yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

523 Billets

2 Éditions

Billet de blog 4 janvier 2023

yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

La laïcité ouverture sur la spiritualité?

Le représentant courageux d'un islamisme modéré, A.Bidar vient d'écrire un article curieux, sinon incompréhensible, toléré par "Le Monde". Commentant la loi de 1905 sur la laïcité, il prétend qu'elle relance une nouvelle spiritualité au nom de la liberté des cultes, alors qu'elle est là pour empêcher la dictature du spiritualisme avec ses erreurs et des méfaits humains. Étonnant et inadmissible!

yvon quiniou

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                 La laïcité ouverture sur la spiritualité ? 

 Le représentant estimable d’un islam modéré, Abennour Bidar, hostile au fanatisme islamiste,  vient d’écrire un article dans Le Monde (le 28 décembre 2022) à propos  de la loi de 1905 sur la laïcité et ses deux premiers articles, affirmant qu’ils ouvrent la porte à un renouveau de la spiritualité, ce qui est non seulement surprenant mais incompréhensible ! En particulier, car c’est là le fond de son propos, il donne un sens positif et franchement spiritualiste à l’article 1, sur « le libre exercice des cultes », alors que celui-ci n’a qu’un sens défensif contre le prosélytisme religieux d’une religion particulière tel qu’il s’est manifesté d’une manière brutale et anti-démocratique pendant nombre de siècles antérieurs à cette loi, à travers le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme ( et j’y ajoute l’islam), s’opposant violement entre eux entre eux et combattant l’athéisme. Ce fut le cas tout spécialement, au 19ème siècle en France, dont il semble oublier qu’il a longtemps interdit le matérialisme dans l’enseignement secondaire et à l’Université sous prétexte d’irréligion, le ministre de droite Victor Duruy s’étant même félicité publiquement qu’il n’y ait pas un seul philosophe matérialiste dans cette même Université (et a fortiori dans les lycées). J’ai dénoncé ce fait inadmissible dans mes écrits et le philosophe marxiste Lucien Sève avait remarquablement mis en avant et critiqué cette situation dans un de ses livres. A quoi s’ajoute que cette situation intellectuelle s’est prolongée d’un manière plus habile au 20ème siècle et encore aujourd’hui, au sens où le courant matérialiste et athée est minoré dans les programmes d’enseignement, et, j’ajoute, dans le recrutement des enseignants à l’Université où l’idéalisme est dominant, j’en sais quelque chose.

On voit donc l’erreur de Bidar : il renverse la juste interdiction laïque de la « dictature spiritualiste » des croyances et pratiques religieuses sur les esprits dans l’espace public, telle qu’elle se manifeste fortement aujourd’hui dans les régimes musulmans, menace les Etats-Unis avec l’ « illibéralisme » qui voudrait « nationaliser » la religion, ou qui s’exprime plus modérément, mais réellement, dans certains pays d’Europe actuels comme la Hongrie, la Pologne ou l’Italie. Il la renverse donc en proposition positive, donc, en faveur d’une nouvelle « dimension spirituelle » (je le cite)… sous prétexte qu’il serait question de garantir la liberté des « cultes » (dans des limites précises, cependant) et que tout culte, « religieux ou pas » (sic), signifierait l’accès à une vie de l’esprit hors de l’espace de la politique tout en étant reconnue et favorisée par cette même politique, ouvrant la porte à une « démocratie spirituelle ». Là j’avoue que je ne comprends pas : l’on sait très bien que la notion de « culte » est une notion religieuse qui renvoie à des pratiques comme le baptême, la messe, la prière collective, etc., avec ses hommes d’Eglise qui les organisent, qu’elle assure à une religion son statut de communauté visible de l’extérieur, ce qui n’est pas de le cas de la seule spiritualité telle qu’il la définit en y incluant… l’agnosticisme  et en la situant, à juste titre,  dans l’intériorité du sujet humain. On peut soutenir éventuellement, comme il semble le faire, que cette spiritualité relève alors encore de la religion quand elle pose une transcendance et qu’elle l’invoque, mais au sens d’une religion subjective ou naturelle telle que de grands penseurs l’ont admise et valorisée, comme Hume, Kant et Rousseau, et cela contre les religions objectives  et leur pratiques irrationnelles, déraisonnables, voire hypocrites (voir le procès qu’en fait Kant sa Religion dans les lites de la simples raison), sans compter leurs méfaits humains. C’est ce qu’on doit appeler leur déisme distingué du théisme. Il n’empêche que fonder le passage à la spiritualité sur le respect des cultes religieux exigé par la loi de 1905 me semble carrément spécieux, sinon sophistique.

A quoi il faut ajouter le fait que Bidar donne un sens plutôt flou et large à la spiritualité telle qu’il en voit la venue : il la centre sur la préoccupation d’un transcendance existentielle au sens très large, qui pourrait être celle d’un Camus à la recherche d’un perfectionnement de soi ascendant (ce qui est nouveau, mais sans fondement : voir son apologie de « l’home absurde » confronté au  non-sens de la condition humaine) ou celle d’un agnostique « zététique », ce qui est tout aussi injustifié car celui-ci est un sceptique ou un esprit qui ramène scientifiquement les croyances (spécialement religieuses) à des phénomènes humains strictement immanents, hors de toute transcendance. On voit alors l’erreur, qu’il faut dire philosophique, qu’il commet : il confond la spiritualité avec l’intelligence, oubliant que celle-ci peut s’ouvrir à des questions ou préoccupations métaphysiques, comme le statut ultime du monde mais sans pouvoir y répondre : fini ou infini, créé ou incréé ? Même Darwin, pour qui l’homme est issu d’une nature qui l’a précédé et engendré, n’excluait pas ces questions mais sans pouvoir  leur apporter une solution, avouant qu’il ne pouvait se prononcer sur l’origine ultime de cette nature ;  et, pareillement, un matérialiste (c’est mon cas) ne peut s’autoriser, sur le plan d’une certitude intellectuelle, que d’un athéisme privatif – a-thée, sans Dieu –, donc de type agnostique, et non  d’un athéisme niant dogmatiquement Dieu – athée : contre Dieu. Aucune affirmation dogmatique et « spirituelle » d’une quelconque transcendance, ici !

On aura compris que le dépassement historique de la spiritualité tel qu’on peut l’envisager après celui des religions, n’est en rien ce danger mortifère pour l’humanité que paraît redouter Bidar, comme ne l’est pas non plus ce matérialisme qu’il n’aime pas, qui est inhérent aux sciences contemporaines, émancipe l’homme de ses croyances absurdes dans le champ de l’immanence terrestre et contribue à sa liberté concrète dans bien des domaines ; et ce matérialisme ne  rejette pas le questionnement métaphysique dont l’intelligence (ou la raison) doit être la source et non un esprit un peu « mythique », d’ascendance religieuse. Conclusion : la laïcité ce n’est pas la spiritualité mais le domaine de l’intelligence ouverte à la science et aux questions philosophiques qui la dépassent !

Yvon Quiniou , philosophe, auteur en particulier de Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique (La Ville brûle) et de Pour une approche critique de l’islam  (H§O).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.