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Billet de blog 26 septembre 2023

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L’impasse pompidolienne de Macron

En misant tout sur la technologie et le tout-électrique, Macron joue un remake d’un scénario pervers des années 1970 : pour rentabiliser le tout nucléaire, civil et militaire, Pompidou avait lancé la mode des « grille-pains », signe de modernité devenu plaie énergétique. Macron le techno-scientiste veut nous vendre des millions de pompes à chaleur et de voitures survoltées pour justifier ses EPR.

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Illustration 1
Nucléaire © mo640

Pompidou, héritant du programme de dissuasion nucléaire du grand Charles, a lancé, au début des années 1970, un ambitieux programme nucléaire civil faisant d’une pierre deux coups : alimenter bombes et missiles en matières fissiles, notamment en plutonium, tout en rentabilisant l’investissement en revendant une électricité massive, centralisée, à la population avide de modernité et portée par une croissance à plus de 6 %. La nucléarisation à marche forcée a de plus permis d’obtenir un coût très bas du kilowatt/heure, à condition de refiler le fardeau des démantèlements et des déchets millénaires aux générations futures ‒ ce n’était techniquement pas à l’étude, encore moins évoqué publiquement, et toujours en grande partie non résolu aujourd’hui.

Autre problème qui s’est posé aux gouvernements Pompidou/Messmer : même si l’électroménager équipait de plus en plus de foyers français, le marché de l’électricité était bien trop étroit pour écouler l’offre pléthorique d’un parc nucléaire qui s’annonçait l’un des plus mégalos au monde. Les technocrates et ingénieurs des Mines, choyés par Pompidou, aidés par le premier choc pétrolier, ont donc imaginé un grand plan de déploiement du tout-électrique avec pour base le chauffage électrique et les fameux « grille-pains », au rendement catastrophique, mais indolore sur les factures grâce à un prix du kilowatt défiant toute concurrence. L’isolation des logis passera d’ailleurs au second plan : tels des Américains gavés de pétrole, les Français ne regarderont pas à la consommation électrique. Et ça faisait tellement moderne.

Illustration 2
Centrale nucléaire © Nicolas Olszewski

Macron laboure la start-up nation depuis le début de ses mandats pour nous faire avaler la même propagande techniciste, promesse de croissance, de marchés gagnés et de dividendes derrière un décor en carton pâte vert recyclé. Car la pompe à chaleur (PAC) n’est, ni plus ni moins, qu’un chauffage électrique, certes un peu plus performant qu’un grille-pain, mais qui s’alimente à la même source nucléaire centralisée. Et lorsqu’on transforme cette pompe à chaleur, pour les réversibles, en pompe à fraîcheur durant les canicules, elle devient un gouffre énergétique bruyant, rejetant de la chaleur dans un extérieur en surchauffe. Comme un représentant de commerce le pied dans la porte, Macron veut nous vendre plusieurs millions de PAC et par la même occasion les faire fabriquer en France dans de vastes complexes industriels qui seront, n’en doutons pas, vite mis en difficulté par des importations en provenance de pays à bas coûts salariaux, marché mondialisé oblige. Même antienne à propos des bagnoles que Macron et la plupart de ses affidés « adorent ». Ce n’est pas comme s’ils logeaient dans une banlieue délaissée par les transports en commun ou une campagne enclavée et abandonnée par les services publics. Le gouvernement vise, là encore, le Français moyen en promettant un million de véhicules électriques à 100 € par mois, sans faire mention de l’évolution probable des tarifs d’électricité qui, selon tous les spécialistes, vont continuer de grimper : plus 10 % en février dernier, 15 % en août et la promesse d’au moins 10 % début 2024. Tout juste a-t-il promis « reprendre le contrôle » ‒ une insanité dans la bouche d’un partisan du libre marché ‒ du prix de l’électricité sans précision du mécanisme et des délais. La promesse d’un futur chèque électricité ? Le bouclier tarifaire, payé sur facture par le contribuable, n’y changera pas grand-chose. Et pas sûr qu’Olaf Scholz lui facilite la tâche, la fixation des prix étant européenne et le chancelier pas sur le même voltage que le président français.

L’augmentation des tarifs de l’électricité est inéluctable : il va bien falloir amortir le très onéreux lifting des vieilles guimbardes nucléaires de Pompidou ainsi que la construction de nos rutilants EPR, mal formés de naissance, et dont l’augmentation des coûts de construction relèguent l’inflation du panier de la ménagère au rang d’anecdote. Si l’on avait le moindre doute sur la prééminence de l’objectif nucléaire de Macron, c’est qu’on a zappé la nomination d’Antoine Pellion à la tête du Secrétariat général à la Planification écologique (SGPE). Ce technocrate, ingénieur des Mines (Pompidou ne l’aurait pas renié), passé par Areva (devenu Orano), est un pro-nucléaire revendiqué. Avoir travaillé comme stagiaire sur le chantier catastrophique (plus de dix ans de retard) de l’EPR d’Olkiluoto en Finlande ne l’a pas découragé le moins du monde.1

Le décor en carton pâte de la croissance vert

Illustration 3
Tricastin © Jeanne Manjoulet

Bien sûr, il y a le « en-même-temps » macronien qui présente cette conversion électrique à marche forcée comme une transition avec l’aide des énergies renouvelables. Ces dernières n’y suffiront pourtant pas, loin de là, à moins de recouvrir nos paysages agricoles et naturels d’océans de panneaux scintillants, plantés de mâts d’éoliennes et d’EPR… ce qui a l’air bien parti à coups de lois et décrets facilitant les démarches et court-circuitant les oppositions et obligations démocratiques et environnementales. Les exploitants agricoles, devenus exploitants de centrales, pourront se vanter d’alimenter en électricité les industries agro-alimentaires qui recracheront leur malbouffe à base de matières premières importées, des agriculteurs nourrisseurs par procuration.

Ce plan d’électrification massive fait bien entendu l’impasse sur les questions qui fâchent. Comme Pompidou et sa clique de technocrates, Macron et son gouvernement se soucient peu de la future fin de règne de ces filières (déchets nucléaires, batteries, panneaux photovoltaïques, éoliennes) et du démantèlement et du recyclage qui sont loin d’être techniquement maîtrisés. Même s’il émet moins de CO2 qu’une centrale à gaz, le nucléaire propre n’existe pas, le legs aux futures générations du cimetière de Bure est là pour en témoigner.

Sachant que les métaux rares, dont sont truffés ces technologies, font partie des ressources stratégiques en situation critique (rareté, épuisement) listées par l’Europe2 ‒ et n’en doutons pas, par les autres grandes économies ; que plus le capitalisme s’empare de nouvelles technologies, plus il faut d’énergie et de ressources pour les faire tourner ; que leurs démantèlements sont dangereusement polluants et compliqués techniquement, il est plausible que, comme dans un passé récent, on s’inquiète du problème après moult catastrophes écologiques et humaines, qu’on s’expose à une explosion des coûts dus à la raréfaction des ressources et à de multiples conflits pour mettre la main sur les réserves de ces précieux minerais extraits avec de moins en moins de précautions des entrailles de notre pauvre Terre.

Illustration 4
Dans la vallée de la Mort (USA) © Jean Luc HEBERT

Surtout, dans cet ordre de bataille technologique et industrielle initié par ce gouvernement, n’apparaît aucun programme volontariste pour une quelconque sobriété aidée tandis que perdure un manque de moyens à investir dans une efficacité énergétique massive par l’isolation et la rénovation. Cette dernière a pris un retard considérable et reste dépassée par le principe, plus lucratif, du neuf qui artificialise ou du démolition/reconstruction. Voir le projet de reconstruction de l’immeuble Insee de Malakoff qui fait l’unanimité, élus locaux et population, contre lui mais dont le gouvernement ne démord pas.

Dernier gag : la fermeture annoncée pour la ixième fois des deux seules centrales à charbon du pays. Une promesse remise qui ne coûte pas au milieu du parc nucléaire et qui ne permet certainement pas de donner des leçons à des pays comme l’Allemagne, l’Inde ou la Chine. Pendant ce temps l’aviation civile subventionnée retrouve sa croissance exponentielle d’avant Covid, les véhicules individuels deviennent aussi obèses que des chars d’assaut et panneaux publicitaires lumineux et rond-points éclairés comme des stades de foot sont toujours plus nombreux. Cherchez l’erreur. Sobriété et croissance capitaliste sont définitivement antinomiques.

Illustration 5
Sortir du nucléaire © Jacques BILLAUDEL

1. https://www.nouvelobs.com/ecologie/20230925.OBS78604/10-choses-a-savoir-sur-antoine-pellion-le-monsieur-planification-ecologique-de-macron.html?utm_source=pocket-newtab-fr-fr.

2. https://www.mineralinfo.fr/fr/actualite/actualite/publication-du-reglement-europeen-sur-matieres-premieres-critiques.

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