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Billet de blog 2 février 2024

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La raison contre la souffrance individuelle et sociale

Nous sommes en présence d'une souffrance, individuelle et sociale, qui va croissant. Il s'agit de l'éclairer, au-delà de la seule philosophie, par la raison incarnée dans les sciences humaines pour expliquer ses causes et tâcher d'y remédier: la psychologie pour l'individu, la science sociale inaugurée par Marx concernant l'homme social. La morale en politique nous le commande!

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                                     La raison  contre la souffrance individuelle et sociale

Je me permets de résumer ici le propos de mon récent livre, La souffrance éclairée par la raison, tant cette question me paraît, hélas, d’une terrible actualité, nationale et mondiale, la souffrance agricole présente en étant un dernier exemple.

Il y a bien entendu la souffrance individuelle, qui est bien psychologique, et la souffrance sociale, qui est elle aussi psychologique si l’on veut bien envisager les rapports sociaux inhérents au capitalisme et à sa mondialisation, non seulement comme des rapports économiques d’exploitation et d’inégalités, mais comme des situations qui font souffrir les hommes du peuple au-delà de leur condition financière et à cause d’elle. Mais dans les deux cas il ne suffit pas de s’apitoyer et de se lamenter, il faut comprendre cela à l’aide de la raison pour y porter remède, à défaut d’y mettre fin totalement. Or à chaque fois, si c’est bien la raison qui doit intervenir (et non les croyances religieuses, par exemple, qui nous y enfoncent), elle a deux visages : philosophique ou scientifique, et j’entends montrer que c’est à la deuxième qu’il faut désormais faire confiance, la première étant largement impuissante.

C’est le cas pour la souffrance psychologique individuelle que les sagesses du passé ont tenté de nous aider à dépasser, du stoïcisme à Spinoza, pourtant remarquable penseur de l’accès à la joie (de vivre) contre la tristesse, mais elles sont massivement impuissantes faute d’une connaissance réelle de ses causes empiriques! Aujourd’hui c’est donc aux sciences humaines d’intervenir : la biologie avec la médecine (dont même Descartes a fait l’apologie contre les leçons de sagesse), mais surtout la psychiatrie et la psychanalyse, injustement méprisée par certains actuellement, alors qu’elle va pourtant en trouver la source dans notre histoire infantile et ses conflits familiaux qu’il s’agit de rendre conscients pour en guérir.

Mais c’est aussi le cas, en transposant, de la souffrance sociale. Certes la philosophie la meilleure, rationnelle-raisonnable, a pu jouer un rôle positif à partir du siècle des Lumières : je pense à Rousseau dénonçant le malheur lié aux inégalités entre les hommes dans son deuxième Discours et proposant une magnifique solution dans le Contrat social, en tout cas s’agissant de l’inégalité politique et demandant l’accord des libertés de tous dans la démocratie ! Et il y a aussi Kant, le plus grand et définitif théoricien de la morale à mes yeux et qui a su en donner une traduction dans sa philosophie de l’histoire et dans son Projet de paix perpétuelle : il envisage une prédominance progressive de la sociabilité humaine sur son insociabilité et, surtout et sur cette base, il préconise et théorise une paix humaine dans les nations et entre elles pour éliminer les souffrances guerrières, qui sera à l’origine de la SDN !

Reste que cette approche philosophique, qui n’est en rien inutile sur le plan de l’idéologie, égalitariste et pacifiste en l’occurrence, doit être complétée et enrichie par la science de l’histoire et de la société telle que Marx l’a inaugurée sur une base matérialiste. Par-delà une tendance explicitement économiste et positive qui marque son œuvre à partir du Capital, son analyse de l’exploitation et des rapport de classes, irremplaçable (même Aron l’admirait !) fait une place évidente, quoique non réfléchie théoriquement, à la souffrance humaine des travailleurs, dénonçant leur « monstruosité » (la formule est de lui) sous tout un ensemble de formes, y compris dans leur vie familiale, et portant atteinte à leur individualité qui en sort aliénée, appauvrie dans ses possibilités de vie riche et heureuse. Avec le risque, en plus, que cette aliénation (c’est le terme qui convient) soit tellement intériorisée que ses victimes peuvent ne pas avoir envie de l’abolir et de supprimer la souffrance qui lui est pourtant sous-jacente. La sociologie contemporaine n’aura pas infirmé ce constat critique, normatif donc, de ce qui est bien une inhumanité du capitalisme en tant que tel. Elle a au contraire approfondi l’analyse de certaines situations concrètes de travail qui engendrent des concurrences et des rivalités entre les travailleurs en raison des rapport hiérarchiques entre eux ou de la soumission aux chefs d’entreprises et de ceux qui les dirigent (voir les travaux de Ch. Desjours et d’E. Renault) ; et, il faut hélas le dire, la vague libérale qui a déferlé sur l’Occident européen depuis la chute de l’URSS, n’a fait que renforcer cette situation : voir les phénomènes d’anxiété, les dépressions, les suicides, etc.,  que tous les médecins du travail constatent. J’ajouterai pour  conclure cette trop brève description, la souffrance écologique qui s’annonce déjà et qui n’est pas due aux seuls comportements des consommateurs, mais au système mondial de production qui abîme la nature et l’homme puisque celui-ci en fait partie.

On aura compris ce qui est à la base de tout cette réflexion ou qui en découle : l’idée qu’une politique progressiste, de gauche au minimum bien entendu, doit se penser comme une courageuse et noble thérapie de la souffrance, sociale en particulier, inspirée par une exigence morale indépassable dont se fichent la majeure partie, cynique, des hommes politiques actuels. Et elle montre à l’inverse à quel point la politique capitaliste est un facteur de souffrance humaine, de mal ou de malheur, qu’il faut combattre pour la dépasser. Car le pire n’est jamais sûr !

                            Yvon Quiniou, auteur de La souffrance éclairée par la raison, L’Harmattan.

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