Yves Romain

Abonné·e de Mediapart

357 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 juin 2025

Yves Romain

Abonné·e de Mediapart

« je lui ai souri, je l'ai salué de loin et je suis parti. » Hanin Majadli

Hanin Majadli, aux origines palestiniennes raconte le hasard d’une rencontre de loin avec une connaissance de retour de la guerre et se demande : «comment suis-je censé agir, ou non, avec quelqu'un qui est revenu de cette guerre, l'a soutenue ou est resté silencieux?» Il y a dit-elle «un sentiment trompeur de retour à la normale.» Alors «je lui ai souri, je l'ai salué de loin et je suis parti.»

Yves Romain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Opinion
Rencontres avec des amis de retour de la guerre
de Gaza
Je ne me souviens plus s'il était en service de réserve.
En tout cas, je me souviens que je l'ai salué assez chaleureusement,
et qu'il m'a répondu froidement.
Il se peut qu'il ait été choqué par les bombardements
ou qu'il ait été tout simplement choqué lorsque je l'ai salué

Hanin Majadli, Haaretz, dimanche 1er juin 2025

Illustration 1

Des soldats de l'armée israélienne le long de la frontière
avec le nord de la bande de Gaza en mars.
Credit: Gil Cohen-Magen/AFP

Quelques mois après le début de la guerre, j'étais assise au bar Nilus à Tel-Aviv. Par hasard, ou peut-être pas tant que ça, j'ai rencontré quelqu'un, réalisateur de profession, avec qui j'étais en bons termes. Il semblait qu'il était en « after », une courte pause nocturne de son service de réserve, et qu'il était venu saluer la civilisation à Tel-Aviv.

Je ne me souviens plus si je savais qu'il était en service de réserve ou non. En tout cas, je me souviens lui avoir adressé un salut plutôt chaleureux, et il m'a répondu froidement. Il se peut qu'il ait été choqué par les bombardements ou qu'il ait été simplement choqué lorsque je l'ai salué, même si j'écris sur la guerre de destruction à laquelle il participe. Il se peut qu'il fasse partie de ceux qui « se dégrisent » one of those who are "sobering up.". Je n'en avais pas la moindre idée.

Illustration 2

Décombres des frappes israéliennes sur la famille al-Qattaa
à Gaza, samedi.
Crédit : Omar al-Qattaa/AFP

Le temps a passé et beraucoup de messages sur sa mission de réserve ont commencé à apparaître sur son fil d'actualité, des messages plutôt mélancoliques, avec des points de vue des communautés israéliennes proches de la frontière de Gaza – des messages sensibles et émouvants sur le voyage, les difficultés et l'honneur.

Comme si toute cette beauté se déroulait dans un espace stérile et non dans le contexte d'horreurs inhumaines. Même si je le connais depuis dix ans maintenant, et qu'il était la dernière personne sur qui on aurait pu enfiler un uniforme, il semble qu'il soit resté là trop longtemps. Je l'ai retiré de mes amis.

Un an plus tard (peut-être un peu moins), dimanche, lors de la soirée d'ouverture du festival du film documentaire Docaviv à la Cinémathèque de Tel Aviv, je l'y ai vu. Un an après sa fin de service de réserve (j'ai consulté sa page Facebook : sans ami). Il n'avait pas disparu de la vie même si je l'avais supprimé de mes amis. Il était chaleureux et amical, et on aurait dit qu'il voulait même me dire bonjour, mais qu'il attendait un signe de ma part – et je sentais que je ne savais pas ce que je voulais.

Plus tard dans la soirée, j'y ai réfléchi. Non pas à sa rencontre, mais à la question de savoir ce que les Palestiniens font de leurs connaissances, de leurs collègues ou même de leurs amis qui sont revenus de la guerre. Sont-ils encore des amis ? Are they even still friends? Qu'en est-il des amis qui se sont remis de leur désintoxication et ont repris contact ?

Il était clair pour moi que c'était une question que les Juifs d'Israël n'abordent pas, à moins qu'ils ne soient des idéalistes purs et durs. Néanmoins, je me suis demandé, pour moi-même, quelles sont les lignes rouges, quelles sont mes limites ? Quelle était la procédureà suivre ? Reprendre contact comme si rien ne s’était passé ? Prendre position ? En parler ?

Au début de la guerre, beaucoup de gens ont disparu de ma vie, que ce soit à mon initiative ou à la leur. En général, les gens se renfermaient chez eux, ce qui m'a épargné les confrontations et le fardeau émotionnel. Nous ne nous rencontrions dans aucun cercle social.

J'ai réduit mes espaces de rencontre physique avec les Juifs physical spaces for meeting up with Jews, et même sur les réseaux sociaux, nous avons cessé d'aimer les posts des uns et des autres. Il y avait quelque chose de libérateur là-dedans. Quand ai-je réalisé que quelque chose s’était calmé, que la guerre – ou du moins le choc et la colère du 7 octobre – s'étaient atténués ? Lorsque les Juifs ont recommencé à acheter des produits aux Arabes, ou, dans mon cas, lorsque des gens de droite ont recommencé à m'envoyer des messages ou à prendre contact avec moi.

Illustration 3

Des soldats de Tsahal observent le sud du Liban en janvier.
Credit: Naama Grynbaum

Pourtant, un an et demi après le début de cette guerre de destruction, au cours de laquelle des dizaines de milliers de personnes de mon peuple ont été massacrés (ou le sont encore), comment suis-je censé agir, ou ne pas agir, avec quelqu'un qui est revenu de cette même guerre, l'a soutenue ou qui est resté silencieux ?

Oui, il y a un sentiment trompeur de retour à la normale. Même après l'événement le plus existentiel entre Juifs et Palestiniens depuis la Nakba, les deux camps sont toujours là, ont recommencé à se mélanger – bien que dans le cadre de la ségrégation habituelle, bien sûr – et maintenant, avec la vague de dégrisement provoquée par le soutien à la guerre, je me pose de plus en plus cette question – et avec des gens à qui je pensais ne plus jamais adresser la parole.

Quant à ce type qui revenait de sa réserve et qui attendait un signe de ma part : je lui ai souri, je l'ai salué de loin et je suis parti.

Hanin Majadli, Haaretz, 1er juin 2025 (Traduction Google) https://www.haaretz.com/opinion/2025-06-01/ty-article-opinion/.premium/encounters-with-friends-who-are-back-from-the-war/00000197-2789-dda7-abf7-a7db81ab0000

Hanin Majadli, citoyenne israélienne d'origine palestinienne, est journaliste, attachée de presse et rédactrice en chef à Haaretz.

Elle est titulaire d'une licence en études moyen-orientales et en études arabes et islamiques de l'Université de Tel Aviv. Dans son travail de chroniqueuse d'opinion à Haaretz, elle s'intéresse aux communautés arabo-palestiniennes en Israël, aux relations fragiles et délicates qui les unissent à l'État et à ses citoyens juifs, au climat tendu qui les entoure et à leur état civil. Elle accorde une attention particulière à l'histoire de la Nakba collective, délibérément occultée et ignorée de l'histoire sociale et politique d'Israël. En tant que rédactrice en chef de l'édition arabe de Haaretz, elle s'efforce de faire connaître les voix israéliennes alternatives et leur travail journalistique, atypique et différent du courant dominant israélien.

Avant de travailler à Haaretz, Majadli enseignait la langue et la culture arabes, fondatrice de l'une des écoles d'arabe parlé les plus populaires de Tel Aviv. Elle s'est également impliquée activement dans la lutte contre les enjeux et défis politiques et sociaux auxquels la société palestinienne en Israël est confrontée. Elle a également été rédactrice invitée pour divers journaux et plateformes israéliennes.  https://www.festivaldelgiornalismo.com/speaker/hanin-majadli

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.