Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

178 Billets

2 Éditions

Billet de blog 31 janvier 2020

Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

Pour la liberté d’empoisonner

Pour le lobby de l’agrochimie, pouvoir vendre en toute liberté aux pays en développement des pesticides reconnus dangereux pour l’Homme par la communauté scientifique internationale et interdits en Europe, fait partie des Droits de l’Homme.

Yves GUILLERAULT (avatar)

Yves GUILLERAULT

Paysan et journaliste, tous les deux en retraite active

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On ne va pas bouder une victoire même si elle n’est que très limitée. Le Conseil constitutionnel vient d’entériner la priorité de la protection de la santé et de l’environnement sur la liberté d’entreprendre en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le lobby des pesticides contre un article de la loi Egalim. Ce dernier interdit l’exportation, à partir de 2022 (faut pas brusquer les industriels), de pesticides fabriqués en France mais interdits dans l’Union européenne. En clair, la liberté individuelle d’entreprendre est limitée à la liberté collective de vivre en bonne santé en lien avec un environnement sain.

Ce qui n’avait pas empêché l’UIPP, qui regroupe tous les producteurs de pesticides implantés en France, d’invoquer dans cette QPC les Droits de l’Homme (vous avez bien lu) pour conserver cette liberté d’entreprendre et d'exporter des produits reconnus dangereux pour l’Homme par la communauté scientifique, interdits en France (et en Europe) pour protéger la santé des Français, mais fabriqués en France pour être vendus (cher) essentiellement aux Africains dont les populations sont loin de bénéficier de la protection de leurs gouvernements. Poisons chez nous mais bénéfices ailleurs.

Ainsi, l’atrazine, herbicide « interdit en France depuis 2003 pour son potentiel cancérigène, perturbateur endocrinien et de ses effets délétères sur le développement intra-utérin »1, mais que l’on retrouve toujours dans les eaux souterraines, notamment dans le sud-ouest producteur intensif de maïs, reste un jackpot pour ces industriels champions des Droits de l’Homme. Et de pousser le cynisme un peu plus loin en arguant du fait que « l’effet sanitaire sera nul » puisqu’ils délocaliseront leur production dans un autre pays (européen ou autre) pour maintenir leur petit commerce. En gros, ils se tapent sur le ventre en disant : « Même pas mal ! » Et de sous-entendre, en forme de petite vengeance, que c’est l’emploi français qui en pâtira en invoquant l’inadmissible « distorsion de concurrence », bien plus nocive que les effets des pesticides.

Il reste qu’il est dommage que cette décision ne soit pas venue du politique et du législatif, mais ça n’étonnera pas quand on fait, en matière d’écologie, la (longue) liste des promesses non tenues, des renvois sine die, des renoncements du gouvernement et de sa majorité (comme des précédents) face aux lobbies de la FNSEA et de l’agrochimie. Il n’y a qu’à consulter les derniers chiffres des ventes de pesticides en France, un des premiers pays utilisateurs dans le monde : une augmentation de 20 % en dix ans pour une promesse de baisse (largement subventionnée) de 50 %. C’est ce que la FNSEA appelle de l’ « agriculture raisonnée » utilisant des « produits phyto-pharmaceutiques pour la protection de la santé des plantes » : ça rend plus intelligent le discours de propagande. Le site internet de l'UIPP2 regorge aussi de cette communication marketing de gens responsables en blouse blanche pour consommateurs ébahis. Un dernier p'tit verre d'atrazine (C8H14ClN5 pour les intimes) pour la route ?

Mais ne boudons pas la satisfaction d’une décision d’élémentaire humanisme du Conseil des Sages qui permet de redonner un peu d’énergie à tous ceux qui se battent pour ne plus être empoisonnés.

Et pendant qu’on y est, rêvons : à quand la même décision concernant les armements qu’on exporte allègrement vers des pays à régimes autoritaires pour ne pas dire dictatoriaux, armes qui sont utilisées sur des populations civiles ?

1 : https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/01/31/la-protection-de-l-environnement-peut-justifier-des-atteintes-a-la-liberte-d-entreprendre-juge-le-conseil-constitutionnel_6027909_3244.html . Les effets délétères pour l'eau et l'environnement et nocifs pour la santé sont aujourd'hui parfaitement documentés. Voir par exemple https://fr.wikipedia.org/wiki/Atrazine .

2 : http://www.uipp.org/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.