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Billet de blog 6 février 2016

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J.-F. K. contre B.-H. L.: un débat indigne de Marianne

Le débat entre J.-F. K et B.-H. L. dans Marianne offre une tribune aux idées scandaleuses de B.-H. L. sur les guerres au Moyen-Orient et ses croyances religieuses d'un autre temps.

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J'apprécie le journal Marianne dans un certain nombre de domaines, dont celui de la laïcité où son intransigeance est impeccable. Mais je viens de lire le débat entre Jean-François Kahn et Bernard-Henri Lévy à l'occasion de la parution du livre de ce dernier sur le judaïsme: quelle tristesse, quelle indignité de discuter avec les positions d'un esprit ausi médiocre et réactionnaire (Kahn lui reproche ce dernier point) que B.-H. L.! Qu'y apprend-on? Que B.-H. L. continue de penser que l'intervention en Lybie, qu'il a suggérée à Sarkozy, cet homme si peu progressiste, était bonne et qu'il aurait fallu, pour éviter Daech, la prolonger en Syrie! Or tout le monde peut constater qu'elle a été un fiasco total dans ses effets: le désordre politique qu'elle a ainsi produit a facilité l'influence des islamistes radicaux, dont nous payons aujourd'hui le prix. Aucun regret de sa part, aucune autocritique tant le statut de vedette médiatique vous met à l'abri des reproches qu'une éventuelle conscience morale pourrait vous adresser, au moins après-coup! 

Mais il y a plus grave, à mon avis, et je m'étonne que Marianne, défenseur rigoureux de la laïcité et guère complaisant à l'égard des religions d'habitude, à juste titre selon moi, offre ainsi à Lévy une tribune pour exposer son judaïsme et, à travers celui-ci, son rapport à la religion. On le voit ainsi défendre, sans le moindre esprit critique, et pourtant après l'agression inadmissible dont un enseignant juïf a été victime à Marseille, le port de la "kippa". Lui qui se dit philosophe (et que l'on dit philosophe!) mais qui ne l'est pas, est capable d'affirmer, je cite: "La kippa n'est pas un gadget. C'est une histoire sérieuse, grave, qui marque corporellement le lien des juïfs avec la transcendance". On croit rêver! Pourquoi cette chute dans un irrationalisme aussi naïf et enfantin, où le religieux se lirait et s'avèrerait dans le port d'un tissu sur la tête? Oublie-t-il, s'il l'a lu, ce magnifique livre de Kant, La religion dans les limites de la simple raison, dans lequel celui-ci dénonce le culte et ses signes extérieurs quand ils prétendent valoir pour un mérite moral auprès de Dieu et qu'il qualifie alors de "folie religieuse"? Faire de la kippa "un signe, disons métaphysique" (sic) , c'est verser dans l' "orthopraxie" et traduit une régression théorique rare, qui témoigne de la médiocrité intellectuelle de notre époque et de sa religiosité diffuse: comment J.-F. K., et Marianne à travers lui, peut-il accepter que de pareils propos infantiles soient tenus dans un journal de grande audience et en général vigilant sur le respect des valeurs de la rationalité? L'entre-soi médiatique, fût-il flatteur pour ses acteurs et que Marianne dénonce habituellement, ne saurait justifier un pareil abaissement du débat sur la question religieuse.

Quant à ajouter que l' "on peut être pénétré de Dieu sans croire en Dieu" (Kahn) et acquiescer à Lévy dans ce cas, j'aimerais que Kahn explique un peu à ses lecteurs cette étonnante aporie, qui révèle une tendance à aimer l'irrationnel à laquelle il ne nous avait pas habitués. De la part de Lévy la chose n'est pas nouvelle: cet esprit beau parleuret haut parleur mais creux, sympathique au demeurant, nous a  accoutumés depuis longtemps à sa critique du rationalisme en philosophie depuis la fin des années 1970 et l'époque des "nouveaux philosophes", fondamentalement anti-marxistes et anti-communistes, dont il avait pris la tête et dont il était devenu le porte-drapeau. Voilà où cela les a menés longtemps après: l'absence de critique des pires dictatures religieuses au Moyen-Orient ou des tendances fascisantes d'Israël (dont Lévy ne dit mot), la complaisance à l'égard du libéralisme et du pouvoir destructeur de l'argent et, pour finir, l'apologie de la religion et du mysticisme, cet "arôme spirituel" qui rend aveugle à la réalité inhumaine du capitalisme et nous détourne de la combattre (voir aussi l'itinéraire de Chrstian Jambet). J'aurais aimé que Marianne s'en indigne davantage et ne se laisse pas aller au triste "esprit du temps", autre nom de l'idéologie dominante, qui nous prépare insidieusement aux pires catastrophes.

                                                                                                    Yvon Quiniou

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