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Billet de blog 5 mars 2023

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Ukraine: Edgar Morin, bravo!

Edgar Morin vient d'écrire un texte lucide et courageux sur la guerre en Ukraine, contre les préjugés dominants, dans les médias en particulier. Il la comprend, sans sous-estimer la responsabilité de Poutine, à partir de la stratégie impérialiste des Etats-Unis à travers l'’OTAN, dans laquelle l’Ukraine entend entrer. Mais sa réflexion va plus loin et examine critiquement la situation mondiale.

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                                                    L’Ukraine : bravo Morin ! 

Edgar Morin, malgré son âge (102 ans !), vient de publier un court livre sur la guerre en Ukraine, qui est à la fois impeccable de lucidité et courageux par les temps qui courent caractérisés par une propagande pro-ukrainienne unilatérale dans la plupart des médias, y compris le journal Le Monde qui l’a littéralement incendié d’une manière détestable, partisane et injustifiée.

Mon propos n’est pas de rendre compte de tout ce qu’il dit, mais de mettre en avant ses idées-forces. Dans l’ordre donc, et sans évoquer ce qu’il dit des guerres dans l’histoire et ses horreurs que ses acteurs ont, de part et d’autres, commises.

 1 L’essentiel consiste à indiquer fortement à quel point cette guerre, par-delà l’opposition de deux nationalismes, est en réalité l’enjeu de deux impérialismes : celui de la Russie qui ne veut pas voire sa puissance de grande nation, venant de l’ex-URSS, être amoindrie ; mais tout autant, et c’est là l’importance et le  courage de son propos, l’impérialisme de Etats-Unis. Celui-ci est ancien et concerne sa domination économique sur le monde qui est en train de s’effriter du fait de la montée en puissance de la Chine. Or c’est sur cette base, et en réaction à cet effritement, qu’ils manipulent l’Otan en incitant l’Ukraine à y entrer comme d’autres pays voisins pour s’approcher de la Russie et l’affaiblir : qui n’a pas compris cela n’a rien compris à ce qui se passe dans cette guerre !

2 Or cette politique est soutenue, avec parfois des hésitations, par nombre de pays européens et ce de diverses manières : politiques, économiques et surtout militaires, avec l’énorme danger que cela fait peser sur la paix mondiale. La France, pour une fois avec Macron, est au contraire dans un position généreuse  d’ouverture à la paix – comme (c’est moi qui le signale) la Chine avec son plan de paix actuel (Morin ne le connaissait pas quand il écrivit ce texte) que les médias sont incapables de saluer sereinement, mais aussi nombre de pays de la dite « zone rouge » du monde, avec en particulier, des pays progressiste d’Amérique latine, qui manifestent au minimum leur neutralité à l’ONU.

3 Dans ce contexte il est intéressant de voir Morin – qui n’a d’ailleurs aucune sympathie pour Poutine, qu’on se rassure – analyser et comparer les deux régimes nationaux qui s’opposent. En dehors des critiques que l’on doit faire de l’orientation libérale économiquement de la Russie post-soviétique, il y a aussi (ce qu’on ne dit guère) les graves défauts internes du régime ukrainien, avec son économie libérale, la domination des oligarques et la détestable corruption généralisée… comme aussi la présence de courants pro-nazis et anti-sémites qui n’ont pas disparu. Ce qui permet à l’auteur de rappeler ce qu’il en est aux Etats-Unis : une nation certes « démocratique » depuis son origine, mais qui s’est constituée sur la base de l’esclavage, a pratiqué la colonisation de territoires étrangers pour se constituer et entretient en son sein une société inégalitaire, voire raciste à l’égard de ses minorités raciales. A quoi s’ajoute, bien entendu et c’est aussi le sujet, un impérialisme dans le monde depuis plus d’un siècle : économique bien entendu et au service de son économie libérale, sinon néo-libérale, qui exploite les peuples ; mais aussi politique et anti-démocratique dans ses soutiens à diverses dictatures comme ce fut le cas pour Pinochet et comme c’est le cas dans son rapport à l’Afghanistan et à sa tyrannie islamiste ; enfin, un impérialisme militaire guerrier avec toutes les guerres qu’il déclenchés au siècle dernier comme en Corée ou au Vietnam. C’est aussi dans ce cadre structurel, guère reluisant humainement, qu’il faut comprendre leur soutien à l’Ukraine et le juger négativement.

4 A partir de là, on félicitera Morin d’élargir sa réflexion pour appréhender critiquement ce qu’il en est de notre monde actuel. Il en fait un bilan pessimiste que je partage, en plusieurs points : la domination affreuse de l’économie libérale sur le monde, avec sa paupérisation croissante de nombreuses populations ou secteurs de populations ; la crise écologique, avec ses menaces terribles sur la biosphère et la vie  humaine à terme, que les gouvernements n’ont pas su, scandaleusement, prévoir ; une crise, du coup, de l’éthique (on pourrait dire aussi de la morale) ou du « développement éthico-politique » dont je partage totalement le diagnostic et qu’il est capable de formuler ainsi : « Nous sommes entrés dans la crise de l’humanité n’arrivant pas à accéder à l’Humanité » (p. 51) ; et enfin, bien entendu, mais on ne s’y attendait pas à la fin du 20ème siècle : la montée des conflits un peu partout et le risque d’une guerre mondiale, éventuellement nucléaire. C’est bien pourquoi il peut aussi parler avec inquiétude, sinon désespoir, d’une crise des civilisations  et même de la pensée.

C’est pourquoi il nous faut à nouveau penser le monde humain actuel à fond, comme il nous en fournit l’exemple ici, même si c’est brièvement. D’autres aperçus seraient d’ailleurs indispensables, fournis par d’autres références théoriques, dont celle de Marx avec sa visée communiste, qu’il ne cite pas, et distinguée de ce qui s’est fait en son nom à l’Est. Mais dans tous les cas, s’il nous faut reprendre la notion de progrès et l’approfondir, il faut bien commencer par mettre en œuvre l’idéal de paix – paix sans laquelle rien n’est possible !

                                                                  Yvon Quiniou

Edgar Morin, De guerre en guerre, L’aube.

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