Yves Lenoir
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Billet de blog 24 déc. 2022

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Changer l'or en plomb, l'alchimie de la fusion nucléaire : le NIF et ITER

Depuis sept décennies les hérauts de la physique des hautes énergies sollicitent les media pour annoncer que la fusion nucléaire est à portée de main. Une information calibrée pour capter toujours plus de ressources. En 1957 on annonçait une industrialisation dans les dix ans. Aujourd'hui, personne ne se risque à faire des prévisions. Seule certitude : les budgets s'envolent

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

SOMMAIRE

Illustration 1

“Treat this world as it deserves. There are no principles, just circumstances." 

        Entrée en matière !

    Premier paragraphe du communiqué de sept pages du DoE (Département de l'énergie des Etats-Unis d'Amérique), en date du 13 décembre 2022 :

    « WASHINGTON, D.C. - Le Département américain de l'Énergie (DOE) et l'Administration nationale de la sécurité nucléaire (NNSA) du DOE ont annoncé aujourd'hui la réalisation de l'allumage de réactions de fusion au Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) - une percée scientifique majeure au terme de plusieurs décennies, qui ouvre la voie à des avancées en matière de défense nationale et d'énergie propre pour le futur. Le 5 décembre, une équipe de la National Ignition Facility (NIF) du LLNL a mené la première expérience de fusion contrôlée de l'histoire à atteindre cette étape, également connue sous le nom d'équilibre énergétique scientifique, ce qui signifie que la fusion a produit plus d'énergie que l'énergie laser utilisée pour la déclencher. Cette prouesse historique, la première du genre, apporte une contribution sans précédent au programme de gestion des armes nucléaires de la NNSA et des informations précieuses dans la perspective de production d'énergie de fusion propre, ce qui pourrait changer la donne quant à la manière d'atteindre l'objectif du président Biden d'une économie zéro carbone. »

    Suit une série de déclarations enthousiastes et programmatiques des principaux responsables du projet et d'une brochette de politiciens californiens.

    En conclusion, le communiqué rend hommage à toutes les collaborations et apports d'entités extérieures au LLNL, dont le CEA français :

    « L'allumage a été rendu possible grâce au dévouement des employés du LLNL ainsi que d'innombrables collaborateurs du DOE (Los Alamos National Laboratory, Sandia National Laboratories et Nevada National Security Site), de General Atomics ; des institutions universitaires, notamment le Laboratory for Laser Energetics de l'Université de Rochester, le Massachusetts Institute of Technology, l'Université de Californie, Berkeley et l'Université de Princeton ; des partenaires internationaux, notamment l'Atomic Weapons Establishment du Royaume-Uni et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives de France ; et des parties prenantes du DOE, de la NNSA et du Congrès. »

        Retour à la réalité

    La fusion nucléaire nourrit bien des fantasmes depuis la fin des années 1940. Sans doute la fabrication de bombes atomiques, moins de trois ans après qu'Enrico Fermi avait réalisé la première pile atomique à Chicago, a-t-elle pu égarer le jugement, et des physiciens, et des politiques, au point de les persuader que les quelques éventuelles embuches sur la voie menant à la fusion nucléaire contrôlée seraient assez facilement et rapidement contournées. Par ailleurs, l'efficacité de la technologie des bombes H, prouvée en 1952 dès le premier essai à Bikini du dispositif Mike de 10 Mtonnes équivalent TNT, 800 fois l'énergie libérée par la bombe larguée au dessus Hiroshima, illustrait de façon assez aveuglante le formidable potentiel des réactions de fusion nucléaire. Quoi qu'il en soit, la course à la fusion débuta au tournant des années 1950 et n'a connu qu'accélération depuis lors, échecs et déconvenues semblant renforcer l'idée qu'il fallait toujours plus alimenter la chaudière, notamment en budgets inflationnistes.

    "Mille revers ne valent pas un succès" écrivait malicieusement le poète Paul Scarron, premier mari de Madame de Maintenon. Eh bien, en matière de physique des hautes énergies, les revers servent le Progrès ; les déboires et remises en cause ouvrent de nouvelles voies prometteuses vers l'objectif ultime. Mais, surtout, les résultats des expériences susceptibles de valider l'idée qu'on se rapproche sensiblement de l'objectif renforçent la défense contre les détracteurs compétents en minant leurs efforts savants visant à démontrer que l'idée d'une libération à l'échelle industrielle de l'énergie des fusions nucléaires tient du mirage. Un mirage néanmoins fort utile en ce qu'il apporte un semblant de fondement au rêve prométhéen de disposer un jour d'une source d'énergie illimitée, continue, maniable, propre et sûre.

           Le NIF ? Qu'est-ce que le NIF ? Que s'y passe-t-il ?

    Le NIF est une énorme installation couvrant plusieurs hectares dont le but est la réalisation d'une seule sorte d'expérience : déclencher des réactions de fusion nucléaire par confinement inertiel (Figure -1-).

Illustration 2
Figure -1- Vue générale du NIF (éclaté)

    L'élément central de cet immense complexe technologique est une petite capsule sphérique de 2 mm de diamètre contenant un mélange de tritium et de deuterium placée au centre d'une cavité cylindrique en or de dimension centimétrique dénommée hohlraum  (four en allemand), Figure -2-. La paroi de cette capsule, d'une sphéricité impérativement quasi parfaite avec des surfaces externe et interne aussi lisses que possible, est constituée d'un polymère spécial, dopé avec des traces métalliques. Elle pèse environ 3 mg. Son contenu, un mélange de quelques µg à parts égales de deutérium et de tritium est maintenu à une température de l'ordre de 18 °K (- 255°C). A cette température la quasi intégralité du contenu est déposée sous forme d'une fine couche de glace sur la paroi interne de la capsule.

    Chaque tir des 192 lasers de grande puissance concentre vers les deux sections externes du hohlraum l'énergie censée déclencher les réactions de fusion entre noyaux de tritium et de deutérium. Le processus physique mis en œuvre est analogue à celui d'une bombe atomique au plutonium, l'implosion ultra-rapide d'une sphère creuse. Celle de la capsule est provoquée par un flux aussi intense, bref, centripète et isotrope que possible de rayons X (dans une bombe atomique l'onde de choc concentrique est réalisée par un explosif classique). A l'instant paroxystique, la vitesse radiale de l'implosion est censée atteindre 370 km/s, valeur nécessaire pour que le couple densité - température du mélange deutérium-tritium atteigne le seuil de l'ignition des fusions.

            Quelques petits problèmes un tantinet gênants cependant.

Illustration 3
Figure -2- Hohlraum utilisé dans le NIF

    Un premier "petit" problème d'optique s'est posé : celui de la réalisation d'un flux X isotrope convergeant pile-poil au centre de la capsule. Les lasers de grande puissance actuellement disponibles émettent des photons de lumière verte. La conversion de cette lumière en rayons X nécessite en gros deux étapes. La première mobilise un ensemble gigantesque de 192 bancs optiques d'une complexité inouïe (https://www.osti.gov/pages/servlets/purl/1256427) dont le rendement ne dépasse guère 1% (figure -3-). Au terme de son passage dans ce dispositif, la lumière des 192 faisceaux sort sous forme d'un rayonnement ultra-violet. La conversion de cette lumière ultraviolette en un faisceau concentrique homogène de rayons X est obtenue par interaction des UV avec les parois internes du hohlraum. Après dix ans de tâtonnements décevants, il a fallu une dizaine d'années de plus, après une mise à plat du système entérinée en 2012, pour déterminer pas à pas la bonne géométrie du couple hohlraum - capsule. Le seul titre de l'article évoquant le fiasco, publié par le New-York Times dans son édition du 29 septembre de cette année-là, montre à quel danger d'ordre budgétaire, donc vital, le lobby derrière le NIF a réussi à échapper : "

    So Far Unfruitful, Fusion Project Faces a Frugal Congress" (NYT, 29/09/2012 <https://fire.pppl.gov/NIF_NYT_Broad_092912.pdf>).

    Il n'a pas été facile, par la suite, de passer d'un flux de rayons X transformant la sphère en petite galette à un flux suffisamment centripète et homogène pour approcher, atteindre puis dépasser les conditions de l'ignition… 

Illustration 4
Figure -3- Schéma d'un des 192 bancs optiques du NIF

    Le hohlraum et la capsule sont placés au centre d'une sphère métallique de 10 mètres de diamètres, dotée de 192 hublots et concentrateurs équi-répartis.  

    Le "succès" de l'expérience du 5 décembre a été présenté et fêté sans que les commentateurs dans leur immense majorité ne se préoccupent de quelques détails peu encourageants quant à une production d'énergie fondée sur cette filière. Certes, quelques uns ont repéré le faible rendement énergétique réel d'un procédé basé sur des lasers mais sans noter cependant que le maintient de la sphère de 10 mètres de diamètre sous un vide cryogénique ne pouvait que péjorer le rendement global du système en lui faisant perdre un facteur probablement d'un ordre de grandeur. Mais deux autres "détails", "des petits problèmes" à régler, méritent d'être soulignés :

      • le coût de plus d'un million de dollars d'un duo hohlraum-capsule <https://www.scientificamerican.com/article/high-powered-lasers-deliver-fusion-energy-breakthrough/> ;

      • l'opacification progressive des 192 hublots et concentrateurs par les débris des expériences, qui contraint de les changer après moins d'une dizaine de tirs (figure -4-).

Illustration 5
Figure -4- Opacification des 192 hublots en fonction du nombre de tirs

    Sachant qu'en supposant surmontés (!) tous les obstacles technologiques réduisant le rendement du système, une production d'énergie industrielle nécessiterait de l'ordre de 36 000 tirs/heure, point besoin d'être un grand spécialiste pour déduire du temps déjà passé à s'échiner à mettre au point le NIF et à régler les seuls "petits problèmes" sus-mentionnés, que l'argument "énergie pour le futur" n'a pour objectif que de maintenir à un niveau satisfaisant le débit la pompe à finances du lobby de la physique des hautes énergies.

        Exit le NIF, place à ITER

    Laissons de côté en ce point le procédé de confinement inertiel dont le "formidable succès" début décembre dernier de l'expérience réalisée au NIF a défrayé la chronique mondiale et suscité un torrent de commentaires enthousiastes convenus. Le principe du dispositif en condamne à l'évidence tout intérêt pour la production commerciale d'énergie. Mais il est clair que l'argument "un pas de géant vers la solution ultime pour régler les problèmes énergétiques de l'humanité" reste un must, Le Must, pour maintenir un niveau élevé de subventions. Car cette installation gigantesque, tout comme son équivalent français, le Laser Mégajoule – aux performances nettement en retrait cependant – de la DAM, Direction des Applications Militaires du CEA, n'a pour seul but que de contourner le traité international d'interdiction des essais nucléaires. Il s'agit de réaliser des expériences de fusion nucléaire en chambre dont les résultats, sous forme de mesures diverses, sont destinés à caler les modèles de bombes H afin d'en améliorer le design et l'efficacité. Lors de son intervention le 21 décembre 2022 à l'émission du matin de France Culture, le visible scientist Etienne Klein, a dû le concéder, tout en ajoutant :

    – "… pour la fusion inertielle par Laser, la route est plus longue que pour la fusion magnétique qui, elle, s'inscrit dans une démarche beaucoup plus industrielle.

    – (Guillaume Erner, l'interviewer) Le projet ITER vous paraît donc plus prometteur en la matière ?

    – Oui, même si on a pris du retard. Il y a des problèmes de corrosion, de soudure. On a cinq ans de retard …"

    Si l'on avait que des problèmes de corrosion et de soudure… mais… cinq ans de retard ? seulement ? Un détail aurait-il échappé à Etienne Klein, ou bien sa mémoire aurait-elle flanché ? Car, en 2010, dans un grand congrès international, on affirmait que ITER, dont la construction avait débuté depuis plus de trois ans, allait chauffer son premier plasma en… 2020. Aujourd'hui cette première étape est annoncée pour 2030. Les retards s'ajoutent aux retards, un syndrome bien connu : les ennuis s'abattent en escadrilles et les retards s'accumulent comme les dettes.

    Voir la vidéo de l'interview à l'URL, <https://www.dailymotion.com/video/x8gibmn> : le langage corporel compte…

   Etienne Klein, vu son pedigree de chercheur au CEA, de professeur de physique nucléaire à l'École polytechnique et à Supélec, occupe une place de choix sur la scène de la vente au public de tout ce qui touche aux sciences et notamment nucléaires. C'est ainsi que Guillaume Erner l'avait d'emblée présenté, pour crédibiliser le contenu d'une interview, visiblement préparée de conserve. C'est pourquoi j'ai été stupéfait que l'interviewer laisse passer sans même tiquer cette petite digression de l'interviewé, laquelle introduit la séquence rapportée ci-dessus :

    "A mon avis, c'est un avis personnel, je ne suis pas spécialiste…"

    Que valent alors les propos d'un non-spécialiste ? Un avis personnel, une opinion, ne présente aucun intérêt, sinon dans un talk show au service de l'image d'une vedette. Mais Etienne Klein serait-il vraiment incompétent ? Pourquoi cette restriction ? Ne serait-il pas dupe de la gigantesque escroquerie historique dont le lobby de la physique se rend coupable en entretenant décennie après décennie l'illusion que lui seul peut libérer l'humanité de la crainte de manquer un jour d'énergie ? Car l'homme ne saurait cracher dans la soupe ni galvauder les coûteux passe-temps de tous ses collègues, connaissances et amis, chercheurs, ingénieurs, administrateurs, gravitant autour de ces fabuleuses méga-machines – JET, Tore Supra, NIF, Mega-Joule, ITER etc, sans tout perdre : ses positions, la considération de ses pairs et donc la crédulité du public. France Culture a une réputation de sérieux et d'esprit d'ouverture. En l'occurrence, dans ces domaines où la technocratie domine, elle se montre très ouverte aux agents d'influence de celle-là. Elle sert à ses auditeurs les sornettes convenues qu'il est habitué à entendre. La chaîne de référence… n'a rien fait pour tempérer les délires enthousiastes que le communiqué diffusé le 13 décembre par le DoE des Etats-Unis a déchaînés dans les media "ordinaires".

        Le choix "évident" de la fusion par confinement magnétique

    Par fusion par confinement magnétique on entend une fusion nucléaire obtenue en chauffant à très haute température un plasma très peu dense d'atomes de deutérium et de tritium, le confinement du plasma étant réalisé au moyen d'électro-aimants très puissants. L'antériorité du procédé est évidente : les premières expériences ont été réalisées au début des années 1950 alors que le premier laser, un bricolage autour d'un cristal de rubis, date de l'année 1960. 

    Lorsque Etienne Klein affirme que la fusion magnétique est plus "prometteuse" pour la production d'énergie que la fusion inertielle, il répète sous forme de lapalissade ce qu'il vient de chiffrer dans l'interview : au NIF, les fusions ont libéré 150% de l'énergie déposée par les 192 lasers pointant vers la petite chambre d'expérience, alors que ITER "doit" libérer 10 fois plus d'énergie de fusion que celle nécessaire au chauffage du plasma, 500 MW pour 50 MW fournis. Il a précisé que la consommation des lasers du NIF est 200 fois celle déposée sur la cible, ce à quoi correspond effectivement un rendement entre énergie des fusions provoquées et énergie nécessaire au tir inférieur à 1%… Mais, tel un commentateur béotien,  Etienne Klein se garde bien d'évoquer quelques unes des données prouvant que le confinement inertiel ne saurait jamais servir à produire la moindre énergie électrique. Et à raison : s'aventurer sur ce terrain pourrait attirer l'attention sur la consommation des auxiliaires qui devront "nourrir" le tokamak ITER, mais aussi sur quelques autres "petits verrous faciles à surmonter" selon les termes employés quelques jours plus tôt, le 17 décembre 2022 à l'émission 7h-9h animée par Quentin Lafay, par Emmanuelle Galichet, responsable nationale de l’ensemble des enseignements en génie nucléaire. Où l'on note une fois de plus que l'indépendance de l'animateur et, plus généralement, de la chaîne de radio nationale France Culture (un service public… !) s'arrête là où il serait inconvenant de faire appel à des personnes capables de dénoncer la propagande d'un des plus puissants lobbies technocratiques. De ces deux interviews, n'ayons pas peur des mots, émanait l'odeur fétide de la connivence.

    Concernant la consommation des "auxiliaires", à condition de fureter un peu, on en trouve les valeurs sur le site d'ITER Organisation :

    "En régime stationnaire, la consommation électrique de la machine ITER et des installations sera de 110 MW. Au cours des « tirs de plasma », cette consommation atteindra 620 MW sur des périodes de pointe de 30 secondes."<https://www.iter.org/fr/mach/powersupply>.

    Et ITER Organisation ajoute dans la foulée que 80% de cette énergie servira à maintenir les aimants supra-conducteurs à une température de l'ordre de -270°C (~3°K). La consommation d'ITER sera donc au moins de 110 MW en continu ! Pour une expérience quotidienne au mieux de quelques centaines à quelques milliers de secondes … Par ailleurs, un petit bilan arithmétique montre qu'il faut une puissance de 500 MW pour transférer dans le tokamak les 50 MW nécessaires au chauffage du plasma et à l'ignition de ce dernier. En clair : prétendre que ITER produira, peut-être (on verra que les péripéties ayant affecté le projet et les accidents survenus dans les autres grands tokamaks incitent à la plus grande circonspection), 500 MW durant un tir pour 50 MW de puissance de chauffage n'est pas toute la vérité, loin s'en faut. In fine, le bilan global d'ITER ne sera guère plus encourageant ni plus "prometteur" que celui du NIF ! Etienne Klein, soit est désinformé, soit cache ce qu'il sait. Il suffit en effet de deux à trois minutes de surfing sur l'Internet pour rassembler ces quelques informations cruciales.

        Une longue histoire, "prometteuse" ?

            Un calendrier aussi instable qu'un plasma.

    Chacun jugera. Les faits sont là. Telle qu'en son cours en 2002, il y a vingt ans, l'histoire de la fusion par confinement magnétique est relatée sous tous ses aspects, sauf financiers…, dans l'ouvrage NUCLEAR FUSION; Half a Century of Magnetic Confinement Fusion Research, disponible gratuitement à l'URL <https://library.psfc.mit.edu/catalog/online_pubs/cteronference%20proceedings/fusion%20energy%20conferences/Nuclear%20Fusion%20(IOP)%20half%20a%20century.pdf>. Depuis, 20 années se sont écoulées. On serait aujourd'hui, selon les mots mêmes d'Emmanuelle Galichet "vraiment au début d'une épopée". Ce qui apparaît légèrement contradictoire avec ce que l'on attendait il y a 20 ans du programme ITER peu avant que les travaux n'aient commencé (les ultimes négociations portaient alors sur le lieu de son implantation que trois pays revendiquaient, le Japon à Naka ou Rokasho, le Canada sur son site de Clarington et la France à Cadarache). La pleine justification du projet était énoncée ainsi dans l'épilogue, page 269 de l'ouvrage mentionné ci-dessus :

    " These discussions take place against the background of the timescale for fusion energy, which presently foresees DEMO achieving net electricity production about 35 years after the decision to construct ITER and the beginning of large-scale electricity production after about 50 years. This is in contrast with studies performed in the US and Europe in the late 1970s, which signalled possibilities to reach that goal in 20 to 25 years. A recent European study [2] has again examined a possible faster track towards demonstrating the technical feasibility of fusion power on a 20-30 year timescale by fully exploiting the inherent flexibility of the ITER design."

    (Traduction : "Ces discussions ont eu lieu dans le cadre de l'évaluation de l'échelle de temps pour arriver à la production d'énergie de fusion, qui prévoit actuellement que DEMO atteindra la production nette d'électricité environ 35 ans [soit autour de 2035, NDA] après la décision de construire ITER et le début de la production d'électricité à grande échelle après environ 50 ans. Cela contraste avec les études réalisées aux États-Unis et en Europe à la fin des années 1970, qui laissaient entrevoir la possibilité d'atteindre cet objectif en 20 à 25 ans. Une étude européenne récente [2] a examiné une nouvelle fois la possibilité de démontrer plus rapidement la faisabilité technique de l'énergie de fusion sur une période de 20 à 30 ans, en exploitant pleinement la flexibilité inhérente à la conception d'ITER."

    La réalité est cruelle ! Les annonces autorisées s'égrenant depuis les semblants de fusion obtenues avec ZETA en 1957 (voir ci-dessous) ne lassent pas de décevoir, mais n'incitent cependant visiblement pas à désespérer. Indécrottables prophètes et gogos qui les suivent !

      • 1957 : d'ici 10 ans on produira de d'électricité par fusions nucléaires ; cela nous amène en 1967 ;

      • 1978 : on produira de l'électricité par fusion à grande échelle d'ici 20 à 25 ans ; soit autour de l'an 2000 ;

      • 2002 : DEMO (un super ITER conçu pour produire de l'électricité à partir de 2035) et ses successeurs produiront de l'électricité à grande échelle en 2050 ;

      • 2014 : ITER organisation écrit que les partenaires du projet se sont mis d'accord pour commencer la construction de DEMO en 2030 ; la machine démontrera qu'on pourra produire de l'électricité à échelle industrielle dès 2050 (les retards pris entre 2002 et 2014 n'affectent pas les prévisions ! l'indicatif est de rigueur) ;

      • 2022 : ITER a accru son retard ; cependant, pas de souci, ITER testera ses premiers plasmas en 2030 et produira des fusions dès 2035, l'échéance promise 20 ans plus tôt pour DEMO ; heureusement que les politiques sont encore plus sujets à l'amnésie que les physiciens ! ITER organisation ne fournit plus de prévisions quant à la date où l'on produira à grande échelle de l'électricité par fusion ; cependant, Emmanuelle Galichet, que ses responsabilités forcent à l'optimisme, a audacieusement déclaré le 17/12/2022 dans l'émission citée supra : "… j'ose espérer autour de 2080". Les paris sont ouverts.

   Les chiffres sont là, que l'autorité des sources interdit de mettre en doute : l'horizon glissant d'une production future d'électricité par fusion nucléaire double grosso modo tous les vingt ans – de 10 ans en 1957 à 60 ans en 2022 en passant par 20 ans en 1978, 36 à 48 ans entre 2002 et 2014, et une soixantaine d'années en 2022. Une loi empirique qui devrait inciter à sortir de l'ornière, c'est-à-dire de rapidement cesser de financer les entrechats balourds  de cette de plus en plus grosse danseuse. Devrait…

            Un tout petit peu plus de chiffres

    La première grande machine à fusion magnétique, dénommée ZETA (voir l'article détaillé de wikipedia), a été construite et testée en Grande-Bretagne, au centre de recherches nucléaires de Harwell. Elle concrétisait un développement conceptuel et pratique qui avait débuté dans les années 1930. ZETA avait la forme d'un tore dont les dimensions impressionnaient à l'époque avec son volume de 5 m3 et ses énormes électro-aimants de plusieurs centaines de tonnes. Les machines antérieures ne permettaient pas de maintenir la stabilité du plasma plus de quelques µs…  ZETA avait réussi à conserver un plasma stable pendant plus d'une milliseconde, un pas de géant car on disposait alors de suffisamment de temps pour mesurer le courant plasma et la température atteinte. L'intense compétition internationale à laquelle participaient aussi les Etats-Unis et l'URSS a poussé les britanniques à annoncer en novembre 1957 que ZETA produisait des fusions thermonucléaires depuis fin août ; l'émission de quelques millions de neutrons par tir en témoignait. Pour les responsables du programme, les valeurs du courant plasma (200 000 A) et de la température du plasma (entre 1 et 5 millions de °K) étaient compatibles avec l'obtention de fusions par effet-tunnel. La victoire était donc britannique ! Mais la Roche Tarpéienne et son ravin sont proches du Capitole… et c'est ainsi que quelques semaines plus tard il avait bien fallu reconnaître que le flux de neutrons provenait uniquement d'une interaction entre plasma et paroi du tore, ce qu'en physique on appelle un artefact.

    Le coup était rude. Le marasme régna dans le milieu de la fusion pendant dix ans, jusque 1968 quand, grâce à Dieu, les physiciens soviétiques présentèrent une solution autrement plus prometteuse, dénommée Tokamak, dont la première version , le T1, avait été construite en 1958. Certes, d'autres concepts avaient été étudiés, dont au moins un d'entre eux meilleur que celui du tokamak, mais d'une réalisation particulièrement difficile et coûteuse. C'est pourquoi, depuis l'abandon du principe de ZETA, la quête du Saint Graal (écouter <https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/fusion-nucleaire-la-quete-du-graal-4706558>, émission du 31 août 2021, suite à un record battu par le NIF) a mobilisé et mobilise plus d'une dizaine d'équipes autour de programmes de grands tokamaks "nationaux", comme Tore Supra du CEA ou JT60 au Japon, et "internationaux" comme le JET de l'UE et ITER dont on racontera plus en détails l'histoire ci-après. Des machines de plus en plus grandes, de plus en plus complexes et de plus en plus chères, ce qui se justifie car l'expérience a montré que les chances d'atteindre le seuil de l'ignition par confinement magnétique et des rendements élevés augmentaient avec le volume des tores, donc avec la taille des machines.

    Les grands bourgeois de la fin du XIXe siècle et début du XXe, se plaisaient à entretenir chacun au moins une danseuse. Plus svelte et talentueuse, plus élevées ses attentes. Et nos amateurs de ballet se pliaient volontiers à cette règle de marché. Depuis l'avènement de la Big science – cette réalité historique inaugurée avec le projet de bombe atomique, plus grosses et prétentieuses les danseuses, plus grand leur pouvoir de séduction. Le rapport coût/volume des grands tokamak n'infirme pas ce travers de notre civilisation technique fascinée par les méga-machines (selon l'acception du philosophe américain Lewis Mumford). En dollar constant la figure-5- ci-dessous chiffre cette deuxième loi empirique, l'évolution du coût de construction par m3 de volume de tore :

Illustration 6
Figure -5- : Dérive du coût des machines à confinement magnétique ($ constant)

    Les coûts de ces machines ont souvent évolué au fil des années au fur et à mesure que des perfectionnements importants y ont été apportés. Peu de données sont clairement disponibles, même dans les rapports officiels du Parlement français ou du Parlement européen. Le cas du JT60 est mieux documenté, grâce à un article du journaliste Robert Triendl publié en 2000 dans la revue Nature, disponible à l'URL <https://www.readcube.com/articles/10.1038/35036717>.

    Les chiffres de la Figure -5- ci-dessus correspondent aux budgets officiels au début de la construction de chaque installation. Il ne semble pas que les budgets aient sensiblement dérivé, sauf pour ITER, sans doute en raison de l'amplitude du saut en taille et en complexité par rapport aux machines antérieures. Accessoirement, on dirait que le CEA a des coûts de fabrication sensiblement plus élevés que ceux pratiqués au Japon ou dans le cadre de l'Union européenne. Question de contrôle des dépenses par la puissance finançante …?

            L'exceptionnelle genèse d'ITER, produit et victime des bouleversements géopolitiques

    Il y a eu deux projets ITER. Le premier, une machine dimensionnée pour produire 1500 MW, fut abandonné à la fin des années 1990  suite au retrait des américains, qui en avait été l'un des deux grands promoteurs. A la suite de quoi, pour obtenir le retour de ces derniers, les autres partenaires décidèrent de réduire de moitié le volume du tore et des deux tiers l'objectif de puissance à atteindre, soit de restreindre leur ambition au chiffre de 500 MW. C'est ce deuxième projet, une sorte de pis aller en regard des objectifs attachés au premier, qui est en cours de construction sur le site de Cadarache. Pourquoi et comment en est-on arrivé là, au risque d'un beau ratage ?

    La genèse du premier ITER s'inscrit dans le contexte de la fin de la Guerre Froide. Au début des années 1980, dans la période de la stagnation brezhnévienne, le lobby soviétique de la fusion contrôlée commençait à éprouver de grandes difficultés pour financer ses nouveaux tokamaks. Il craignait de perdre pied face à la concurrence, notamment celle du CEA avec Tore Supra et de l'Union-Européenne avec le JET. A la tête de ce lobby, l'académicien Evgueny Velikhov, un des plus éminents contributeurs à l'amélioration des tokamaks. Il était arrivé à la conclusion que maintenir les russes dans la course à la fusion passait par la création d'un partenariat international, où l'URSS occuperait toute sa place, pour la construction d'une machine géante hors de portée des moyens d'une seule nation, sauf, peut-être, des Etats-Unis (dont le Congrès ne se montrait cependant guère près de céder aux sirènes des physiciens…). La perspective d'une détente Est-Ouest après la nomination de Mikhaïl Gorbachov au poste de Premier Secrétaire du PCUS inspira à Velikhov une idée géniale : reproduire quelque chose de même nature que l'un des chapitres de l'accord de détente USA-URSS de 1972, à savoir s'engager dans une coopération scientifique de long terme dans l'intérêt de toute la planète et de la paix : la création à Vienne de l'IIASA (Institut international pour l'analyse des systèmes appliqués). Et cela, en faveur de son dada, la fusion, bien entendu. 

    Petite digression qui n'est pas sans signification, il s'agissait déjà en 1972 de l'intrusion du lobby de la physique nucléaire dans la géopolitique. Mais la mission essentiellement consultative et incitative de l'Institut le priva de tout levier effectif. Néanmoins, on pourrait retenir de ses activités la diffusions dès 1975 de rapports promouvant un système énergétique mondial basé sur le vecteur hydrogène dont la production serait assurée par un parc mondial de surgénérateurs au plutonium, dérivés de ceux en service en URSS et en France à l'époque. Ce projet grandiose se justifiait par la nécessité de réduire des émissions de gaz carbonique dont l'augmentation tendancielle suscitait déjà la crainte qu'elle ne provoquât un réchauffement climatique délétère. Les surgénérateurs ont fait long feu…

    Evgheny Pavlovich Velikhov s'ouvrit de son idée à son ami de longue date, Mikhaïl Sergueievich Gorbachov, dont il était de plus le conseiller scientifique attitré. Il s'agissait de sortir par le haut du pénible épisode de l'affrontement Est-Ouest paranoïde attisé par l'Initiative de défense stratégique du Président Ronald Reagan au début de son premier mandat. Gorbachov adhéra sans réserve à cette proposition et la relaya auprès de Reagan lors de leur premier sommet en novembre 1985 à Genève. Le président américain s'en montra enchanté : promettre d'offrir de conserve une source d'énergie infinie à l'humanité ne pouvait que séduire cet esprit simple et opportuniste. Les deux dirigeants décidèrent donc de confier à leurs spécialistes de la fusion nucléaire la définition d'un projet commun de grand démonstrateur basé sur la technologie du tokamak si chère à Velikhov. L'affaire se concrétisa publiquement au terme du sommet suivant, en octobre 1986 à Reykjavik. Baptisé ITER – International Thermonuclear Experimental Reactor – le projet se présentait comme ouvert à toutes les nations désireuses de s'y joindre… et de participer à son financement.

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Figure -6- Sommet Reagan-Gorbachov de Reykjavik, octobre 1986 © (ITER Organisation)

     Il s'agissait de concrétiser rapidement le symbole de cet inespéré changement d'époque : la fin de la Guerre Froide. Les parties au projet convinrent rapidement (avril 1988) de confier au Max Plank Institut de Garsching la conception du design général d'ITER. L'Institut rendit sa copie en décembre 1990 ! Un exploit en soi. En juillet 1992 les quatre parties, Fédération de Russie, USA, Europe et Japon programmèrent les travaux d'ingénierie auxquels s'associèrent le Canada et le Kazakstan. Six ans et demi plus tard, en décembre 1998, le Conseil d'ITER entérina le design définitif de l'installation. Cette dernière devait, bénéficiant de toutes les connaissance accumulées par ses prédécesseurs, atteindre les objectifs retenus depuis le début par les parties. : un tore de 1500 m3 dimensionné pour produire 1500 MW en continu (durant plusieurs centaines à plusieurs milliers de secondes) avec un rendement entre énergie de fusion et énergie de chauffage du plasma supérieur à 10. Accessoirement, l'installation serait dotée de tous les équipements nécessaires à l'amplification du flux de neutrons pour la régénération du tritium.

    Le contexte géopolitique ayant radicalement changé depuis l'effondrement de l'URSS en 1991, les parlementaires américains – les mieux informés du monde sur les affaires qui comptent, manifestaient une réticence croissante à participer au financement d'ITER. L'argument "consolider la détente par un engagement commun dans un grand projet pluri-décennal" était devenu caduque. L'objectif technique assigné à ITER trouvait de nombreux détracteurs et le faible rapport résultat escompté sur coût, une fois pondéré par un bon coefficient de risque d'échec, dissuada finalement une majorité de parlementaires de demander au contribuable de financer la part du budget dévolue à l'Amérique. Les USA se retirèrent d'ITER première version en décembre 1998, c'est-à-dire juste après l'adoption en fanfare du projet !

    En ce moment crucial, la science céda le pas à la politique. Pour être clair, faire revenir le partenaire américain devenait impératif. La crédibilité d'ITER, et donc de l'avenir de la fusion, en dépendait. La musique est alors assez classique : on négocie sur ce qui est négociable pour aboutir à un compromis. La partie américaine exigeait une réduction du coût. Force donc aux partenaires de réviser le dimensionnement de l'installation à la baisse. La tâche prit deux bonnes années. Le nouveau design fut adopté en juillet 2001, ITER Organisation prétendant qu'on avait réussi à maintenir les objectifs du premier ITER en en gardant le même nom tout en en réduisant la taille et les coûts ! Du bluff, puisque tout le monde savait qu'il avait fallu diviser le volume par deux et la puissance escomptée par trois, et qu'en conséquence il serait impossible que le rendement dépasse 10. D'où l'objectif de 10 désormais affiché, comme si faire mieux n'avait jamais été envisagé ! 

    Les américains continuaient pourtant de traîner des pieds. Comment les amener en douceur à revenir ? Les stratèges d'ITER décidèrent d'associer de nouveaux partenaires d'une envergure scientifique et financière indéniable, la Corée du Sud et la Chine. Chose faite et entérinée en fanfare en janvier 2003. Moins d'un mois plus tard, le 30 janvier 2003, G.W. Bush annonçait solennellement le retour des USA dans ITER. Ne restait plus qu'à choisir un lieu d'implantation. L'Europe propose Cadarache en novembre 2003. Les discussions s'enlisent. Il faut attendre le 23 décembre 2003 pour le retrait de la candidature canadienne. In fine, 18 mois plus tard, le 08 juin 2005, les parties retiennent le site de Cadarache pour accueillir ITER, et dans la foulée DEMO (ce qui s'appelle tirer des plans sur la comète). L'Inde rejoint ITER six mois plus tard ! Bref la politique a fait d'ITER Organisation une auberge espagnole. L'administration de l'entreprise ne peut guère y gagner. Cerise sur le gâteau pour le lobby français, le traité d'ITER est signé le 21 novembre 2006 en grande pompe à l'Elysée sous l'égide du président Jacque Chirac. Les rêveurs sont aux anges.

    Tout le monde était dans les starting blocks : le chantier démarre le 1er janvier 2007… il était temps… la politique a fait perdre cinq bonnes années et contraint d'abandonner le dimensionnement scientifiquement établi neuf ans plus tôt. Bref, quand on s'abstrait de l'atmosphère euphorique de rigueur dès qu'on évoque ITER, on se demande pour le moins si ITER était bien parti.

            Maintenir la stabilité du plasma ? Où en est-on vraiment ? Cédric Villani a-t-il fait merveille ?

   Le principal obstacle à la production continue d'énergie de fusion dans un tokamak tient en des événements cataclysmiques, appelés disruptions, au cours desquels la température du plasma chute en l'espace de la milli-seconde, son énergie étant alors dissipée par des coups de foudre impactant les parois du tore et/ou par des forces magnétiques capables de déformer des pièces métalliques importantes. La Figure -7- ci-dessous montre quelques exemples de dégâts provoqués par des disruptions sur la dernière génération de grands tokamaks, Tore Supra et JET.

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Figure -7- Exemples de dégâts causés par des disruptions

    La question des instabilités du plasma a été étudiée de façon approfondie par E. Velikhov, un pionnier en cette matière. Son travail a eu une influence capitale sur l'évolution des tokamaks. Cependant, malgré les efforts théoriques (de la physique mathématique) et empiriques (des modèles d'ingénieur), consentis depuis plusieurs décennies, la stabilisation du plasma n'est toujours pas garantie. Certes, la durée des expériences a été améliorée mais, les dégâts dus aux disruptions augmentant avec la taille des machines, passer de JET (100 m3) à ITER (830 m3) constitue en soi une prise de risque à ne pas négliger. La question mobilise les institutions et laboratoires impliqués dans le projet ITER, vers lequel convergent tous les travaux pratiques (menés sur les grands tokamaks en service) et bien des études de nature théorique. Les mots ci-dessous donnent une idée assez claire de l'état de l'art en 2010 : 

    « Les disruptions des plasmas de tokamak sont des phénomènes menant à la perte totale du confinement du plasma en quelques millisecondes. Elles peuvent provoquer des dégâts considérables sur les structures des machines, par des dépôts thermiques localisés, des forces de Laplace dans les structures et par la génération d’électrons de haute énergie dits découplés pouvant perforer les éléments internes. Leur évitement n’étant pas toujours possible, il apparaît nécessaire d’amoindrir leur conséquences, tout spécialement pour les futurs tokamaks dont la densité de puissance sera de un à deux ordres de grandeurs plus importante que dans les machines actuelles. » (Introduction de la thèse de Cédric Reux – Ecole Polytechnique-CEA, 2010)

    En clair : on ne contrôle pas la stabilité du plasma – ce qui correspond à l'absence d'un modèle théorique ; le mot "évitement" signale l'arrêt contrôlé de l'expérience si un signe précurseur dument répertorié est détecté ; le mot "amoindrir" s'applique plutôt à des ajouts technologiques ; enfin, évoquer des densités de puissance d'un ou deux ordres de grandeurs (soit de dix à cent fois) supérieures à celles dans les machines actuelles, suggère que les dégâts pourraient bien croître en conséquence. Une grande partie de la thèse est consacrée à la description et à l'analyse de dispositifs censés faire avorter les processus de disruption par injection de gaz dans le tore. 

    Il était grand temps de prendre le taureau par les cornes ! Ce qui fut fait : le 3 septembre 2010, la Newsline N°144 d'ITER Organisation diffusait un communiqué tonitruant sous le titre : “"MATH NOBEL" AT EXTREME THEORETICAL END OF ITER” ! Il s'agissait d'une intervention sur le site de Cadarache du célèbre mathématicien Cédric Villani, dernier lauréat 2010 de la Médaille Fields pour des travaux portant justement sur l'amortissement Landau des ondes dans les plasmas. On pouvait raisonnablement compter sur lui pour inspirer une percée théorique décisive. D'avancée il y eut peut-être, mais ITER Organisation est muette sur le sujet.

     Indice que la théorique piétine, le remplacement du gaz par des pastilles de glace d'hydrogène pour mitiger les disruptions a été célébré comme une avancée majeure le 26 novembre 2018 dans la publication "A task force to face the challenge" de ITER Science Division. Le nouveau procédé a l'avantage de réduire la durée de l'injection et de hâter le refroidissement du plasma. Ci-dessous à gauche, la vue d'artiste des canons conçus pour tirer les pastilles de glace dans le tore, et, à droite, la photo de l'intérieur du tore au moment où la pastille se volatilise.

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Figure -8- Injection de glaçons dans le plasma dans le tore du tokamak européen JET

    En ce point, une constatation s'impose : comment garantir une production d'énergie continue et fiable si le contrôle de la stabilité d'un plasma en pleine production de fusions nucléaires n'est pas basé sur un modèle physico-mathématique éprouvé ? Préserver la machine des destructions internes causées par d'éventuelles disruptions imposera de stopper la réaction au moindre dépassement d'un seuil par une variable, considéré comme annonciateur du phénomène redouté. Pire, toute disruption non évitée, ni mitigée, pourrait nécessiter un long arrêt pour réparer le tore. Les interventions seront dangereuses en présence des radiations émises par les parois (du fait de l'activation de leurs matériaux par les flux de neutrons) et par la présence de poussières de béryllium (le multiplicateur de neutrons), l'un des plus violents poisons chimiques connus. 

    Le conditionnel devrait être le mode de présentation de toutes les prévisions sur les performances attendues d'ITER. Un mode peut propre à convaincre les responsables politiques d'abonder les budgets…

    On ne s'étonnera pas ici que ni Etienne Klein, ni Emmanuelle Galichet n'aient prononcé le mot disruption. S'agirait-il d'un des "petits verrous technologiques" (en fait, celui-là est scientifique) écartés d'un revers de langue par Emmanuelle Galichet le 17 décembre au micro de France Culture (cf. <https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-transition-de-la-semaine/fusion-nucleaire-des-promesses-trop-lointaines-7780775>) ? Une intervention caricaturale, tant par les questions et remarques de l'interviewer que par les paroles assurées et convenues de l'interviewée. Un petit morceau d'anthologie de propagande technocratique, dont le seul mérite est d'être bref (11 minutes).

        Et si ITER produisait un jour beaucoup de fusions ?

    D'après nos informateurs et informatrices autorisées, dont font évidemment partie Etienne Klein et Emmanuelle Galichet, l'humanité pourrait à l'avenir disposer d'une énergie quasi sans défauts ni externalités écologiques :

      • une source d'énergie continue, sécurisant l'alimentation électrique des réseaux ;

      • pas de risque d'emballement dont le sinistre exemple de Tchernobyl a illustré la possibilité au sein des réacteurs à fission ;

      • pas de production de déchets radioactifs à vie longue comme ceux qui empoisonnent l'image de l'énergie nucléaire de fission ;

      • pas d'émission de gaz à effet de serre, un mantra à réciter et chanter dans toutes les tessitures ;

      • pas de pression sur les ressources : le tritium sera régénéré par l'interaction des flux de neutrons émis par les fusions avec une couverture du tore en lithium.

    En résumé, une énergie continue, illimitée, propre, sûre et auto-régénératrice de son principal consommable ! Comment ne pas en rêver éveillé ?

    Nos deux propagandistes de confiance, Etienne Klein et Emmanuelle Galichet, ont respecté le rituel de la litanie des qualités de la fusion par confinement magnétique. Normal, c'est l'essentiel de leur mission dans la circonstance exceptionnelle découlant de l'annonce du DoE des Etats-Unis le 13 décembre dernier. Passons sur la disponibilité d'installations fonctionnant sous l'épée de Damoclès de disruptions ravageuses : trop compliqué à expliquer au commun des mortels. Mais en insistant sur "pas de déchets radioactifs"… sinon les structures activées du tore, ils ont péché au moins deux fois par omission :

      1 - en reconnaissant que le tore serait radioactif, ils auraient dû, l'une comme l'autre, en tirer la conséquence que toute réparation complexe non robotisable nécessitera d'exposer des personnes à des radiations ionisantes, ce qui n'est pas très bon pour la santé ;

      2 - la question du tritium a été pour le moins éludée ; pas même une allusion à leur propriété radioactive ! Il fallait l'oser, elle et lui l'ont fait.

    Force m'est de développer un tout petit peu ce point.

            Vers un nouvel état radioactif de l'environnement… ? ? 

    Le tritium, isotope radioactif de l'hydrogène, existe à l'état naturel dans la biosphère terrestre. Sa présence résulte de l'interaction des rayons cosmiques avec l'azote de l'air dans la haute atmosphère. C'est un élément radioactif dont la période de désintégration est de 12,3 ans. Ce qui signifie qu'au terme de cette durée, une quantité initiale donnée de tritium se trouve réduite de moitié. La production naturelle annuelle est d'environ 7 x 1016 Bq (en masse : 200 g). Il s'accumule sous forme d'eau tritiée (HTO = 1 atome de tritium, un atome d'hydrogène et 1 atome d'oxygène) dans l'océan. La quantité présente vaut environ 1,3 x 1018 Bq (3,6 kg), ce qui correspond à l'équilibre entre désintégrations et apports. Les activités nucléaires humaines perturbent cet équilibre. Selon les données présentées dans le Livre blanc sur le tritium, publié en 2019 par l'Autorité de sûreté nucléaire, depuis l'arrêt des essais atmosphériques de bombes H, les apports anthropiques se montent à 3 x 1016 Bq / an (80 g), émis pour moitié par les centrales nucléaire et pour moitié par les usines de retraitement. Le document traite succinctement les quantités consommées par les tokamaks actuels et projetés :

    • le JET a consommé 20 g de tritium depuis le début des essais ;

    • les besoins d'ITER seront (si tout se passe bien, NDA…) de 1,2 kg/an avec un inventaire sur site pouvant atteindre 4 kg, soit autant que tout le tritium dilué dans les océans !

    • un réacteur à fusion de 3 000 MWth consommera une centaine de grammes de tritium… par heure ! Avec un taux de charge de 6 000 h/an, l'exploitant aura à gérer 600 kg de tritium par an, presque 200 fois l'inventaire naturel des océans (à titre indicatif, sans aucune prétention scientifique : le projet de rejet progressif dans l'océan des quelques 1015 Bq de tritium – soit quelques grammes – dilués dans un million de tonnes d'eau stockées sur le site de Fukushima a scandalisé une partie de l'opinion mondiale et mobilisé une opposition farouche au Japon).

    OK, mais où est le problème ? Etienne Klein l'a abordé quand la question des retards dans la construction d'ITER est venue sur le tapis. A Guillaume Erner qui semblait mettre en doute l'importance des soudures ratées dans l'assemblage des éléments du tore, il répondit que le tritium était un des gaz les plus diffusifs qui soit, et que la moindre fissure lui ouvrait en quelque sorte un boulevard pour s'échapper de l'enceinte. Il aurait pu ajouter puisque le NIF était le sujet de l'émission, que c'est par diffusion au travers des interstices de dimension moléculaire du polymère constituant leur paroi que se fait le remplissage en deutérium et tritium des capsules du NIF ! Astucieux, n'est-il pas ?

    La diffusion de l'hydrogène et de ses isotope (leur diffusivité est équivalentente) fragilise les métaux portés à haute température. La thèse universitaire soutenue en 2016 par Giovambattista Bilotta,  Influence de l’hydrogène gazeux sur la vitesse de propagation d’une fissure de fatigue dans les métaux : approche expérimentale et modélisation, <https://core.ac.uk/download/pdf/46807552.pdf>, fait le point de la question. Les résultats qu'il exhibe sont conservatifs en ce que le problème posé est celui des précautions à prendre dans l'introduction du vecteur d'énergie hydrogène dans l'économie. Le développement de la fusion nucléaire n'est pas traité. Conservatifs, car à l'action fragilisante de la diffusion du tritium et du deutérium s'ajouteront les dislocations que les intenses flux de neutrons provoquent à la longue dans les réseaux cristallins. Et ces dislocations seront autant de brèches pour le mélange deutérium tritium. Qu'en dit le Livre blanc de l'ASN ? Il se montre bien optimiste : "…les rejets pourraient être de quelques grammes par an." Les références à l'appui de cette affirmation ne sont guère convaincantes.

    Admettons ! Une simple extrapolation linéaire suggère que les fuites d'un réacteur industriel seraient comprises entre 500 g et un kg/an. Si la fusion devait devenir le pilier de la production énergétique mondiale dans un siècle, ce serait donc par tonnes que les fuites de tritium se répandraient dans l'environnement. La biosphère expérimenterait alors une pression radioactive totalement nouvelle.

        Quand la communication se confond avec propagande

            Faire comme le Soleil ici-bas sur Terre, sinon beaucoup mieux !

    L'irrésistible attrait qu'exerce la fusion sur les physiciens date des années 1930 quand ils comprirent la nature de la libération d'énergie dans le Soleil : la fusion des noyaux d'hydrogène au terme d'une série de réactions aboutissant à la formation de noyaux d'hélium. Faire quelque chose d'analogue sur Terre, voilà le défi qu'ils se lancèrent à eux mêmes. Comme cela pouvait nécessiter quelques dépenses d'importance, il allait de soi qu'il fallait que le public et les décideurs se prissent à rêver que l'entreprise avait des chances d'atteindre son but : offrir à l'humanité une source d'énergie illimitée. Quelques expériences de laboratoire utilisant des cyclotrons pour projeter des noyaux de deutérium sur des cycles ad hoc permirent de caler les paramètres de base des modèles. La mécanique quantique montrait qu'on pourrait, par effet tunnel, réaliser des fusions à des niveaux d'énergie inférieurs à celui nécessaire pour vaincre la force de répulsion électrique entre les noyaux. Il suffisait de s'y mettre. Pour être suivis, un slogan simple s'imposa immédiatement : "on va faire comme le Soleil / on a fait ce que fait le Soleil". 

    Les premières tentatives, dans les années 1940 - 1950, ne mobilisèrent pas des sommes très élevées, sauf la construction de ZETA, implantée à Harwell sur un des sites de l'UKAEA. Tout le monde avait les yeux rivés sur cette machine. La nouvelle que des fusions avaient été obtenues dans le tore de ZETA fut répercutée urbi et orbi comme une traînée de poudre. Francis Perrin, l'administrateur général délégué du CEA, proclama : "… c'est ce qui se passe dans le Soleil !". 

    L'élément de langage structurant la propagande du lobby de la fusion nucléaire n'a pas varié. Puisque l'énergie du Soleil, un don de la Nature et la source de toute Vie, est à l'évidence propre, continue, sûre, non polluante et inépuisable, le public et les décideurs doivent rester persuadés qu'il en sera ainsi de la fusion nucléaire artificielle : c'est bien ce qui se passe dans le Soleil qu'on va vous réaliser sur Terre !  

    Plus les machines prennent de l'importance – elles peuvent désormais par leurs dimensions, leurs coûts et les durées de leur construction rivaliser  avec ce que l'humanité a fait de plus monumental dans son histoire, telle la Grande Pyramide de Khéops à Guizah – plus enfle l'hubris de nos équipes de physiciens, ingénieurs et techniciens. On dirait qu'ils se sont mis à croire vraiment, à force de les répéter, aux clichés convenus qu'ils régurgitent mécaniquement au moindre petit pas dans la bonne direction. Des errements et déconvenues ils ne sont en revanche pas très diserts. Il s'agit avant tout de convaincre tout un chacun de patienter dans la certitude qu'on y parviendra… à condition d'y consentir ce qui est nécessaire. Quelques exemples parmi mille autres.

    2019, Bernard Bigot†, ex administrateur délégué du CEA, alors président d'ITER Organisation :

      • On a bien démontré qu'on aura un gain de 10 en 2035 ;

      • On va libérer une énergie inouïe qui répond à tous les problèmes d'énergie ;

      • Cadarache : les Nations-Unies de la Science ! [serait-ce donc aussi une foire d'empoigne ? NDA]

    Décembre 2022, Emmanuelle Galichet, répondant à l'accroche de Guillaume Erner – l'énergie des étoiles à portée de main – à propos de l'annonce de l'expérience du NIF :

      • "une avancée majeure vers la production d'énergie…" [le rendement passe de 0,35% à 0,75%, il en faut peu pour s'enthousiasmer, NDA].

    Faire comme le Soleil ? Petit bras ! Dans l'émission du 21 décembre dernier introduite par ces mots de Guillaume Erner – un pas supplémentaire vers la maîtrise de l'énergie nucléaire de fusion – Etienne Klein franchit un grand pas, une sorte de saut conceptuel inédit qui devrait faire école tant il a tout pour redonner espoir à ceux que l'accumulation des retards et obstacles conduirait à douter :

    "copier le Soleil ? On va faire mieux, beaucoup mieux !"

    Il appuie cette appréciation péremptoire sur les considérations chiffrées suivantes : les température et pression au cœur du Soleil sont respectivement de 15 M°K et 160 000 kg/m3, contre 150 M°K – 10 fois plus ! – et 60 nano-gramme/m3 dans ITER. Certes, mais avoir besoin de 150 M°K au lieu de se contenter de 15 M°K constitue-t-il un mieux, un beaucoup mieux ? De plus, le Soleil réalise des fusions à partir de noyaux d'hydrogène, l'élément le plus répandu dans l'univers, alors que ITER devra être alimenté en deutérium et tritium (à produire et régénérer spécialement avec de véritables usines à gaz) et nécessitera un chauffage préalable du plasma. De plus, la probabilité que dans le Soleil quatre noyaux d'hydrogène fusionnent in fine en un atome d'hélium est de un par milliard d'années, ce qui garantit la régularité et une longue pérennité de son émission d'énergie. Que demander de mieux ? L'observation subjective d'Etienne Klein est une opinion. Elle n'a aucune valeur scientifique. Un argument d'autorité qui a laissé l'interviewer coi… convaincu ?

        La stratégie de l'opportunisme

    Tous les lobbies la pratiquent. Ils auraient bien tort de s'en priver. Ceux qui servent les questions atomiques font preuve d'une adaptabilité particulière qui, en perspective historique, leur a plutôt bien réussi. Non par les résultats tangibles obtenus… à part les armes A et H, mais pour s'assurer un flux budgétaire soutenu. Séparer les applications militaires des civiles dans la part de ces budgets consacrées aux recherches et développements atomiques ne va pas de soi : la complexité du sujet est hors de portée de l'entendement des décideurs politiques qui, par réflexe et pour éviter d'être mêlés à des conflits entre experts et contre-experts, se rangent systématiquement à l'avis de ceux qui entretiennent la confusion. Ainsi, dès la fin de la guerre, alors qu'il était évident que la course à la bombe atomique mobilisait prioritairement toutes les institutions de recherche atomique nouvellement créées,  l'inséparabilité des fins, civiles et militaires, structurait la posture de légitimation des programmes de recherche et de leur financement. 

    Le communiqué du DoE du 13 décembre dernier annonçant le nouveau record du NIF entretient cette confusion : les travaux au NIF servent autant le perfectionnement de l'arsenal nucléaire américain que l'objectif du président Biden de décarboner l'économie des Etats-Unis, une belle déclinaison du "en même temps". Si l'exigence de maintenir l'effort de financement reste dans ce cas implicite, c'est bien parce qu'il va de soi que la croisade contre l'effet de serre ne saurait souffrir la moindre restriction budgétaire. A l'émission de Quentin Lafay du 17 décembre à France Culture, Emmanuelle Galichet a fait valoir plus directement les exigences actuelles du lobby dont elle est, en France, la cheville ouvrière côté enseignement supérieur. Après avoir déclaré :

    "Si je devais faire un pari, j'ose espérer qu'autour des années 2080, peut-être, on aura quelque chose de tangible…",

    elle enchaîna :

    "… il va y avoir beaucoup de financements qui vont arriver (sic)… et peut-être que ça va donner aussi envie à des jeunes de refaire des études scientifiques pour qu'on ait (sic) de plus en plus de talents, de matière grise, pour aller plus vite, parce qu'il est vrai qu'en ce moment les sciences ne sont pas très bien… euh… représentées, et donc qu'on va moins vite qu'on ne le devrait".

    Les sergents-recruteurs d'EDF, du CEA, d'ORANO ont été placés dans les établissements d'excellence, Ecole des Mines, Centrale, Polytechnique, CNAM… partout où se forment les meilleurs physiciens et ingénieurs. Ils ont nom Etienne Klein, Emmanuelle Galichet, Jean-Marc Jancovici et bien d'autres plus obscurs mais non-moins impliqués (qu'ils m'excusent de ne pas les citer).

    D'où le titre de ce papier de blog : on va inciter nos dirigeants à investir, décennie après décennie, l'or que représentent l'excellence du système de formation supérieure du pays et la part du budget national consacrée à la science dans cette quête absurde et vouée à l'échec du Saint Graal énergétique. On ne peut pas être plus cyniquement explicite. Car tant elle que Etienne Klein, qui de 1987 à 1997 était, en tant que physicien, affecté à de grands projets du CEA, puis, entre 1997 à 2006, occupait le poste d'adjoint au Directeur des Sciences de la Matière de l'établissements, ne peuvent en rien ignorer que les dirigeants et communiquants de leur confrérie ne visent qu'à charger de plomb la cervelle du public et du politique ; le plomb, ce poison qui vous fait sombrer dans l'abrutissement et l'idiotie. Ils s'y consacrent sans vergogne, faisant assaut de zèle et d'à propos. 

    Ce n'est que l'écume des jours, quand un prétendu progrès rappelle, qu'on se le dise en telle occurrence, la priorité au maintien des dépenses pour la fusion atomique (environ 10%, au niveau mondial, des budgets publics de R&D consacrés à l'énergie et aux économies d'énergie depuis un bon demi-siècle).

    ITER Organisation propose une page d'archives assez fourre-tout censée montrer que l'entreprise ITER trouve mille échos de toute nature dans les media : <https://www.iter.org/of-interest>, une page contenant à ce jour (10/01/2023) 1138 articles dont le plus ancien date du 18 août 2013. Analyser ce corpus constituerait un travail de recherche en soi. Un sondage avec le mot-clé Villani conduit à un seul article, N°94 du 3 octobre 2013. Bizarrement, l'émission de radio de France Inter signalée, où il aurait parlé d'ITER, n'a pas eu lieu à la date mentionnée et ITER n'y a pas été cité (Cédric Villani n'est pas intervenu dans d'autres émissions de France Inter à cette époque). Le sérieux de cette recension est à établir.

    Justement, il est des circonstances où de sérieuses manœuvres d'influence s'imposent. Quatre exemples me viennent à l'esprit :

      • peu après les désastres de Tchernobyl, puis de Fukushima, la section "thorium et sels fondus" du lobby de la fission, qui se morfond depuis 50 ans au moins dans ses cantonnements sans le moindre os substantiel à ronger, a tenté plusieurs sorties et réussi quelques interventions auprès des publics intéressés. Il s'est même trouvé des écologistes un peu mous pour relayer leurs messages publicitaires vantant la sécurité, l'absence de déchets, le rendement et autres séduisantes vertus de leur filière préférée. 

    • plus généralement, depuis les années 1970, depuis que la question de la gestion problématique des déchets radioactifs fait l'objet de débats, controverses et affrontements publics, les chantres de la fusion ne manquent pas de répéter en toute occasion que cette énergie présente l'avantage de ne pas générer de produits de fissions, ni de transuraniens. Proférer truisme plus évident, tu meurs ! mais il faut le faire… cela fait partie du rituel. En ce sens la fusion sert la fission car elle promet qu'en titillant l'atome comme il faut on résoudra tôt ou tard tous les problèmes. La fission est là comme un simple jalon, une parenthèse historique avant la fin de l'histoire : une énergie pour l'éternité.

    • on a vu comment Evgueny Velikhov a saisi l'opportunité historique de lier indissolublement un maximum de grands Etats autour d'un projet "durable", ITER. Son initiative marque un tournant sans doute historique. En effet la dynamique des groupes nous enseigne qu'avec de tels montages le point de non retour suit de très près le début des opérations et que, plus nombreux les acteurs, à condition d'avoir soigneusement réparti les tâches, plus illusoire et vaine la recherche de responsabilités quand ça tourne mal. Mieux, si ça tourne vraiment mal, on noie le poisson, comme cela s'est produit après les tribulations lamentables du barillet de chargement/déchargement du prototype surgénérateur "commercial" Superphénix.

    • enfin, on peut se demander si le TICE de 1996, Traité d'Interdiction des Essais Nucléaires, n'a pas bénéficié de l'intervention du lobby de la fusion inertielle. Car cette filière n'ayant à l'évidence aucun intérêt pour la production d'énergie, il aurait été impossible à ses promoteurs – la crème de la crème des lasers de grande puissance, de l'optique non-linéaire et de la physique des hautes énergie – d'extorquer le jour venu les ressources nécessaires à la construction de ses méga-machines. On sait que le petit monde de la physique nucléaire est depuis toujours (depuis Hiroshima et Nagasaki) tenaillé par ses réticences à participer au développement des armes atomiques, d'une part, et désireux, d'autre part, de recouvrer et conserver le statut prestigieux d'acteur du progrès au bénéfice de l'humanité, ce qui suppose un accès privilégié aux bailleurs de fonds. Sans en être le moins du monde conscient, le mouvement contre les essais nucléaires lui a rendu un fier service en poussant de toutes ses forces à l'adoption du-dit Traité. En effet, le TICE visait très évidemment l'arrêt de la prolifération nucléaire car, sans essais concrets, pas d'armement crédible pour les nouveaux candidats au statut de puissance atomique. Mais on pouvait assez logiquement en attendre un gel de la technologie des armes dont disposaient les Etats nucléaires, ce qui aurait progressivement mené à un désinvestissement dans ce domaine et incité à une dénucléarisation générale. Le danger n'était pas mince d'un ébranlement de la puissance du lobby de l'armement atomique. Il ne serait donc guère surprenant que, ces deux mondes – celui de la fusion inertielle et celui des applications militaires – cohabitant dans les mêmes institutions, il ne soit venu à l'esprit de personne de convaincre les gouvernants des Etats atomiques de signer et ratifier le TICE, moyen géopolitique de dé-légaliser la prolifération nucléaire, parce qu'avec la fusion inertielle on disposera du moyen d'améliorer indéfiniment la qualité des armes atomiques. Tout le monde se réjouirait alors car peu se rendraient compte qu'il s'agissait en grande partie d'un marché de dupes au dépens des acteurs sincères de la lutte contre les armements atomiques et les essais nucléaires. Le résultat est là, qui rend ce scénario plausible.

         Epilogue

J'ai cité des noms, non pour attaquer des personnes en particulier, mais parce qu'elles sont parmi les plus éminentes ici en France qui ont sauté sur l'occasion de l'annonce du DoE pour prêcher pour leur boutique dans les media. Les informations qu'elles ont fournies ne sont pas toutes à rejeter, loin de là. Si la plupart appelaient une analyse plutôt serrée (ce que la novlangue appelle un "décryptage", comme si elles étaient transmises via des messages ésotériques), certaines avaient une portée pédagogique incontestable, notamment les explications d'Etienne Klein sur la physique des fusions nucléaires et sur la conservation de la matière/énergie. Cependant, le commun des mortels dont les connaissance scientifiques ne dépassent, en général, malheureusement pas le niveau des vases communicants et la mécanique d'une bicyclette, aura vraisemblablement reçu comme scientifiques, et les explications préliminaires sur la fusion et l'énergie, et les assertions doctrinaires sur tout l'intérêt de poursuivre l'exaltante aventure d'ITER. Les premières étant évidemment destinées à faire gober les secondes, car on ne va pas faire injure à l'expérience d'Etienne Klein de mettre sur le compte de l'improvisation une construction réthorique aussi efficace.

    Tant que l'information sur ce type de question restera l'apanage des lobbies "promoteurs", public et gouvernants seront abusés et menés en bateau. 

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