Non Mélenchon, tu n’es pas républicain !
La position de Mélenchon contestant publiquement la décision de justice prise contre Marine Le Pen est scandaleuse, voire honteuse. Quand je dis cela, c’est en tant que citoyen de gauche qui, dans le cadre du NFP, s’est senti proche de lui sur bien des points, spécialement sa critique des injustices du capitalisme et son projet social, proche de celui des communistes et des verts. Mais ici il joue une partition solitaire sans aucune justification de fond. L’intellectuel qu’il est aussi (il a même fait de la philosophie) devrait se souvenir que la République repose sur des instances élues au suffrage universel et qui délèguent à l’Etat et ses représentants, avec leur culture politique acquise, le soin de définir les lois dans un état de droit : le peuple ne les détermine pas directement mais indirectement, vu souvent et malheureusement son inculture et sa versatilité mue ses affects souvent irréfléchis, voire ses préjugés idéologiques. Le gouvernement du peuple par le peuple se fait donc par l’intermédiaire de ses élus le temps de leur gouvernance et il peut en changer s’il n’est pas satisfait. Sauf que dans une République il y a justement des normes fondées sur la morale en politique qui sont, en un sens, intangibles car elles lui sont consubstantielles et clairement affichées. Et parmi elles il y a la séparation des pouvoirs, l’exécutif soumis au législatif dont justice fait partie : ce n’est pas à la justice de se plier aux calculs politiciens du pouvoir d’Etat, mais à celui-ci de respecter la justice et d’obéir à ses injonctions. C’est le contraire de ce qui se passe dans les régimes totalitaires ou fascistes, l’histoire nous en a fourni de multiples exemples, hélas, et l’extrême-droite, sinon même une partie de la droite, est tentée par cette dérive qui n’est pas populaire mais populiste, flattant l’individualisme peu civique de la population quand on n’a rien fait pour l’en sortir en l’éduquant.
Or voici que Mélenchon est gagné par cette dérive au point de contester l’état de droit républicain en affirmant haut et fort : « La République c’est moi ! ». C’est là un propos insensé qui joue sur les mots et Marine Le Pen pourrait en dire tout autant ! Il ne se rend pas compte, ou fait semblant de l’ignorer, que, officiellement et juridiquement, la loi, républicaine en l’occurrence, ne peut accepter que l’utilisation de fonds publics destinés à des fins de fonctionnement de la République soit détournée à des fins privées. En l’occurrence ici : des salaires versés dans le cadre de l’UE pour son fonctionnement propre, que Le Pen recevait dans ce cadre, elle et ses assistants, ont été détournés au profit de la gestion de son parti en France et à un niveau qui dépasse les quatre millions d’euros ! Condamner juridiquement cette situation et en punir les auteurs comme cela a été fait, est à l’honneur de la justice française et la récuser relève du déshonneur moral et politique.
Il est vrai que Mélenchon a lui-même sur le dos une affaire déjà ancienne comparable, mais beaucoup moins grave, et il est clair que par son attitude publique il essaye de se prémunir de ses effets sur sa carrière politique à venir, qu’il veut glorieuse. Mais la véritable politique ne doit pas entrer dans ce jeu et je citerai délibérément et sans forfanterie deux philosophes qu’il doit connaître mais qu’il semble oublier… comme bien d’autres hommes politiques par les temps désastreux d’aujourd’hui. Rousseau d’abord, référence fondatrice de la Constitution républicaine issue de la Révolution française, disant dans l’Emile que « ceux qui veulent séparer la morale et la politique ne comprendront rien ni à l’une ni à l’autre ». Mais il y a aussi Kant, ce grand penseur de la morale qu’il a portée au concept (malgré son idéalisme philosophique par ailleurs) : dans un ouvrage tardif sur la politique il a été capable d’opposer le véritable homme politique qu’il appelle le « politique moral » au politiste habile : ce dernier s’habille d’une fausse morale publique pour masquer ses exactions ou ses fautes publiques - ici la soi-disant référence à la norme républicaine pour justifier ce qui la contredit ouvertement - alors que l’authentique homme politique s’appuie sur les exigences universelles de la morale rationnelle (ou raisonnable) pour les traduire en politique ! Je rappellerai seulement que Kant fut un partisan affiché et courageux de la Révolution française et qu’il traduisit son aspiration morale en politique dans un Projet de paix perpétuelle qui entraîna la création de la SDN !
Tout cela pour indiquer que Mélenchon, submergé par son ambition politicienne (comme bien d’autres au demeurant) est en train de se discréditer à mes yeux en rejoignant la protestation du RN auquel il prétend s’opposer, et ce indépendamment des mérites ou des défauts de sa démarche politique par ailleurs.
NB : Cette analyse ne résout pas, bien entendu, la question de la morale telle que Marx l’a niée explicitement, alors qu’elle habite implicitement son œuvre. Je me permets de renvoyer à mon livre L’ambition morale de la politique, L’Harmattan.
Yvon Quiniou, philosophe