Non au mythe Virginie Despentes !
Décidément, il me faut à nouveau intervenir à propos, à savoir contre Virginie Despentes à l’occasion de la sortie de son livre Cher Connard, encensé par la majeure partie de la presse, y compris celle que j’aime et exception faite de Marianne qui fait preuve, une nouvelle fois, de sa grande lucidité critique. Comme ses précédents « romans », je n’ai pu le lire longuement faute d’intérêt et je me suis contenté de repérer des thèmes qui illustrent ce qu’elle dit, sachant que si elle le « dit bien », c’est au sens où une chronique dans un journal pour midinettes pourrait être déclarée « bien écrite » et pourrait capter l’attention de ceux qui ne sont pas amoureux de la grande littérature. C’est donc sur le fond, essentiellement, qu’il faut juger ce livre et que j’avoue, à nouveau, ma grande déception, voire l’hostilité vive et même rageuse qu’il suscite en moi.
Il s’agit d’une espèce d’autobiographie où, à travers le procédé de lettres fictives, il est beaucoup question d’elle dans une rumination de son passé (douloureux il est vrai) et de ses affects d’hier ou d’aujourd’hui. Or c’est là que le bât blesse car ce qu’elle prétend aimer ou avoir aimé, nous offre le spectacle d’une vie d’une rare médiocrité humaine, j’ose le dire, même si elle paraît en avoir conscience parfois, mais sans le regretter vraiment, son succès public aidant. Et même si elle prétend aussi se faire la spectatrice, désolée parfois, des mœurs de notre société. Indiquons donc quelques uns de ses thèmes de prédilection.
Il s’agit de l’alcool, de la drogue, de la drague aussi, de son attrait pour les boîtes de nuit, pour les rencontres qu’on y fait avant de se mettre à « coucher », de ses voyages avec des amies – elle est lesbienne et le revendique à sa manière, même si, à la fin de l’ouvrage elle critique le féminisme dans des termes inacceptables (j’y reviendrai). D’où aussi une image de la sexualité qui ne s’imposait pas (tout le monde ne fait pas l’amour sur la base de ses affects), à savoir sale. Exemple : « Tout désir doit être associé à la destruction, sans quoi il n’est pas masculin » (elle se veut masculine) et : « Si tu jouis quand je te baise, et que tu ne me sens pas comme une merde le lendemain, je ne t’ai pas baisée comme un homme » ! (p. 200). Il est vrai que c’est la même qui, dans King Kong Théorie, décrétait que « la féminité est une turpitude » et que « la prostitution est un métier comme un autre ». On voit ici, à nouveau, comment elle généralise « anthropologiquement » des traits qui la caractérisent : tout le monde ne fait pas et n’a pas envie de faire l’amour sur la base des mêmes affects qu’elle !
Ce qui frappe aussi c’est la vulgarité de ses affects, y compris dans la manière provocante dont elle les exprime, même quand ils peuvent être touchants et pourraient être dits délicatement. Parlant de son milieu familial et de la violence que son frère pouvait y subir, elle exprime la chose ainsi, regrettant que ses parents ne lui aient pas manifesté de tendresse : « Et pourtant, Dieu sait que tu chialais comme un veau ». Oui : « chialais » et non « pleurais » et, en plus « comme un veau » ! On pourrait multiplier les exemples en revenant à la sexualité, où il n’est question que de « con », de « pénétration », de violence imposée, sans qu’un seul instant elle imagine que le rapport sexuel puisse être une union, voire une fusion avec l’autre mettant fin provisoirement à la séparation corporelle d’avec l’autre, dans une jouissance commune, quand on aime, voire dans l’érotisme partagé, ce qui est toute autre chose !
Je pourrais multiplier les exemples, mais cela deviendrait lassant. Je préfère insister sur son positionnement politique ou vis-à-vis de la politique, qui me désole (au-delà de son indigne attitude charitable à l’égard des tueurs de Charlie, que peu rappellent). Deux traits qui me désolent. 1 Se sentant mal et « se prenant la tête », elle parle de la grave situation mondiale qui pourrait susciter cet état : Trump (à l’époque), la Russie répressive, la Chine aussi selon elle, Hong Kong, la chasse aux migrants en France. Eh bien figurez-vous que ce n’est pas cela qui la tracasse, qui lui a « retourné le ventre et démoli le moral », c’est qu’elle a « retrouvé un pantalon » qu’elle « mettait il y a trois mois ». et qu’elle « ne rentre pas dedans » (p. 175) ! Franchement, on a rarement exprimé un tel cynisme narcissique… et il faudrait l’admirer ?
Autre trait. Après avoir été féministe, une de ses interlocutrices imaginaires (ou elle !), se lamente contre les féministes dans des termes inacceptables : « marchandes d’armes… hétéro-beaufs… convaincues de l’importance du chef…avides de promotions… pro-police… soit disant vertueuses ». (p328). Rien que cela et j’en passe ! On peut ne pas apprécier certains excès du féminisme, mais de là à les injurier ainsi ! On est en présence d’un langage injurieux et cynique, au sens où le cynisme consiste à se complaire sciemment dans des attitudes moralement inacceptables !
On aura compris, pour finir et même si Despentes paraît se réfugier parfois dans l’idée assumée d’un tableau objectif de notre époque (ce qui n’en fait en rien un nouveau Balzac comme je l’ai lu !), que nous sommes ici, si j’ose ce jeu de mots, sur la pente descendante vers les bas-fonds de l’être humain, qui ne mérite pas le moindre éloge et dont le succès littéraire m’inquiète socialement. Comparez si vous voulez et à l’opposé, avec Modiano et sa subjectivité délicate !
NB: Il ne s'agit pas ici de critiquer l'individu en raison de sa biographie douloureuse, mais simplement l'écrivain, on l'aura compris
Yvon Quiniou