expérience. Il est donc fort probable que cette période, entre licenciements discriminatoires et âge légal de retraite de plus en plus lointain, perdure et se rallonge à coups de RSA, d’allocations de fin de droits, avec des hommes et des femmes abîmés, démotivés, remisés comme de vieux wagons rouillés sur des voies de garage. À moins que le pouvoir ait l’idée de créer des petits boulots sous-payés pour les 50- 64 ans : après les emplois-jeunes de Martine (Aubry), les emplois-vieux d’Elisabeth (Borne) ?

S’ils survivent à la prolongation de peine au service du capitalisme ou à leur mise au placard, les vieux n’en ont pas fini avec le régime des galères. À ce stade, il faut faire le distinguo entre la masse des petites mains au Smic toute leur vie, dont la plupart ont commencé très jeunes dans des métiers éreintants, et les papy-boomers en camping-cars à 70 000 euros et leurs retraites de cadres ; entre les femmes maintenues sous le plancher de verre des rémunérations réservées aux hommes et ces derniers qui les maintiendront financièrement à distance à l’heure de la retraite.

À l’heure où la courbe de l’espérance de vie pourrait bien plafonner ou s’inverser, les futurs retraités minés par cancers, maladies professionnelles, handicaps… et des pensions au rabais, ne doivent pas trop compter sur la solidarité nationale. S’ils ne tombent pas dans les griffes d’un Orpéa,3 ils sont une variable d’ajustement dans les investissements sociaux du gouvernement. Le plan Grand âge est toujours dans les limbes, six ans après les promesses électorales de Macron 1 et, avant lui, de Sarko et de Hollande. Une multitude de projets ont depuis rejoint la corbeille à papier, et voilà une nouvelle mouture déposée en novembre dernier, qui pourrait être examinée dans les prochains mois. Avant le prochain quinquennat ? Une quinzaine de députés Les Républicains a même déposé une proposition de loi « visant à faire du Grand âge et de l’Autonomie une Grande cause nationale pour 2023 ».4 Juste pour titiller Macron et sa majorité très relative, tandis que Ciotti négocie avec le pouvoir macroniste pour caser ses amendements. A-t-on demandé leur avis aux principaux intéressés ? « Rien pour les vieux sans les vieux », réclament les responsables du Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNAV), né en 2021, devant tant de mépris pour les anciens, de non reconnaissance des services rendus à la Nation.

Bingo capitaliste avec la silver économie

Illustration 3
Ehpad de Brezolles (28) © FO

Voilà quelque deux décennies, le capitalisme de consommation a détecté dans ces millions de papy-boomers, rebaptisés des seniors, non pas des puits de sagesse et de savoirs, mais un max de pognon à se faire : la silver économie était née. Marchés, activités et cotations en bourse se sont mis en place à la hauteur des bénéfices attendus. Les plus riches, encore actifs, sont bien entendu les premiers visés, ceux qui peuvent se payer camping car et voyages au soleil, places de premier rang à l’opéra et au théâtre, femmes de ménage, plus quelques petits placements financiers pour faire fructifier le bas de laine. Pour les autres, malades, impotents, séniles… les services à la personne et les assistances médicales privées se bousculent sur le marché, taillant des croupières aux services publics qui se paupérisent, réservés aux pensions de misères, aux indigents sans famille. Orpéa (mais pas seulement) est le plus fier représentant de ce capitalisme d’extorsion. Un an après le scandale déclenché par l’enquête du journaliste indépendant Victor Castanet (Les fossoyeurs, en poche chez J'ai Lu), (pensionnaires affamés, délaissés, sous-dotation en personnel, malversations financières), Laurent Garcia, président de l'Observatoire du Grand Âge et ancien salarié du groupe constate que « rien n’a changé au bout d’un an » ("BFMTV", 25/01).

Quant au régime de solidarité intergénérationnelle par répartition, il est attaqué depuis au moins les années Sarkozy, lorsque ce dernier lance sa réforme des retraites avec les encouragements… de son frère homme d’affaires, Guillaume Sarkozy, à l’époque (2010) délégué général du groupe Malakoff-Mederic, gestionnaire de retraites complémentaires mais également vendeur d’assurances retraite. La silver économie de la retraite par capitalisation en fait rêver plus d’un chez les financiers et autres banquiers et assureurs.

D’ailleurs, pour David Lisnard (LR), maire de Cannes et président de l’association des maires de France (AMF), entre autres casquettes, ce système est condamné : « Ce système de répartition, quoi qu’on en dise, ne pourra pas durer ».6 Et de mettre sur la table un système par capitalisation qui va bien dans un schéma capitaliste profitable. Les millions de retraités anglophones victimes des mauvais placements de leurs fonds de pension peuvent témoigner de la justesse de ce raisonnement. Mais tant que le casino de la Bourse va bien…

Les fossoyeurs ont encore de beaux jours devant eux.

Signé : un vieux qui se la coule douce avec une (très) maigre retraite

1. : Cigéo est le futur centre d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure.

2. : la nov’ langue des start-ups est là surtout pour dissimuler l’enfer qu’elles font généralement vivre à leurs employés corvéables à merci et jetables… sans merci.

3. : https://www.francetvinfo.fr/societe/prise-en-charge-des-personnes-agees/maltraitance-dans-les-ehpad/orpea-les-societes-cotees-en-bourse-et-qui-gerent-du-soin-c-est-completement-incompatible-estime-un-ex-cadre-infirmier_5478003.html.

4. : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0264_proposition-loi#.

5. : https://www.mediapart.fr/journal/france/121010/retraite-la-joint-venture-des-freres-sarkozy-contre-les-regimes-par-repartitio et https://blogs.mediapart.fr/edition/les-mots-pieges-du-neoliberalisme/article/110123/156-reforme-de-la-retraite-2009-2023-vers-une-retraite-par-capital.

6. : https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-le-systeme-par-repartition-ne-pourra-pas-durer-estime-david-lisnard_5622164.html

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