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Billet de blog 25 avril 2025

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Le pape, le conclave, le clergé, une histoire d’hommes

Ils seront 135 cardinaux électeurs, cloîtrés dans la Sixtine, tous des mâles de plus de 50 ans, à intriguer pour attribuer un pouvoir exclusif à l’un d’entre eux, celui de la seule théocratie d’Europe qui règne sur 1,4 milliards de catholiques et un gros magot immobilier et culturel. Ils sont supposés représenter « l’universalité de l’Église », mais sans les femmes.

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Illustration 1
Et Dieu le père créa l'Homme © Pierre Metivier

« Un collège aux visages multiples, reflet de l’universalité de l’Église », c’est ainsi que le site « tribunechretienne.com »1 décrit le Sacré Collège, dont 135 cardinaux électeurs (sur 252), réunis en conclave, vont coopter l’un d’eux pour diriger le plus petit état du monde, mais pas le moins puissant, avec 1,4 milliard de catholiques à diriger (pardon, à guider), ni le moins riche, avec un patrimoine immobilier de plusieurs milliards d’euros. Ce sera une farandole de robes rouges (soutane et rochet blanc à dentelles), mais sans l’ombre d’une présence féminine qui pourrait venir troubler ce club très fermé d’hommes de pouvoir. Et ils sont encore une majorité d’hommes blancs de plus de 50 ans, même si François, à l’origine de 80 % des nominations, a rééquilibré les origines continentales en fonction du dynamisme des communautés catholiques. L’Europe, autrefois dominante, l’est un peu moins aujourd’hui, même si, proches du Saint Siège (du pouvoir), les calotins européens en maîtrisent les codes et les portes dérobées bien mieux que d’autres pour organiser une prise de pouvoir.

Ces cardinaux vont se claquemurer dans un entre-soi masculin (masculiniste?) ‒ les résistances à l’entrée des femmes dans ces lieux de pouvoir étant largement majoritaires ‒ pour des tractations qui seront avant tout une lutte de pouvoir entre « progressistes » (disons des conservateurs tièdes) et conservateurs purs et durs, de ceux qui diffusent leurs idées chez les activistes ultra-cathos proches des extrême-droites. Un front idéologique brutal que François, membre affirmé du premier courant de pensée, a dû affronter pour faire passer ses réformes, sans obtenir de victoire complète, loin s’en faut. Le même « tribunechretienne.com » précise d’ailleurs que ce conclave reflète les « tensions qui traversent » cette docte assemblée. Là où il y a pouvoir et argent, il y a forcément des tensions, et réciter les préceptes bibliques de tolérance et d’amour n’y changera rien. Le ring est en place, même si la testostérone n’est sans doute pas aussi prégnante que ça, cette honorable assemblée ayant en moyenne 70 ans.

Une ségrégation des femmes ancestrale

Illustration 2
© Matt Soar

Au moment des funérailles, François sera encensé pour sa main tendue aux migrants, son pacifisme et sa volonté, pas toujours entendue, de rester proche des humbles. Les fastes du pouvoir sont un marqueur que la plupart des chefs cathos ne sont pas prêts à lâcher. Mais nul doute que ses funérailles seront unanimement ponctuées de commentaires laudatifs, comme le fait remarquer Olivier Mathonat, enseignant chercheur à l’Ircom2 : « Lors de ce type d’événement, les journalistes sont “transformés en prêtres, en photographes de noces, en convives” ce qui les conduit à adopter une révérence qui touche à la componction ».3 Le droit d’inventaire, ce sera pour plus tard car, lorsque habemus papam, ce dernier devra affronter quelques dossiers aussi brûlants que les feux d’un enfer dans lequel nombre d’ecclésiastiques risquent d’être déportés. Gageons que nos 135 cardinaux vont être les premiers à faire cet inventaire, en cercle privé d’hommes d’âge mûr et mutiques.

La liturgie catholique et son organisation sont une survivance d’un patriarcat rance, mais encore suffisamment vivace pour sauvegarder son pouvoir de domination d’esprits qui, ayant le sentiment de ne pas pouvoir faire face à la réalité, sont en recherche de compassion, de spiritualité, de réconfort. Qu’est-ce qui peut, aujourd’hui, justifier la ségrégation dont sont victimes les femmes volontaires pour accéder à l’appareil politique du Vatican et de ses innombrables filiales ? L’opposition farouche des ecclésiastiques aux droits des femmes relève de ce patriarcat passéiste qui veut qu’elles soient sur terre pour pondre des enfants (grâce à l’appui du Saint-Esprit ?) ou pour devenir bonnes sœurs. Leur sexualité, l’avortement, la PMA, etc. ne sont qu’œuvres du Malin. On pourrait étendre cette réaction à la fin de vie choisie, aux expressions de genre. Et François n’a rien lâché sur ces points, tançant les grands de ce monde qui veulent suivre les évolutions sociétales. Tout juste a-t-il fait l’aumône de la bénédiction des couples homosexuels, grand bien leur fasse.

Pour le clergé, la femme reste une pécheresse indécrottable qu’il faut cornaquer. Ce n’est pas pour rien que, dans l’iconographie du christianisme (au moins depuis la Renaissance), la puissance est représentée par des mâles, Dieu le Père, et Jésus, son fils héritier. Où est la femme dans ce scénario biblique ? Marie ? La femme au foyer mais qui engendre l’enfant par des voies impénétrables ?

Le pouvoir intégrateur des rites catholiques ‒ mais on peut l’étendre à toutes les religions ‒ a permis au patriarcat religieux de tenir en mains, pendant des siècles, les peuples convertis, souvent de force (prosélytisme et colonisation), jusqu’au pouvoir terrestre des rois. La Révolution, les guerres, Mai-68 ou même les différents scandales et conspirations, n’ont pas réellement ébranlé cette caste très fermée et François s’y est usé à vouloir la réformer en profondeur.

Fric, sexe and magouilles

Illustration 3
© nefasth

Le défunt pape a dû faire amende honorable, durant son pontificat, sur nombre de scandales au sein d’une Église loin d’être exemplaire dans les domaines de l’éthique, du respect de l’autre, de l’honnêteté. Il semble que les sept péchés capitaux ont été particulièrement bien étudiés lors des séminaires, puis ont fait l’objet d’expérimentations de confirmation lors de l’exercice du sacerdoce.

Le monde clérical masculin, sensé faire vœu de chasteté, se révèle avoir une activité sexuelle pour le moins débridée. L’abbé Pierre, qui a raté sa sanctification, s’y est épuisé. Il faut reconnaître que la religion catholique est la première à faire, sinon pénitence, du moins son meetoo#, son « balance ton curé ». À cette occasion, le monde découvre ébahi, à l’exemple de notre Premier ministre au « cœur transpercé », que les établissements scolaires catholiques sont des organisations d’abattage de la jeunesse avecchâtiments corporels, endoctrinement biblique et ultra-conservateur. L’affaire Bétharram révèle progressivement une dérive systémique qui remonte très loin, qui était connue mais qui était également acceptée. « Si tu ne travailles pas bien, on t’envoie chez les curés ! » Les établissements catholiques ont toujours été considérés comme des cocons conservateurs par la bourgeoisie et comme des maisons de correction par les classes inférieures.

Le Vatican, siège d’une toute-puissance politique et spirituelle, et ses prosélytes, ont gardé sous leur botte (pardon, sous leur sandale épiscopale) les peuples tenus à la seule observance des préceptes bibliques et au respect des sermons de ces hommes revendiquant murmurer à l’oreille de Dieu. Comme toute organisation autoritaire, elle met beaucoup de moyens dans une éducation aux petits oignons, apte à formater cette jeunesse si turbulente et curieuse des théories darwiniennes. Les châtiments corporels, inévitablement ordonnés par Dieu à travers ses porte-parole, ne sont là que pour garder la jeunesse dans le droit chemin. La violence, physique et morale, érigée en mode d’éducation. Alors que les réseaux ultra-cathos se battent pied à pied contre le très soft programme d’« éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité » de l’Éducation nationale, curés, abbés et autres prêtres proposent depuis des décennies une éducation sexuelle en cours (très) particuliers (aucune activité de groupe n’a été signalée). Nul doute que les caresses sexuelles, l’homosexualité, la pédophilie, les viols dans les sacristies et les dortoirs ont fait l’objet de justifications alambiquées et d’adaptations du discours bibliques auprès des victimes et obtenir de leur part un silence de cathédrale. À l’exemple du père Hyacinthe-Marie Houard (décédé en 2012), cofondateur de l’Ircom cité plus haut, auteur pendant quarante ans de violences sexuelles sur mineurs de 5 à 13 ans, selon une enquête de « La Croix »4 et dont certaines ont fait l’objet d’une reconnaissance et d’une indemnisation de l’Église de France. Avait-il compris le sens de la définition du péché de luxure qui « consiste à considérer l’autre comme un objet dont le seul but est l’assouvissement de [son] propre plaisir » et dont il était censé se préserver ?

Le pouvoir, c’est de l’argent

Illustration 4
© Alec Morales

« Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites (les mitrés?) et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. » (Matthieu 6:19). l’apôtre auteur signifiait par là que les valeurs spirituelles étaient supérieures aux valeurs bassement terrestres. Pour autant, si les membres du clergé revendiquent une hauteur de vue spirituelle qu’ils dispensent volontiers, lors des messes, du haut de leur « chaire de vérité », il est aussi composé exclusivement d’hommes qui, inévitablement, se coltinent des défauts qu’ils vilipendent… chez les autres. Pour les honorables membres de la hiérarchie catholique, leur charge réclame des moyens, celle d’une monarchie absolue de droit divin.5 Ancien grand propriétaire terrien dépouillé en 1870 par les Piémontais, le Vatican a de beaux restes. Certes, quand Pie IX s’est fait expulser comme un vulgaire locataire impécunieux, il a été obligé de lâcher la plupart des États pontificaux. Mais après les accords de Latran, en 1929, signés par Mussolini, le Vatican a été doté d’un pécule annuel d’argent public de la part de l’État italien qu’il a su faire fructifier, avec un ruissellement dans les hautes sphères vaticanes. L’argent n’ayant pas d’odeur, même les mafieux ont planqué leurs magots dans la banque du Vatican, l’Institut pour les œuvres de religion (IOR). Il faut dire qu’on est très pieux dans ce milieu. Dans les années 1980, l’ancien patron de la défunte banque italienne Ambrosiano utilisait l’IOR pour blanchir l’argent de la Mafia. Ces dernières années, 5000 comptes suspects ont été fermés.

Le pape François n’a pas mâché ses mots pour dénoncer les dégâts du capitalisme et il a tenté d’assainir le système des poches profondes des prélats adeptes des petits arrangements, avec quelques avancées. Survivront-elles au changement de direction ? Le Vatican est un petit état de 760 habitants, un village d’irréductibles au milieu d’une Rome impériale. Mais il possède aujourd’hui plusieurs milliards d’euros de biens immobiliers, en majorité en Italie, mais aussi dans les capitales européennes les plus cotées. C’est au bas mot quatre milliards d’euros, sans compter l’inestimable valeur des biens culturels et cultuels, ni un copieux portefeuille d’investissements en actions. À Paris, ce sont plusieurs centaines d’immeubles (737) dans les plus prestigieux quartiers, pour une valeur proche de 600 millions d’euros.6 Seuls les rois du pétrole lui font concurrence. L’immobilier rapporte à lui seul plus de cent millions d’euros, contre 134 millions de billetteries dans les musées et 46 millions de revenus des titres.7 Un pactole qui a suscité des vocations d’affairistes et une corruption endémique. La publication de ce patrimoine en 2021 correspondait d’ailleurs au début du procès devant le tribunal pénal du Vatican d’un micmac, en 2014, quand l’administration papale, la Secrétairerie d’État, s’est fait refourguer un immeuble d’un quartier chic londonien au-dessus de sa valeur avec, calotte sur le gâteau, une utilisation imprudente du Denier de Saint-Pierre, collecte annuelle de dons dédiés aux œuvres caritatives. Les magouilleurs n’ont pas osé affirmer que cet immeuble accueillerait des pauvres et sans domicile fixe, mais une perte de plus de 130 millions d’euros a été constatée, sans qu’on sache vraiment dans quelles poches a pu aller cet argent. Après passage au confessionnal pénal, le cardinal Becciu, ancien bras droit du pape, a toutefois été condamné en 2023 à cinq ans et demi de prison et à l’interdiction d’exercer toute charge publique. Amen ! Les intermédiaires ont aussi été condamnés. Il est désormais inscrit dans les textes que les pieuses institutions financières doivent s’abstenir d’investir dans les jeux d’argent, la pornographie, l’armement. Une sage recommandation. Mais comme l’antiféminisme religieux n’est jamais loin, elles ne doivent pas non plus injecter d’argent dans les centres de santé pro-avortement.

Impossible de savoir qui sera désigné successeur de François et encore moins s’il (ça ne risque pas d’être « elle ») aura la volonté de poursuivre les réformes amorcées. Si c’est le cas, il faudra en plus espérer qu’il sera choisi parmi les plus « jeunes » du conclave, car la route sera longue et semée d’embûches que le Malin saura semer sur son chemin de croix.

Illustration 5
La colère de Dieu © Jeff-Photo

1. https://tribunechretienne.com/conclave-2025-voici-lintegralite-des-135-cardinaux-electeurs-dont-8-francais-et-un-papabile/.

2. L’Institut des relations publiques et de la communication (Ircom) est un établissement privé fondé par l’Abbé Houard, prêtre catholique accusé d’avoir commis de nombreuses violences sexuelles sur des mineurs.

3. https://theconversation.com/communion-mediatique-autour-du-pape-francois-la-disparition-de-lesprit-critique-255160.

4. https://www.la-croix.com/religion/abus-sexuels-dans-l-eglise-nouvelles-revelations-sur-le-fondateur-de-lircom-dangers-20240108.

5. Le pape dispose d’un pouvoir absolu, exécutif, législatif et judiciaire. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vatican.

6. Rapport de l’Administration du patrimoine du Saint-Siège (APSA). Le recensement des biens immobiliers du Vatican sont publics depuis juillet 2021.

7. https://www.blick.ch/fr/monde/ces-mysterieux-actifs-qui-font-la-fortune-du-vatican-id20812944.html.

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