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Billet de blog 28 mars 2023

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Dérive tchernobylienne : la fusion IRSN-ASN

La fusion/absorption IRSN-ASN est justifiée par la nécessité de "fluidifier" (sic) le fonctionnement du système administratif chargé des sûreté nucléaire, sécurité radiologique et tutelle sur l'exploitation des installations atomiques. Un schéma analogue, très unifié, opaque et fluidifiant gérait la construction et l'exploitation des réacteurs nucléaires dans l'URSS d'avant Tchernobyl.

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Les commentateurs qui regrettent les vertus qu'ils attribuent au schéma antérieur, quand IRSN et ASN étaient formellement séparés, semblent ignorer que l’IRSN partage les locaux du CEA à Fontenay aux Roses, ces locaux qu’occupait son prédécesseur, l’IPSN, du temps où la protection radiologique se trouvait sous la tutelle du Ministère de la Santé, tutelle très légère il est vrai car la protection de la santé comptait moins pour le SCPRI et son avatar l‘OPRI que celle des activités atomiques. L’IRSN a absorbé l’OPRI, réalisant le rêve de tous les pro-nucléaires (reproduire le schéma onusien du tandem CIPR-UNSCEAR1), à savoir confier à un seul organisme l’expertise de sûreté nucléaire et la surveillance du respect de la sécurité radiologique, dont il a défini les règles.

On peut donc dire que l’IRSN était conçu pour gérer en interne un sérieux conflit d’intérêts. Juge et partie. Le nouvel organisme résultant de la fusion/absorption par l’ASN, comme l’écrivait explicitement la ministre dans sa lettre de mission, va « fluidifier » le fonctionnement de l’ensemble du système. Bref, le système antérieur, constitué de deux boîtes grises dont on pouvait plus ou moins évaluer les relations entrées-sorties, sera remplacé par une boîte noire – disons quasi noire pour faire preuve d’un brin d’optimisme – dont les entrées et sorties seront certes connues (et encore, car cela n’a rien d’assuré), sans qu’on ne dispose cependant des éléments permettant de repérer le cheminement de l’information en interne et, donc, d’analyser objectivement les décisions.

En fait, ce qui bizarrement n'a pas été vraiment dénoncé, cette fusion viole de facto la loi sur la transparence nucléaire. Les conditions de son application sont éliminées. Le Conseil d’Etat aurait dû relever ce fait et empêcher l’opération.

Les effets de la manœuvre ne se feront sentir que très progressivement, jusqu’au moment où un accident sérieux en révélera le vice fondamental.

A ce propos, les rapports déclassifiés de la cellule du KGB de Tchernobyl pour la période 1971-1986, couvrant donc la construction de la centrale jusqu’à l’accident de 1986 (il y en eut plusieurs avant, dont un très sérieux en 1982 sur le Bloc 1), montrent que le schéma du contrôle de l’industrie nucléaire soviétique anticipait au paroxysme du caricatural ce que la fusion IRSN-ASN va réaliser. Tout ce qui pouvait accélérer la réalisation du programme était récompensé, en dépit des malfaçons et violations des règles que la hâte de chacun et de tous engendrait. Car tous les dysfonctionnements étaient repérés par les experts du KGB, mais restaient couverts par le secret et n’influaient qu’à la marge sur le cours des choses.

Il s’agissait alors d’une urgence économique : produire le plus d’électricité atomique possible pour compenser la stagnation des productions de pétrole et de charbon. Aujourd’hui on invoque l’urgence climatique et on ajuste le système pour qu’aucune entrave administrative (autorisations d’un côté, contrôles de l’autre) ne retarde les mises en chantier et ne perturbe l’exploitation des installations.

On le paiera.

1  CIPR : Commission Internationale de Protection Radiologique, association de droit privé créée en 1928 pour favoriser les usages des rayons X et du radium, et refondée en 1946 pour sécuriser le développement de l'énergie atomique. L'OMS, Organisation mondiale de la Santé, qui n'avait ni compétence, ni appétence en matière de protection radiologique, s'est affiliée la CIPR en 1956.

   UNSCEAR : United Nations Scientific Committee on the Effects of the Atomic Radiation, comité créé par l'ONU en 1955 pour appuyer l'AIEA, Agence Internationale pour l'Energie Atomique (créé en 1957 par l'ONU), dans sa promotion de l'énergie atomique.

   L'histoire de cette grande affaire est racontée dans : Yves Lenoir, "La Comédie atomique", Editions La Découverte, 2016.

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