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« On n’a pas vu ça depuis la Seconde guerre mondiale ! » L’expression a souvent été entendue ces dernières semaines sur les ondes concernant la « guerre de haute intensité » qui martyrise le peuple ukrainien. Expression émise à l’antenne de manière affectée par des journalistes ou avec un air compassé chez des galonnés sortis de la naphtaline, devant les images pleines de fureur d’orgues de Staline (pardon, de lance-roquettes multiples). On peut imaginer que la même phrase entonnée dans les bureaux feutrés des industriels de l’armement du monde capitaliste n’a pas la même musique devant l’avalanche de ventes et commandes.
Les guerres parsèment l’Histoire humaine comme des fanions identitaires. D’ailleurs, on en apprenait les dates (plus souvent les victoire que les défaites) par cœur à l’école de ma lointaine enfance. Depuis le siècle dernier, les guerres font l’objet d’une planification industrielle à l’image de l’Allemagne hitlérienne. L’Allemagne d’aujoud’hui, laminée par le dernier conflit mondial, vient de voter un budget de 100 milliards d’euros pour se réarmer… sans casques à pointe. Aux USA, l’esprit créatif des ingénieurs et les usines tournent à plein. Les armuriers bénéficient d’un banc d’essai sur place et de stand de tir dans les cours d’écoles primaires. En Europe, Nexter, MBDA, Thalès ou Dassault, pour la France, frisent sans doute l’apoplexie devant la demande et l’immense terrain de jeu ukrainien. C’est quand même mieux qu’un simulateur. Le Conseil européen discute d’un regroupement des commandes des 27 pour ne pas se faire barboter les marchés par les Américains, comme ces nigauds de Français qui ont dû remballer leurs sous-marins d’attaque1. De leur côté, les Russes organisent une grande braderie des immenses stocks soviétiques d’armement, plus quelques innovations terrifiantes. Mais c’est pour combattre le « nazisme ukrainien », dixit Poutine qui se prend pour Staline. Comme les Russes de Staline (qui eux, ont tout de même combattu le nazisme, le vrai) les soudards de Poutine pillent, assassinent et violent en masse. Zuzana Sermer, qui a échappé miraculeusement à la rafle du 25 mars 1942 et au premier convoi juif vers Auschwitz, se retrouve en Hongrie en 1944 et est à l’époque témoin des exactions soviétiques : « Nous avons été témoins de scènes affreuses. »
Des champs de blé ukrainiens aux cours d’écoles américaines, tout cela fait les live, les directs, les unes et les clics des médias, crée des emplois et des dividendes. Nul doute que nos champions français du BTP préparent déjà leurs valises pour l’Ukraine et que la NRA a conclu son show par une augmentation de son budget lobbying. Le PIB n’attend pas.
Il y a aussi l’anéantissement à bas bruit

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Le printemps est fracassant mais il est aussi silencieux3. Car l’anéantissement peut être aussi à bas bruit et ressortir, sinon d’une planification, du moins d’une conjonction d’intérêts funestes.
Loin du fracas des obus de 155 des canons caesar, une fierté française, oui monsieur, j’ai l’immense chance d’admirer, de mon fauteuil, les Pyrénées, solide phare naturel et apaisant vers lequel je suis toujours revenu. Pourtant, elles se meurent et nous avec. Des chercheurs y ont déjà détecté des microplastiques dans l’air des plus hauts sommets4 et logiquement dans la neige, les sols et la Garonne5. S’y ajoute l’impact du changement climatique sur la disparition des glaciers et la dégradation des forêts que, par ailleurs, on s’apprête à surexploiter.6 Mais d’autres chercheurs viennent de détecter un cocktail toxique « impressionnant » dans ses lacs de haute altitude : pas moins de 141 molécules différentes, « des fongicides, des herbicides, des insecticides, des pesticides difficilement dégradables, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des biphényles polychlorés » ainsi que de l’atrazine, un herbicide extrêmement toxique et interdit en Europe depuis… 2003. « Pourquoi seraient-ils épargnés alors que nous avons déjà pollué chimiquement des régions presque désertes de notre planète [comme] l’Antartique ? » interroge Dirk S. Schmeller, chercheur à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse et auteur de l’article.7
Ce constat local, sans live et autre « alerte info », réplicable sur toute la planète, fait partie de ces indices concordants d’une économie industrielle de destruction du vivant, de prédation de toute ressource naturelle quasi gratuite. Aux morts d’Uvalde et d’Ukraine, on peut ainsi ajouter les millions de morts de la guerre que livrent les capitalistes et les nantis contre le reste de l’humanité et le vivant en général : entre autres 9 millions de morts ( un décès sur six !) attribuables à la seule pollution8, principalement aux particules fines et aux molécules chimiques. Logique quand une autre étude révèle qu’un tiers des fruits européens sont contaminés par des pesticides dangereux9. Où l’on mesure une autre planification destructrice, celle de l’agriculture industrielle, des terres laminées à la biodiversité martyrisée en passant par l’appauvrissement génétique, l’abus d’antibiotiques, d’eau douce, et du panel le plus inventif de l’industrie chimique. Pendant ce temps, Indiens et Pakistanais pauvres et non climatisés meurent étouffés dans une fournaise climatique.
Je pourrais continuer ainsi jusqu’à l’écœurement, jusqu’à l’asphyxie ou jusqu’à un inévitable cancer.
Mais pas de panique : une commission mondiale « sur la gouvernance des risques liés au dépassement climatique [va] réfléchir aux conditions de déploiement de techniques de géo-ingénierie – c’est-à-dire des méthodes de modification climatique à grande échelle –, non seulement sur leur faisabilité, leurs bénéfices et leurs risques, mais aussi leur gouvernance », rapportent des journalistes du Monde10. « La quinzaine de membres de cette commission – anciens commissaires européens, chefs d’État ou ministres de pays du Nord et du Sud, diplomates de haut niveau, etc. – se pencheront sur des problématiques qui n’ont jusqu’ici jamais été examinées à un tel niveau. » Là encore, une sorte de planification dans le monde horrifique des ingénieurs de la high-tech, du transhumanisme au nucléaire en passant par le traficotage génétique. Le capitalisme technophile a plus d’un tour dans son sac.
Le massacre guerrier est un pouvoir discrétionnaire de l’Homme. La destruction industrielle et meurtrière du vivant est le pouvoir d’une espèce dominante et invasive, cornaquée par une élite organisée de manière quasi militaire. En droit (de l’Homme), devant une juridiction mondiale et indépendante (on peut rêver), lorsqu’on produit et vend des armes ou des molécules mortelles, s’agit-il d’un homicide volontaire ou involontaire ? Question inutile puisque les pauvres et le monde vivant non-humain n’a aucun droit de cité dans un monde en délitescence, de la pourriture à la poussière puis au néant.
3. : Printemps silencieux est un livre de Rachel Carson, fondateur dans la prise de conscience des dévastations liées aux pesticides. https://wildproject.org/livres/printemps-silencieux.
4. : https://www.cnrs.fr/fr/des-microplastiques-retrouves-dans-l-air-pur-des-pyrenees.
6. : https://www.touchepasamaforet.com/ et https://reporterre.net/Dans-les-Pyrenees-un-projet-de-scierie-geante-menace-les-equilibres-forestiers.
10. : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/29/climat-certaines-des-technologies-envisagees-pour-maintenir-habitable-la-terre-relevent-du-cauchemar_6128066_3232.html et https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/05/17/captage-du-carbone-geo-ingenierie-une-commission-mondiale-se-penche-sur-l-impact-du-depassement-climatique-de-1-5-c_6126399_3244.html (payants).