yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

523 Billets

2 Éditions

Billet de blog 3 octobre 2016

yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

La poésie, le bonheur et le communisme

Francis Combes vient d'écrire un beau livre sur les rapports de la poésie au bonheur: elle en est la métaphore vivante. Mais elle a aussi pour fonction de nous aider à l'apercevoir et à l'apprécier dans notre vie quotidienne. Et, fondée sur l'amour de ce monde et des hommes qui l'habitent, elle nous suggère un état social où la poétique de l'amour dominerait: le communisme.

yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La poésie,  le bonheur et le communisme 

Francis Combes vient d’écrire un bel essai intitulé étrangement « La poétique du bonheur ». Comprenons bien ce titre.Bien qu’illustré par la formule d'un poète, Rimbaud, « La magique étude Du bonheur Que nul n’élude », il ne s’agit pas pour lui d’énoncer un art  poétique permettant d’exprimer le bonheur en poésie (ce qui serait voué à l’échec), mais de développer une analyse vagabonde, en de brefs chapitres, de ce qu’il peut y avoir de dimension heureuse, et donc « poétique » selon Combes, dans nombre d’aspects de l’existence – sous-entendu : la poésie est là aussi pour nous apporter du bonheur et elle peut en être la métaphore vivante. Il le dit en évoquant la vie de différentes figures célèbres qui ont su l’exprimer directement soit dans leur œuvre d’écrivain, soit dans leur existence engagée politiquement dans cette direction.

Le communisme y est fortement présent, pour une raison de fond, que je partage : celui-ci ne se réduit pas à une technique de gouvernement centrée sur la satisfaction des seuls besoins matériels des hommes envisagés collectivement, mais il vise à désaliéner les individus dans leur singularité en leur permettant de réaliser leurs plus hautes potentialités – celles-là mêmes que le capitalisme, y compris dans sa forme consumériste actuelle, étouffe en eux. Le matérialisme sur lequel il repose n’est donc pas ce matérialisme pratique auquel on voudrait  l’assimiler, mais celui, théorique, de l’intelligence des conditions historiques et donc aussi matérielles, qui permettent de réaliser cet idéal. C’est dire qu’il comporte  une dimension morale ou éthique (comme on voudra) et du coup, on doit le dire, esthétique : il vise à mettre à la portée de tous une vie belle, que le bonheur, précisément fait rayonner et il est à l’opposé de la caricature  que le stalinisme en a fournie avec son apologie officielle de l’homme productif ! C’est pourquoi il implique une « poétique du bonheur », en acte(s) d’abord, mais que les poètes, fût-ce à leur insu, sont les plus aptes à mettre en mots. D’où aussi ce constat, que la propagande anti-communise, nourrie il est vrai par le même stalinisme, n’aura cessé d’occulter : « Le 20ème siècle fut le siècle des poètes communistes » (p. 29), C’est parmi les communistes que l’on aura  trouvé le plus grand nombre de poètes parvenant à l’excellence : Maïakovski, Aragon, Eluard, Neruda, Guillevic, et bien d’autres.

Mais pourquoi, au fait ? D’abord parce que même si la poésie, comme tout art et contrairement à ce que l’on croit, nous  met en relation avec le réel et ne nous fait pas fuir dans un monde imaginaire, c’est pour le sublimer. D’abord en repérant en lui ce qu’il a de sublime et qui peut nous réjouir, s’opposant ainsi à cette « désublimation » dont Marcuse, cité par Combes, indiquait qu’il caractérisait malheureusement le capitalisme mercantile d’aujourd’hui, qui tend à imposer sa médiocrité dans tous les domaines de l’existence. C’est ainsi que l’auteur peut indiquer subtilement que « toute vie est un roman, si après coup on l’écrit » : autre manière de dire qu’il y a de la poésie en toute vie et qu’il ne s’agit pas de l’inventer, quand on la raconte, mais de l’en extraire. « La poésie, c’est ce qu’il y a d’intime dans tout » pouvait proclamer V. Hugo, et il ajoutait à l’adresse de son lecteur : "Ah ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous ». Et lui arriva même de préciser qu’il y a une jouissance esthétique dans la mélancolie puisqu’elle est « le bonheur d’être triste ». C’est pourquoi le poète est pour une part un révélateur de la dimension heureuse de notre quotidien et il nous incite à l’apprécier.

Cependant, il y a plus : la sublimation, c’est aussi, pour une part, une transposition liée au regard subjectif et esthétique que l’artiste porte sur le monde ou sur soi, capable d’embellir le désespoir amoureux (c’est le cas d’Aragon) ou de consoler Neruda de la « dimension automnale » qu’il portait en lui et qui peut affecter tout un chacun, spécialement quand il pense à la mort (voir le ch. 32). C’est dire que « la poésie est ce qui élève » (Combes): on peut l'afirmer sans la moindre mièvrerie spiritualiste. Et cela pour une raison simple : elle repose sur l’amour. L’amour au sens strict, en premier : combien de poètes, hommes ou femmes, ont chanté celui-ci, qu’il fût le plus charnel qui soit, fêtant le corps sous toutes ses formes, amoureux même des « fesses » par exemple, lesquelles, comme le suggérait Brecht, échappent davantage aux meurtrissures du temps que le visage aimé. Cet amour déborde sur la perception de la vie, faisant dire à cette femme politique que fut d’abord Rosa Luxemburg, qu’il « permet de voir le monde comme un conte de fées scintillant (…) parce qu’il rehausse ce qui est le plus commun et le plus humble et le sertit de brillants », permettant de vivre dans « l’ivresse » ou « l’extase » (p. 98) .

Dès lors il faut comprendre ce sentiment en un sens plus large (ce qui ne veut pas dire plus profond). C’est l’amour dans ses dimensions multiples qu’il convient de valoriser, celui qui peut entraîner à l’option communiste : un amour de la Terre (et non du Ciel), du monde, des hommes qui y vivent et qu’il faut donc communiquer ou partager, loin de la pose aristocratique de l’artiste qui se croit au-dessus du lot commun. Cet amour est horizontal, il se passe de toute verticalité religieuse qui nous coupe de notre vie terrestre, voire nous enseigne à la mépriser au profit d’une transcendance imaginaire qui a tant fait souffrir les êtres humains. Et si Rimbaud, l’un des nos plus grands poètes, a pu déclarer que « la vraie vie est ailleurs », c’est parce qu’il était en révolte contre la petitesse de son temps et l’existence médiocre dans laquelle il maintenait le peuple. Son engagement en faveur de la Commune (rare parmi les écrivains de l’époque) peut se comprendre comme un investissement de ses exigences poétiques « fabuleuses » dans une transformation de l’ordre social inique et laid de la bourgeoisie… même si elle échoua, peut-être faute d’amour partagé du côté des dominants!

Cet ultime exemple (il y a en plein d’autres dans ce livre passionnant) nous montre bien que, comme l’affirme Combes, « la vraie vie est ici », dans l’immanence absolue de ce monde. A la fois il s’agit de la goûter en se mettant à l’écoute des poètes et de transférer le bonheur qu’ils exaltent (et nous font éprouver d’ores et déjà à travers leur poésie) dans la visée d’un bonheur pour tous, mais au plus haut niveau et dans le respect de la personnalité de chacun. On appellera cela le communisme, dans la stricte lignée de Marx, en sachant que son expérience n’a encore été réalisée nulle part.

                                                                     Yvon Quiniou

Francis Combes, La poétique du bonheur, Editions Delga

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.