Opinion
L'ambassade d'Israël a fait annuler mon discours à Buchenwald.
En tant que petit-fils de survivants de la Shoah, voici ce que je voulais dire.
« Plus jamais ça » a deux formulations :
plus jamais ça, et plus jamais ça pour nous, les Juifs,
pendant l’Holocauste ou le 7 octobre.
Il est temps de mettre cette distinction de côté.
Omri Boehm, Haaretz, jeudi 10 avril 2025
(Traduction Google)

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Le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration nazi
de Buchenwald près de Weimar, dans l'est de l'Allemagne
Credit: AFP / Jens Schlueter
Ce qui suit est un extrait du discours que le philosophe israélien Omri Boehm devait prononcer à Weimar, en Allemagne, lors de la commémoration officielle des 80 ans de la libération de Buchenwald.
Suite à de fortes pressions de l'ambassade d'Israël à Berlin, le Mémorial de Buchenwald a retiré son invitation heavy pressure by the Israeli embassy in Berlin, the Buchenwald Memorial withdrew its invitation à M. Boehm, invoquant une volonté d'empêcher les survivants de la Shoah d'être entraînés par l'ambassade dans un débat politique.
L'intervention de M. Boehm, lui-même petit-fils de survivants de la Shoah, sera reportée à une date ultérieure. Boehm lui-même a déclaré qu'il était important « que la cérémonie se déroule en accordant l'attention qui lui revient : aux survivants et à l'importance du lieu ».
Yosef Chaim Yerushalmi, éminent historien de la mémoire juive, conclut son ouvrage « Zakhor » (Souviens-toi) par une question : « Et si l’antonyme d’oubli n’était pas le souvenir, mais la justice ? » Yerushalmi lui-même n’a jamais répondu à cette question, mais elle offre une piste de réflexion sur l’importance et l’autorité de la mémoire dans le contexte actuel qui met en cause sa préservation.
Selon Yerushalmi, dans la tradition juive, il existe une distinction entre histoire et mémoire. Alors que l'histoire s'écrit à la troisième personne et se veut factuelle, la mémoire ne peut être racontée qu'à la première personne, singulière ou plurielle, nous invitant ainsi à l'action.
C'est là que réside la différence la plus profonde entre histoire et mémoire : alors que l'histoire porte véritablement sur le passé, la mémoire est tournée vers l'avenir. Il est possible de se souvenir tout en oubliant, et le contraire de l'oubli n'est pas de connaître le passé, mais de rester engagé dans le devoir qu'il exige de nous.
Cela contribue à résoudre une contradiction apparente au cœur de la vie culturelle juive. D'un côté, le judaïsme est préoccupé par la mémoire. De l'autre, il s'agit d'une tradition prophétique, intéressée par l'avenir, centrée sur un idéal utopique. La tension est artificielle : lorsque les prophètes nous appellent à « souvenez-vous ! zakhor ! », ils nous rappellent que rendre justice au futur revient en réalité à rendre justice au passé.
Mais cette position ne peut être qu'un premier pas. Car l'idéal que les prophètes nous ont enseigné n'est pas tout à fait la justice. Hermann Cohen l'a exprimé avec force en expliquant que la paix, et non la justice, est pour les Juifs ce que l'harmonie était pour les Grecs : la perfection, la totalité. Shalem, le mot hébreu pour « totalité », est à l'origine de shalom, la paix. Se pourrait-il que le contraire de l'oubli ne soit ni le souvenir ni la justice, mais la paix ?
Cohen associe les prophètes bibliques à Kant, et plus particulièrement à l'idéal des Lumières qu'il a imaginé dans « La Paix Perpétuelle ». Face à la doctrine « réaliste » d'Héraclite selon laquelle « la guerre est la mère de toutes choses », Kant et les prophètes bibliques proposent une alternative : non pas la prétendue réalité et nécessité de la guerre, mais l'idéal de la paix comme origine de la vie humaine et du droit. Kant savait pertinemment que notre réalité violente est loin d'être utopique. Mais c'était là l'essentiel : il observait qu'au milieu de réalités « barbares », nous devons nous soumettre aux lois qui préservent la possibilité de la paix. Sinon, nous serions entraînés vers une destruction totale par des « guerres d'extermination ».

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Zeev Borger, survivant de l'Holocauste en Israël,
assiste à la commémoration du 80e anniversaire
de la libération du camp de concentration nazi de Buchenwald en Allemagne.
Credit: AFP / Jens Schlueter
Quand nous nous souvenons aujourd'hui de l'histoire horrible de Buchenwald, et que nous contemplons les images insoutenables prises à la libération du camp, quand nous regardons dans les yeux les survivants de l'Holocauste encore parmi nous, je ne peux m'empêcher de penser à cet avertissement kantien. Pouvons-nous combattre l'oubli sans rester fidèles à l'idéal de paix ?
Car il est clair qu'il existe d'autres traditions mémorielles : l'une d'elles est devenue trop familière récemment : « Souviens-toi [zakhor] de ce qu'Amalek t'a fait », en référence à l'ennemi biblique des Hébreux, et « extermine sa descendance ».
Ces deux traditions, celle issue de la recherche de la paix et celle engagée dans l'éradication d'Amalek, nous sont ouvertes. Laquelle choisirons-nous ? Et quelles en seront les conséquences ?!
À l'époque de Kant, la « paix perpétuelle » semblait totalement utopique. Pourtant, ses principes sous-jacents ont été intégrés au droit international, en grande partie en réaction aux images et aux récits issus des camps de concentration, comme celui de Buchenwald. En effet, dans les vestiges de ce lieu, aux côtés de ceux d'Auschwitz, de Bergen-Belsen et d'autres, l'humanité a découvert qu'elle s'était livrée à bien plus qu'un simple massacre. Elle a découvert que, par un antisémitisme féroce, elle avait tenté d'éradiquer systématiquement les Juifs de la surface de la terre, portant ainsi atteinte à l'idée même de dignité humaine.

Un homme dépose une fleur dans les crématoriums
lors des commémorations du 80e anniversaire de la libération
du camp de concentration nazi de Buchenwald,
près de Weimar, dans l'est de l'Allemagne.
Credit: AFP/JENS SCHLUETER
Pour la première fois, le devoir de protéger la dignité humaine fut inscrit dans les constitutions des États et les conventions internationales. Des horreurs vécues dans des lieux comme Buchenwald, ce qui avait été considéré comme utopique devint un processus concret : la tentative de protéger tous les êtres humains, non seulement en tant que citoyens, par leurs États ; mais aussi contre leurs États, surtout s’ils ne sont pas citoyens. Par cette transformation, l’humanité refusa de laisser la guerre demeurer « la mère de toutes choses » et de ne plus jamais l’inscrire dans l’existence humaine. Il s’agissait là d’un engagement profond envers l’avenir, par le devoir envers le passé, en élaborant des lois inspirées des idéaux de dignité et de paix.
On dit que « Plus jamais ça » a deux formulations : la première dit « Plus jamais ça », et la seconde, compte tenu de l’antisémitisme génocidaire qui a culminé avec la Solution finale, dit « Plus jamais ça pour nous ». Il est temps de mettre cette distinction de côté.
L’expression « Plus jamais ça » n’est valable que dans sa formulation universelle, notamment parce que c’est seulement sous cette forme qu’elle peut rendre justice à sa formulation particulière. Un monde dans lequel une répétition de Buchenwald est possible n’importe où est un monde où elle est possible partout, y compris contre les Juifs. Seule une communauté internationale qui s’engage à éradiquer par le droit la possibilité d’une violence illimitée est celle qui lutte pour que les mêmes crimes ne se reproduisent plus.
Les gens parlent parfois ces jours-ci du massacre violent du 7 octobre et disent : « Plus jamais ça » ; tandis que d'autres regardent la destruction systématique de Gaza et la famine, et disent la même chose Gaza's systematic destruction, the starvation, saying the same. Si l'une ou l'autre vise à établir une comparaison avec l'Holocauste, alors les deux sont trompeuses. Pourtant, ces deux affirmations contiennent un fond de vérité, révélant l'incapacité à empêcher la déshumanisation totale des sociétés. Pire encore : toutes deux révèlent une communauté internationale divisée par ses alliances, mais unie dans sa volonté de tolérer, et souvent de justifier, des crimes déshumanisants et de compromettre toute possibilité de paix.

Le survivant de l'Holocauste Alojzy Maciak
lors du 80e anniversaire de la libération
du camp de concentration nazi de Buchenwald en Allemagne
Credit: AFP / Jens Schlueter
Alors que nous célébrons la libération de Buchenwald, le monde entre dans une nouvelle ère. Les États-Unis tournent le dos à leurs alliés libéraux européens, à l'État de droit et aux institutions internationales démocratiques United States turns its back on its European liberal allies, and on the rule of law and democratic international institutions. Poutine mène une guerre d'agression contre l'Ukraine, et l'Union européenne devra apprendre à se protéger de manière autonome. Pendant ce temps, les national-populistes ethniques gagnent du terrain, bénéficiant d'un réseau d'alliances aux États-Unis et ailleurs.
Ces nationalistes ne sont pas les plus dangereux lorsqu'ils prétendent renier leurs origines fascistes et antisémites, mais lorsqu'ils prétendent combattre l'antisémitisme et rendre justice au passé.
Mettons-les en garde haut et fort, mais en attendant, n'oublions pas de nous remettre en question et de nous assurer que nous restons une véritable alternative. Une alternative qui s’appuie sur l’engagement en faveurde l'État de droit et au droit international. Une alternative qui comprend encore que, si nous ne restons pas fidèles à un idéal de dignité et de paix, leur remplacement par la doctrine de la guerre comme « père » de toute chose nous mènerait rapidement du « Plus jamais ça » au « Encore ça ». Pour contrer ce glissement, il est nécessaire de connaître l'histoire de Buchenwald et de s'en souvenir. Mais cela ne suffit pas. Nous devons aussi veiller à ne jamais l'oublier.
Le professeur Omri Boehm est membre du département de philosophie de la New School de New York.
Omri Boehm, Haaretz, jeudi 10 avril 2025 (TraductionGoogle) https://www.haaretz.com/opinion/2025-04-10/ty-article-opinion/.premium/the-israeli-embassy-cancelled-my-speech-at-buchenwald-this-is-what-i-wanted-to-say/00000196-1ef0-dacd-a396-1efeec0b0000