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Billet de blog 5 avril 2023

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L'élection législative en Ariège: quels socialistes?

L'élection législative en Ariège mérite qu'on la commente, car une soi-disant socialiste a été élue contre le candidat de la Nupes pourtant arrivé en tête au 1er tour et avec l'appui des macronistes et de la droite. Cela traduit bien la dérive politique et idéologique de soit-disant socialistes, amorcée depuis longtemps. On le démontre ici.

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                                 A propos de l’élection législative en Ariège : quels socialistes ?

Ce qui vient de se passer à l’élection législative en Ariège avec l’élection d’une député qui se dit « socialiste » contre la candidate de la Nupes qui pouvait être élue, et ce avec le soutien officiel de l’électorat officiel de Macron et, tout autant, sinon  surtout, celui de la droite et de l’extrême-droite (qui a applaudi), est proprement scandaleux et ce à deux niveaux.

D’abord politiquement tant il signifie à quel point les dits « socialistes » sont en désaccord avec l’orientation que Faure, avec courage, veut maintenir et impulser  avec son parti au sein de la Nupes, pour construire une alternative à terme au capitalisme néo-libéral auquel nous devons faire face. Car il faut avoir conscience de l’importance des dégâts sociaux que celui-ci produit : l’augmentation de l’âge de la retraite pour se plier aux normes européennes qu’on vante sans le moindre scrupule, avec les souffrances que cela entraînera pour beaucoup de français ; l’appauvrissement des classes populaires et même d’une partie des classes moyennes du fait, en particulier, de l’inflation considérable que nous connaissons ; l’augmentation, pendant ce temps, des inégalités de richesse au profit des plus riches dont les revenus augmentent grâce aux cadeaux fiscaux scandaleux et indignes que Macron leur a consentis. A quoi il faut ajouter, ce que peu soulignent, deux points terribles pour un  citoyen authentiquement de gauche. D’abord un exercice du pouvoir par notre président totalement vertical, court-circuitant les corps intermédiaires, ce qui constitue un déni effectif de démocratie de la part d’un homme orgueilleux et prétentieux : il l’a prouvé par son refus d’abandonner sa réforme des retraites contre la grande majorité des français, ce qui, au nom des règles formelles de la démocratie, revient à nier la légitimité populaire, laquelle n’est pas une expression creuse. Comment de prétendus socialistes peuvent-ils accepter cela en acceptant le soutien des macronistes pour se faire élire ?

Mais il y a pire selon moi. Pour avoir lu le texte-programme de Macron publié en 2017, Révolution,  et l’avoir commenté dans un livre critique, je peux affirmer ce que peu osent dire, à savoir que notre président est le partisan assumé d’un authentique libéralisme venu des Etats-Unis, avec Hayek en particulier (qu’il ne cite pas), même s’il paraît l’adoucir dans les mots : la société repose sur les individus censés avoir des chances égales au départ – ce que la sociologie contemporaine, inspirée par Marx, récuse vivement en montrant l’existence des classes et des inégalités de milieu culturel à la naissance qu’elle entraînent ; ces individus  sont donc voués à une « libre concurrence » entraînant la victoire des « meilleurs  par nature », sans que la justice sociale (peu mentionnée) intervienne beaucoup pour corriger cela ; l’Etat n’a donc guère de rôle d’intervention, humainement correctif, qu’inspirerait des valeurs morales humanistes s’incarnant en politique ; et enfin, on voit très bien – ce que sa gouvernance confirme – que sa vision de la politique est dominée en priorité par un productivisme et un souci de la croissance économique, sans considération véritable pour ses méfaits écologiques, pourtant considérables et funestes. A nouveau : comment de prétendus socialistes peuvent-ils soutenir cela ?

Or il y a une réponse, généralement occultée mais que certains analystes de gauche ont su suggérer. Cette dérive n’est pas totalement récente : elle avait été mise en œuvre par Hollande durant son septennat, un Hollande dont Macron fut le ministre de l’économie, il faut s’en souvenir. Plus : le PS lui-même, à la fin des années 1980, avait opéré un virage à droite dans son orientation idéologique de fond, manifestant une espèce de scepticisme quant au socialisme lui-même, scepticisme que la déferlante libérale qui s’est abattue en Europe après la chute de l’URSS  n’a fait qu’accentuer : la disparition de ce régime a été assimilée, sans le moindre esprit critique ni guère d’intelligence, avec la mort du communisme en lui-même, alors que ce qu’il s’était fait en son nom n’en était qu’une lamentable caricature ou, si l’on préfère, un contresens en acte par rapport à ce que Marx en pensait s’agissant de sa forme politique et de ses conditions historiques de possibilité, à savoir le capitalisme développé qui n’existait pas en Russie. Enfin, il faut avoir le courage de le dire – et là aussi quelques analystes de gauche l’ont indiqué –, ce renoncement a commencé avec François Mitterrand en 1983 quand, après une magnifique Union de la gauche qu’il avait amenée au pouvoir (et qui l’y avait amené) avec un projet clairement socialiste, il y avait renoncé à cause de l’Europe, en adhérant à celle-ci avec ses règles économiques libérales. C’était le début de la fin de ce projet ! Et sait-on  que le dirigeant social-démocrate suédois Olof Palme l’avait félicité pour son élection et son programme, regrettant même que les suédois se soient arrêtés à mi-chemin !

Voilà la réflexion d’ensemble que m’a suggéré cette simple élection en Ariège d’une socialiste par une fraction d’un parti qui a trahi son identité idéologique, car un simple événement particulier de ce type peut être riche de signification globale. A méditer et à faire savoir !

Yvon Quiniou, philosophe, auteur en particulier, avec Nikos Foufas, de La possibilité du communisme (L’Harmattan).

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