Il se savait menacé (1). Il y a huit ans, dans la nuit du 27 au 28 février 2015, alors qu’il rentrait chez lui avec sa compagne Anna Douritskaïa d’origine ukrainienne, Boris Nemtsov a été abattu de quatre balles dans le dos sur le Grand Pont de pierre enjambant la Moskova en face du Kremlin. Un homme attendait ou bien une voiture… Les caméras de vidéo surveillance ont enregistré l’exécution.
Plusieurs personnes ont assisté à la scène d’un crime « minutieusement planifié » selon les enquêteurs. Rapidemment le porte-parole de Vladimir Poutine a fait savoir qu’il s’agissait « d’une provocation ». Pour certains au contraire toutes les apparences d’« un assassinat politique ». Boris Nemtsov ne cessait de dénoncer la corruption du "système oligarchique" du Kremlin et selon ses proches, il s’apprêtait à faire des révélations concernant la preuve de la présence de forces russes dans l’est de l’Ukraine.
Quelques heures auparavantsur les ondes de la radio Echo de Moscou, Nemtsov accusait le régime d’envahir l’Ukraineet appelait à manifester dimanche 1er mars. "Cette marche demande l'arrêt immédiat de la guerre avec l'Ukraine, elle exige que Poutine cesse son agression", disait-il à l'antenne.
Une longue série d’exécutions...
La liste est longue des opposant.e.s – journalistes, militant.e.s et personnalité.e.s politiques – éliminé.e.s après avoir critiqué le pouvoir de Vladimir Poutine.
Ainsi, la journaliste de Novaïa Gazeta Anna Politkovskaïa qui dénoncait les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie et les abus du président Poutine. Elle a été exécutée par balle dans son immeuble le 7 octobre 2006. Six autres journalistes travaillant pour le même journal ont subi le même sort (2). Alexandre Litvinenko un ancien des services secrets était empoisonné au polonium à Londres en novembre de la même année. Il avait dénoncé dans la presse des missions illégales, notamment celle d’une exécution. Il aura été empoisonné par le FSB dont Vladimir Poutine est un ancien agent. « La Russie est sous un contrôle terroriste des services de sécurité » a dénoncé sa femme. D’autres ont choisi l’exil après avoir fui aux États-Unis comme Garry Kasparov qui a obtenu la nationalité Croate en 2014. Avec le conflit en Ukraine Nemtsov est devenu pour Moscou « un traître à la nation », un « espion de l’Ouest » Et lui clame que « la Russie n’a pas d’avenir sous Vladimir Poutine. »
Un opposant infatigable à Vladimir Poutine
Né en 1959, docteur en physique et mathématiques diplômé de l’Université de Gorki, Nemtsov était un libéral ancien vice-premier ministre sousBoris Eltsine entre 1997-1998,en charge de l’énergie et des monopoles. Il fut également gouverneur de la région de Nijni-Novgorod.En 1998, il est limogé et passe dans l’opposition résolue à Vladimir Poutine. En 1999, il est élu député à la Douma. En 2000, il refuse de soutenir la candidature de Poutine à la présidentielle. En 2004, il soutien la révolution orange. En 2007, il dénonce les législatives comme « les plus malhonnêtes de l’histoire de la Russie » En 2008, il échoue à se présenter à l’élection présidentielle et créele mouvement Solidarnost avec Gary Gasparov, Boukovsky et Ponomarev. Son ami d’Alexeï Navalny en fait également parti. Celui-ci est aujourd’hui dans une geôle après avoir échappé à un empoisonnement. En 2009, alors qu’il est candidat à la mairie de Sotchi Boris Nemtsov dénonce la facture exorbitante des jeux et les « 22 milliards d’euros évaporés dans la corruption ». Il est alors aspergé d’amoniac sur le visage par des militants pro-Kremlin au cours d’un meeting politique. Il est pourchassé par le régime au travers de procès, campagne de diffamation, invalidation de listes électorales. En 2012, Nemtsov avait publié un rapport accablant pour le pouvoir de Poutine qui avait répertorié toutes les richesses dont il disposait à son usage sans qu’il en soit le propriétaire.
Un militant pour la paix avec l’Ukraine
Un an avant son exécution, le 15 mars 2014, après les manifestations de l’euromaïdan de février qui avaient abouti à la destitution du président Viktor Ianoukovytch, Boris Nemtsov participait à « La marche pour la Paix » (3) qui se déroulait sur l’avenue Shakarov à Moscou. Elle avait réuni entre 50 à 70 000 personnes. Les participants ont marché le long du boulevard Ring depuis la place Pushkinskaya.
Cette marche pour la paix n’est pas la première pour Nemtsov. Il y a pris la parole ainsi que d’autres personnes : Ilya Yashin (4), homme politique, les militants des droits de l'homme Oleg Orlov et Svetlana Gannushkina, et les membres des Pussy Riot, Maria Alekhina et Nadezhda Tolokonnikova. Les manifestant.e.s tenaient des drapeaux russes et ukrainiens. Il y a eu quelques personnes qui ont troublé le cortège avec un drapeau aux symboles nazis.
Parallèlement à cette marche pour la paix, une action « pour l'Ukraine russe » se tenait dans le centre de Moscou, organisée par le mouvement « Essence du temps » du politologue Sergei Kurginyan. Lors de son discours sur scène, le politologue a promis d'empêcher une répétition du Maïdan en Russie. Il a également déclaré que les autorités russes « réagissent avec douceur et retenue aux actions d'un gang qui a usurpé le pouvoir » en Ukraine. 15 000 personnes environ seraient venues à cet événement.
Qinze jours avant, le 1er mars Vladimir Poutine avait reçu l'autorisation du Conseil de la Fédération lors d’une réunion extraordinaire de la chambre haute d’utiliser les Forces armées en Ukraine en raison de « la menace pour la vie « de nos concitoyens » et sur les militaires déployés sur le territoire de la Crimée. L’Amérique d’Obama avait mis en garde la russie contre une invasion militaire !… Le président par intérim de l’Ukraine, Oleksandr Turchynov, accusait la Russie de vouloir annexer la péninsule et exigeait que les troupes russes soient retirées du territoire autonome.
Le Kremlin ne reconnaissait pas la légitimité des dirigeants ukrainiens, arrivés au pouvoir à la suite de mois de confrontation entre l'opposition et le président Viktor Ianoukovitch. Il estimait que les nouvelles autorités étaient sous l'influence des nationalistes radicaux. (5)
Extrait du discours de Boris Nemtsov du 15 mars 2014 (traducteur en ligne et apports)
« Tout au long de cette manifestation les gens me demandent : Pourquoi êtes-vous venu à cette marche, la marche de la paix et de la liberté ? Pourquoi ? Je réponds : « parce que je suis un patriote du pays, parce que je suis contre la guerre. Je ne veux plus voir arriver ici à Moscou, à Yaroslavl, à Nizhny Novgorod les « cargaisons 200 »*. Je ne veux plus voir nos mères, nos femmes et nos enfants pleurer, je ne veux plus de cela. (* Allusion sans doute aux cercueils des soldats russes de la guerre en Afghanistan. Les cercueils de Zinc de Svetlana Alexievitch)
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Je pense que nous n'avons pas le droit de nous comporter de la sorte vis-à-vis d'un pays ami [l’Ukraine]. C'est de la mesquinerie, c'est de l'arrogance, et surtout, c'est au détriment de la Russie.
Que va obtenir Poutine à la fin. Il aura un ennemi : l’Ukraine. … Vient ensuite la Crimée … le pire référendum de tous les temps … qui en profitera ? Les habitants de la Crimée perdront ! Comme les Russes et les Ukrainiens.
Je réfléchis depuis longtemps aux arguments de Poutine pour se comporter de la sorte. Il n’en a aucun. La réponse est simple : c'est un homme malade. C'est un homme très malade mentalement.
Du matin au soir il a besoin de l'Institut Serbe de Kaschenko, des médecins, des aides-soignants, des injections. C'est de cela dont il a besoin. Et puis j'ai pensé : non ! ce n'est pas seulement un malade. C'est aussi un homme cynique et sournois. En utilisant cette opération d’occupation et d’annexion de la Crimée (6), il veut nous gouverner pour toujours. Il veut établir une dictature avec des camps pour prisonniers politiques. En avons-nous besoin ? Dites moi ?…
Maintenant je peux entrer en Ukraine. Il y a une semaine j’étais à Kiev. On nous rabâche qu’il y a des bandits à Kiev, des fascistes que la cinquième colonne est là. Je suis du matin au soir dans le centre de la ville, le long de la place de l’Indépendance. Je ne les ai pas vus ! …. J’ai vu des mères pleurer leur fils mort sur la place du Maïdan… des policiers tués… j’ai vu une mer de fleurs… j’ai vu une situation économique difficile… un pays fraternel… Nous devons dire non à la guerre ! Nous devons dire assez, assez de cette folie !
Nous devons dire, "la Russie et l'Ukraine sans Poutine !" La Russie et l'Ukraine sans Poutine !
Et enfin : Gloire à la Russie ! Gloire à l'Ukraine. La Russie et l’Ukraine seront libres ! Merci. »
https://www.youtube.com/watch?v=BIeIu66MKLY
Boris Nemtsov comme beaucoup d’autres sous la férule criminelle du régime de Vladimir Poutine auront payé de leur vie leur engagement pour la paix et un avenir meilleur pour la russie et le monde.
(1) Sobesednik. ru https://sobesednik.ru/politika/20150210-boris-nemcov-boyus-togo-chto-putin-menya-ubet ; Le Monde https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/02/27/l-opposant-russe-boris-nemtsov-tue-par-balle-en-russie_4584988_3214.html
(2) Igor Domnikov, responsable des "grands dossiers" Agressé à coups de marteaux devant l’entrée de son logement ; Youri Chekotchikhine, collaborateur du journal et député à la Douma où il siège à la commission conre la corruption. Eliminé par empoisonnement après une enquête ; Stanislav Markelov, journaliste d’investigation et avocat des droits de l’homme. Assassiné à Moscou ; Anastasia Babourova, journaliste spécialiste de l’extrême droite néo-fasciste russe. Elle était avec Stanislav Markelmov et reçoit une balle alors qu’elle essayé de retenir le tueur ; Natalia Estemirova engagée auprès de Memorial et qui succédait a Anna Politovskaïa. Enelevée à son domicile à Grozny puis abattue.
(3) Moscou 15 mars 2014 : « Marche pour la Paix » avec l’Ukraine https://youtu.be/BIeIu66MKLY
(4) Ilya Yashin : homme politique, opposant à Vladimir Poutine et à la guerre en Ukraine. Il a été arrêté le 28 juin 2022 et condamné à 15 jours de détention pour « désobéissance envers la police », accusation qu'il juge montée de toutes pièces. Le 13 juillet, il est placé en détention provisoire jusqu’au 12 septembre au moins et le 22 juillet il est inscrit sur une liste comme « agent étranger ». Le 5 décembre le procureur lui reproche d’avoir dénoncé lors d’une intervention en direct sur YouTube « le meurtre de civils » dans la ville ukrainienne de Boutcha. Ce qui nie formellement Moscou. Le 9 décembre il est condamné à huit ans et six mois pour « discrédit de l’armée ».
(5) Extrait de lenta.ru La "Marche pour la paix" à Moscou a réuni des dizaines de milliers de personnes https://lenta-ru.translate.goog/news/2014/03/15/overmnogo/?_x_tr_sl=ru&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc
(6) Boris Nemtsov a toujours affirmé l’illégalité de l’annexion de la Crimée.