Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

177 Billets

2 Éditions

Billet de blog 24 mars 2020

Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

Mortelle mondialisation

La mondialisation néo-libérale a permis la diffusion accélérée d’un virus mortel par la frénésie absurde de déplacements des marchandises et des hommes, par la destruction des milieux naturels tout en se révélant incapable de fournir des matériels vitaux pour combattre l’épidémie. L’hydre est en train de mettre genou à terre et c’est à nous de l’empêcher de se relever.

Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le New-York Times en fait l’éclatante démonstration sur son site grâce à un énorme travail de collecte de données sur les déplacements planétaires1 : la propagation du coronavirus se calque parfaitement sur les trajets et la vitesse des déplacements de la mondialisation.

Une mobilité frénétique brandie comme un bienfait pour l’humanité (accessoirement pour les profits démesurés, le dumping social et l’évasion fiscale) par les pouvoirs financier et économique notamment des transnationales et de leurs affidés.

Problème pour ces derniers, cette pandémie démontre l’extrême vulnérabilité de cette mondialisation néo-libérale2 qui fragilise par voie de conséquence nos sociétés.

L’illustration en est donnée par la gestion calamiteuse des stocks et circuits de fabrication de matériels qui, certes ne sont pas des airbus ou des Rafale, mais sont stratégiques pour le bien-être commun.

Les derniers gouvernements (de droite comme de gauche) s’en sont remis au marché pour assurer l’approvisionnement en masques de protection en temps de paix comme en temps de guerre contre une éventuelle pandémie qu’ils pensaient de toute façon maîtrisable par les seuls scientisme et technicisme. Ils ont donc transféré aux employeurs (donc en grande partie au secteur privé) la responsabilité de gestion des stocks. Hors on sait que, dans la théorie économique néo-libérale, les stocks, de plus non productifs, sont une charge et une perte d’argent, autant pour les entreprises qui préfèrent verser des dividendes, que pour les services publics qui voient leurs budgets se réduire comme peau de chagrin.

Résultat : dès le début de l’épidémie, impossible pour le gouvernement de faire ne serait-ce que l’inventaire des stocks. Une faute grave d’imprévoyance3 de la part d’une élite censée prévoir pour protéger, non les profits de certains, mais la santé de la population. Constat pitoyable : les entreprises françaises sont trop petites pour l’enjeu (car pas de marché d’État) et des gouvernements, souvent libéraux, parfois amis, ont mis sous cloche la vénérée libre circulation en réquisitionnant leur production nationale, quand ils ne commettent pas des braquages, comme des bandits de grands chemins, sur les cargaisons à destination de régions en détresse4. Un parfait exemple d’entraide libérale et européenne entre république Tchèque et Italie…

De leur côté, l’OMS et les pays asiatiques, qui ont réussi à juguler la pandémie ou pour le moins à limiter les dégâts, exhortent les pays européens à utiliser en masse les tests pour identifier tous les malades, notamment les asymptomatiques, et éviter qu’ils diffusent le virus. Les autorités françaises préfèrent marteler qu’il n’y a pas besoin de tester massivement la population puisque le virus est déjà présent partout. C’est d’abord nier que la répartition de l’épidémie n’est pas uniforme sur le territoire et qu’il aurait été possible de protéger les régions les moins atteintes, notamment les Dom-Tom plus faciles à circonscrire, ou préserver nos anciens piégés dans les Ehpad. Mais c’est surtout un aveu d’impuissance et de pénurie5. Si la recherche française a su créer des tests très rapidement, plusieurs éléments ne sont pas produits en France. A l’exemple du réactif, fabriqué en Chine, dont les usines sont à l’arrêt, ou États-Unis, dont le président, ultra nationaliste, a bloqué les exportations.

La mondialisation, usine à profits pour ceux qui détiennent les capitaux, machine à détruire le tissu social pour les autres, est en train de nous précipiter dans l’abîme. Il ne s’agit pas d’avoir une gestion nationaliste mais plutôt localiste des productions vitales et stratégiques pour le bien commun.

Devant ce désastre, responsables politiques et grands patrons n’ont pas encore de médicaments ou de vaccins à proposer mais ils ne manquent pas de passer des couches épaisses de pommade au prolétariat qui est en première ligne, le plus souvent sans protection, comme des généraux galvanisant la piétaille avant qu’elle aille se faire tailler en pièce au front.

Car les faits sont impitoyables : pour combattre cette crise, sauver des vies, nous protéger, ce ne sont pas les plus gros salaires qui sont les plus utiles mais les laborieux, les invisibles, les smicards qui s’épuisent en fond de cale et qui ne sont que quelques chiffres dans les lignes de comptes des grands capitaines.

Hôpitaux publics et recherche publique exsangues ; stocks stratégiques (donc public) de masques de protection dilapidés ; tests et respirateurs impossibles à fabriquer en nombre car dépendant d’éléments fabriqués à l’autre bout de la planète… tout démontre l’impéritie de l’idéologie néo-libérale, d’un système qui a marchandisé jusqu’à nos vies, qui a dilapidé tous les communs (santé, ressources naturelles, culture, services publics…), qui a nié toute émancipation des individus.

Le Titanic du néo-libéralisme

Et tandis que la pandémie va encore ravager la planète pendant des semaines, un autre désastre est en train de s’annoncer : l’effondrement économique prédit bien avant cette pandémie, et pas seulement par des économistes hétérodoxes, souvent qualifiés de gauchistes. Devant les voyants qui se sont mis au rouge tout au long de ces dernières années, les structures mêmes du capitalisme mondial ont commencé à avoir des angoisses concernant la solidité de leur système. Pas ici d’apitoiement sur la misère, la précarisation des emplois ou la santé des populations, juste une crainte sur la fiabilité de la pompe à fric. FMI, OCDE, BRI (Banque des règlements internationaux qui chapeaute les banques centrales), Forum de Davos se sont inquiétés dans des rapports récents6 de gros déséquilibres : endettement astronomique de la planète (253 000 milliards de dollars7) ; explosion des inégalités partout dans le monde ; rachats de leurs propres actions par les entreprises ; bulles multiples (boursières, financières, immobilières) apparues suite au déversement par les banques centrales de liquidités sans fléchage vers l’économie réelle; réapparition dès après la crise de 2008 de produits financiers à hauts risques dans la sphère financière ; mise à jour de triche parmi les banques pour contourner les quelques contraintes mises en place après 2008…

Nous entrons depuis le début de la pandémie, dans une zone totalement inconnue où même les meilleurs spécialistes dans leur domaine (scientifiques, économistes…) sont incapables de nous proposer un avenir. Seule certitude, le vieux monde capitaliste, qui s’est vu démiurge régissant l’humanité et sa biosphère, est en train de mettre un genou à terre. Mais il compte bien repartir de plus belle dès l’orage passé. Car, comme en 2008, les États (avec l’argent de la communauté) et les banques centrales (avec leur planche à billet) sortent une artillerie jamais vue dans l’histoire de l’économie moderne : ce sont des dizaines de milliers de milliards qui sont mis sur la table pour maintenir à flot la mondialisation et le néo-libéralisme. Même l’Allemagne, qui a connu les dangers de l’utilisation massive de tels instruments et les affres de l’hyperinflation, va emprunter 156 milliards sur les marchés, le double de ce qu’elle avait emprunté suite à la crise de 2008, pour sauver son économie, et ce contre ses principes constitutionnels qui lui interdisent tout recours au déficit budgétaire.

Il y a un siècle, le Titanic était le porte étendard d’un capitalisme industriel triomphant. Course au gigantisme, concurrence débridée entre compagnies transatlantiques européennes, morgue des ingénieurs, le navire sombra pourtant corps et biens victime de ses faiblesses plus que d’un iceberg. Et ce sont les passagers les plus modestes, privés de canots de sauvetage, qui en ont été les principales victimes.

La mondialisation et son pendant, le néo-libéralisme, sont le Titanic de ce siècle avec les fragilités citées plus haut. Et ses élites sont déjà en train de monter dans les canots de sauvetage lancés par États et banques centrales. Les populations laborieuses devront, elles, se fabriquer elles mêmes des bouées de « fortune ».

Il est impensable de sauver ce système si l’on veut réduire les inégalités, sauver ce qui reste de notre biosphère, limiter les dégâts du réchauffement climatique, bref sauver notre peau.

Impossible de s’en remettre aux gouvernants et aux détenteurs de pouvoirs dominants, quels qu’ils soient. Vénalité, corruption, incompétence, abus de pouvoirs, dénis de démocratie, mise sous tutelle des populations, sont le lot commun des pouvoirs en place. Jamais nous n’obtiendrons de leur part la sauvegarde des communs et l’émancipation des individus, une émancipation anarchiste, humaniste et bienveillante, mais aussi créative.

Il faudra donc veiller ensemble à ce que les têtes de l’hydre ne repoussent pas et rapidement lancer des alternatives aussi diverses qu’innovantes pour le bien de l’Humanité.

1 : https://www.nytimes.com/interactive/2020/03/22/world/coronavirus-spread.html

2 : il s’agit bien de la mondialisation néo-libérale non pas d’internationalisme, d’échanges culturels planétaires, de coopération sociale par delà les frontières...

3 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/24/penurie-de-masques-la-faute-logistique-de-l-etat-francais_6034188_3232.html

4 : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-la-republique-tcheque-vole-des-masques-a-l-italie_3879601.html

5 : https://www.mediapart.fr/journal/france/210320/derriere-l-absence-de-depistage-massif-du-covid-19-la-realite-d-une-penurie?page_article=2

6 : Ces rapports, alarmistes, sont nombreux sur les sites des institutions ou résumés dans des comptes-rendus de la presse.

7 : https://www.mediapart.fr/journal/economie/240320/covid-19-le-spectre-de-la-grande-depression-hante-l-economie-mondiale

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.