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Nous sommes tous des Africains, un état de fait que les racistes à visages pâles, même normalisés, évitent d’évoquer. L’espèce humaine est née sur ce continent, il y a environ sept millions d’années, et s’est ensuite divisée en de multiples espèces d’hominidés qui se sont géographiquement séparées, puis parfois à nouveau croisées, avant de disparaître pour la majorité. Certains de nos ancêtres, les Hommes modernes (Homo sapiens sapiens), apparus il y a peut-être 300 000 ans, ont ensuite traversé ou contourné la Méditerranée pour atteindre le fin fond de la Bretagne il y a environ 54 000 ans1. Ils y ont rencontré en route les Néandertaliens, des cousins hominidés plus archaïques, installée là depuis environ 150 000 ans. Je ne sais pas si ces derniers ont étiqueté « immigrés » les nouveaux venus et s’ils comptaient parmi eux un Darmanin neanderthalensis, mais on ne peut que constater que nos ancêtres sapiens n’ont pas fait l’objet d’une OQTF2. Mieux, pendant près de 12 000 ans, immigrés et locaux ont pécho3, pratiqué le coït sans vergogne et, faute de contraception adaptée, ont donné naissance à ce qu’il faut bien nommer des bâtards, plus scientifiquement, des êtres humains hybrides.4 & 5 « Les preuves génétiques montrent que l’évolution humaine ne peut pas être considérée comme une évolution cloisonnée consécutive à la divergence de différentes lignées. Les formes modernes et archaïques se sont en effet croisées de nombreuses fois en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, et le flux génétique allait dans les deux sens ».6 Il a même été découvert récemment que les Néandertaliens possédaient déjà des traits d’Homme moderne, avant l’arrivée d’Homo sapiens sapiens. L’avait-il déjà croisé auparavant ou les a-t-il acquis en cours de route ? Mystère. Homo sapiens n’a d’ailleurs pas fauté qu’avec les Néandertaliens mais s’est aussi envoyé en l’air avec ses congénères dénisoviens.
La race pure est un mythe
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En bref, le mythe d’une espèce pure d’humains modernes en a pris un coup dès le début de l’histoire de notre espèce. Quant au concept de races au sein de l’espèce humaine moderne, en analogie aux races d’animaux d’élevage, il n’existe tout simplement pas scientifiquement, pas même celui d’ethnie. Il n’a d’ailleurs jamais pu faire, dans le passé, l’objet de définitions philosophique, biologique, juridique, historique solides, 7 hormis de la part des Nazis ou des esclavagistes dont on connaît les démonstrations scientifiques particulièrement fumeuses, prétextes à des génocides incommensurables, ou de la part de régimes qui ont été ouvertement ségrégationnistes. Peu après sa rédaction en 1948, l’inclusion du mot « race » dans la déclaration des Droits de l’Homme a fait débat et, à partir des années 1990, le débat est relancé quant à sa présence dans notre Constitution qui veut acter l’égalité entre tous les hommes. L’impossibilité de définir le terme a fait échouer jusqu’à présent les tentatives de réécriture du texte, la dernière ayant eu lieu en 2018.
La science de l’ADN a, depuis, répondu sans ambiguïté : « En séquençant pour la première fois le génome humain, en juin 2000, Craig Venter, un chercheur américain, a mis un point final au concept de race, qui a perdu tout fondement scientifique », rappelle Nationalgeographic.fr. Les différences génétiques entre deux humains pris au hasard (hors jumeaux véritables) sur la planète sont plus ténues qu’entre deux chimpanzés. Les vieilles lunes sont pourtant tenaces lorsqu’elles permettent de justifier des idéologies de haine ou nationalistes. Les racistes ont leurs vérités alternatives (comme dirait Donald) qui prospèrent sur les réseaux asociaux, chambres de résonance d’une évolution intellectuelle régressive.
Je suis donc un bâtard avec entre 1 et 6 % de gènes néandertaliens et/ou dénisoviens 8 & 9. Il se pourrait même bien qu’ils soient à l’origine de mes problèmes d’arthrose ! Mais suis-je aussi un métis, catégorie également abhorrée par les racistes ? Le métis désignait au XIVe siècle le résultat d’un croisement entre deux races animales, puis est attesté à partir du milieu du XVIe pour la descendance de couples humains de races différentes, c’est-à-dire de couleur de peau différente.10 La théorie raciale ayant été scientifiquement démontée, le métissage, dans cette définition, n’a plus de légitimité non plus. À moins de considérer que toute progéniture issue de deux êtres humains distincts (c’est valable pour les PMA et autres GPA) est un métissage. La descendance d’une Bretonne et d’un Marseillais comporterait alors autant de métissage que l’enfant d’un paysan auvergnat et d’une « kaf » 11 réunionnaise. Le métissage n’est pas un mélange de couleur mais un partage de chromosomes. L’amour et l’attirance sexuelle ont des raisons que les racistes veulent ignorer, surtout s’ils ont eux-mêmes quelque union fautive dans leur arbre généalogique qu’ils escamotent soigneusement. L’union de deux êtres fait souvent fi des différences, même lorsque les pressions socio-culturelles et communautaires contraires sont fortes. Là encore, le métissage, dans le sens de génétiques croisées, existe depuis l’aube de l’humanité et se retrace désormais dans les études anthropologiques par l’ADN. Le contraire du métissage, c’est la consanguinité. Et un non métissage culturel, c’est un rapport social incestueux, fermé. Le métissage est le contraire de l’uniformité, est à contrario un enrichissement génétique et culturel. On ne conserve pas une communauté ou une culture vivante sous cloche, sauf à la voir dépérir ou à l’exposer dans un bocal de formol, objectif des nationalistes et de l’extrême droite.
Pour s’assurer de la pureté de ses origines ou à la recherche d’une ascendance prestigieuse, la prospection généalogique est d’ailleurs devenue une passion moderne, aidée aujourd’hui par l’établissement de son propre ADN, accessible en quelques clics.11 Mais une exploration des origines, qu’elle se déroule dans des archives ou des labos, peut accoucher de résultats aléatoires et n’assure aucune certitude sur son ascendance. Il y a les registres officiels, pas si anciens que cela, et il y a la réalité des accouplements dont certains peuvent être qualifiés d’hors ligne directe : la chair est faible, Spiritus quidem promptus est, caro vero infirma.12 Le sermon dominical du curé n’empêchait pas ce dernier de retrouver des rejetons emmaillotés sur le parvis de son église ou de devoir baptiser un enfant illégitime. Les liaisons inavouables étaient courantes, quelle que soit la classe sociale. Dans toutes les familles, il n’est pas rare de retrouver la notation “assistance publique” dans les actes de naissance des générations passées. C’est mon cas.
On est toujours l’immigré de quelqu’un
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Difficile donc d’y retrouver ses petits, de retracer les dilutions de couleurs et de traits physiques, surtout sur des dizaines de générations. Ce qui est sûr, c’est que l’espèce humaine, comme la majorité des espèces animales, ne peut se maintenir que grâce à ses brassages génétiques : plus il est large, plus ses chances de survie sont grandes et il est fort à parier que son nomadisme originel a permis à notre espèce de prospérer. Comme on l’a vu, l’Homo sapiens avait la bougeotte, explorait, envahissait, colonisait et copulait, de gré ou de force, avec les autochtones rencontrés. Après la disparition des autres espèces d’hominidés, de nombreux groupes d’Homo sapiens ont poursuivi leurs migrations ou se sont installés et adaptés là où ils avaient posé leurs valises, ont enrichi la mosaïque des populations qui avaient cultivé leurs différences. Puis le brassage s’est poursuivi avec les échanges commerciaux, les explorations, jusqu’au commerce triangulaire de l’esclavage et à la mondialisation capitaliste.
Mais les flux changent au gré des conséquences de pillages coloniaux et néocoloniaux, de conflits de pouvoirs religieux et politiques, ou tout simplement générés par les effets du saccage de la planète par la bourgeoisie capitaliste. Le voyageur (le vrai, pas le touriste), l’expatrié est toujours l’immigré de ses hôtes. À lui de faire en sorte de ne pas être considéré comme un colon, un envahisseur, mais un homme ou une femme qui recherche l’échange fraternel, égalitaire, empli d’humanité partagée. La Droite identitaire et haineuse considère que tout immigré est un colon culturel en puissance s’il n’est pas blanc et friqué. Elle n’a aucune notion de l’hospitalité, aucune volonté d’échange hors rapport à titre onéreux, aveuglée par sa trouille de l’autre qu’elle refuse de connaître. Selon un certain Éric Zemmour, les enfants seraient même les plus dangereux : “Ils n'ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs” a-t-il lancé sur Cnews.13 Mais alors, qu’étaient les militaires et colons français du XIXe siècle qui ont conquis l’Algérie au prix de massacres, de politique de la terre brûlée et d’expropriations massives des autochtones ? Et aujourd’hui, que sont les 2,5 millions de Français actuellement établis à l’étranger (hors touristes en goguette) ? 14. Se considèrent-ils, sont-ils considérés comme des immigrés dans leur pays hôte et sont-ils traités de la même manière que ceux qui échouent, épuisés, sur nos rivages ? Les retraités français qui débarquent en masse en Tunisie, au Maroc et autres pays du Sud, ne se noient pas mais ont un impact pas toujours positif sur les communautés locales : inflation des biens immobiliers et des denrées, sans pour autant apporter de réelle richesse culturelle. Et pourtant, les régimes de visas, liés à la puissance de chaque état, sont loin d’être égalitaires.
Les fachos veulent imposer l’idée formatée de racines identitaires, d’un roman historique exclusif, en oubliant que les graines sont portées par le vent, que ce sont les mélanges culturels qui ont façonné la France et l’Europe actuelles.
Nomade comme ces graines, je me suis implanté là où je touchais terre, pour me régénérer sous la protection des hommes et des femmes du cru. Dans le Sahel, j’ai toujours trouvé portes ouvertes sur mon chemin et invitations généreuses, sans arrière-pensée, me réservant la meilleure couche et le partage du repas commun. Je veillais à me comporter comme l’invité étranger mais sans préjugé, ouvert à l’échange sur un pied d’égalité, curieux de la culture de l’autre, avide de lien humain. Je n’ai jamais ‒ j’insiste, jamais ‒ été confronté au rejet, particulièrement dans les contrées les plus arides, les plus difficiles à vivre pour les locaux. Je ne me suis jamais senti perdu dans ces déserts de cailloux grâce à l’omniprésence d’un hôte, parfois invisible, mais qui s’incarnait lorsque je pouvais être en difficulté. À l’inverse, j’ai croisé des Américains ou des Européens, membres d’ONG internationales, qui, par leur comportement condescendant, leur débauche technologique brandie en signe de supériorité, imposant leurs remèdes en négligeant le lien social et les savoirs autochtones, étaient accueillis comme ils méritaient : des bourses à vider puis à ignorer.
Les migrants du Sud, nos contemporains, violentés par les fléaux dont nous sommes en grande partie responsables (climat déréglé, séquelles post-colonialistes, pillages de leurs ressources…) se noient, réduits en esclavage en Libye, embastillés dans nos sinistres centres de rétention, ou littéralement dans les eaux sombres de Méditerranée ou de la Manche. Ils sont les enfants de ceux qui m’ont accueilli, moi le voyageur solitaire et parfois en péril. J’ai été l’immigré d’autres peuples et ils ne m’ont pas laissé me noyer dans leur univers de poussière et pourtant plein de leur vie : ils m’ont offert l’hospitalité, m’ont appris, m’ont humainement enrichi. Ma dette est immense.
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2. OQTF : à l’époque, Obligation de Quitter notre Territoire Fabuleux, dans sa version moderne, Obligation de Quitter le Territoire Français.
3. À l’attention des ancêtres comme moi, c’est la version moderne d’emballer, https://fr.wiktionary.org/wiki/p%C3%A9cho.
5. https://link.springer.com/article/10.1007/s11692-015-9348-1.
7. Peu après sa rédaction en 1948, l’inclusion du mot « race » dans la déclaration des Droits de l’Homme a fait débat et à partir des années 1990, le débat est relancé quant à sa présence dans l’article premier de la Constitution actant de l’égalité entre les hommes. L’impossibilité de définir le terme a fait échouer jusqu’à présent la réécriture du texte, la dernière tentative ayant eu lieu en 2018.
8. https://www.science.org/doi/10.1126/science.aao1887.
10. Dictionnaire historique de la langue française, p. 1399.
11. Cette recherche n’est pas autorisée en France mais nombreux sont ceux ou celles qui s’adressent par internet à des sociétés américaines.
12. « L'esprit est ardent mais la chair est faible », paroles attribuées au Christ dans l’Évangile selon Matthieu.
13. Pour ces paroles immondes, celui qui allait se présenter à l’élection présidentielle du pays des droits de l’Homme a été condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Paris pour complicité de provocation à la haine et d'injure raciale visant les immigrés « en raison de leur non-appartenance à la nation française ». Le candidat d’extrême droite a été condamné à 10 000 euros d'amende.
14. https://www.vie-publique.fr/en-bref/283598-la-communaute-francaise-letranger-au-1er-janvier-2022.