International : l’analyse déficiente du journal Le Monde !
Texte corrigé!
Je suis de plus en plus déçu par le journal Le Monde qui, malgré son succès ou en raison du succès de son orientation idéologique actuelle, dérive de plus en plus vers le « centre politique » et contribue ainsi à l’affaiblissement idéologique des médias français, dominés par Bolloré, dont le changement vers la droite de l’hebdomadaire Marianne est un exemple spectaculaire. Médiapart y échappe heureusement - et c’est pourquoi je m’y exprime sans problème - tout comme, et en dehors de la presse communiste, l’autre Monde, son quasi homonyme, à savoir Le Monde diplomatique dont le numéro de ce mois critique remarquablement, dès sa première page, la mise en campagne (présidentielle) du « parti des médias » en direction de la droite… et en ciblant même (p. 23) « Le Monde » tout court !
J’en profite donc, et indépendamment d’une analyse de fond de son orientation de pensée depuis assez longtemps déjà et que j’ai eu l’occasion de décrypter dans mes écrits, pour en faire rapidement la preuve avec la chronique internationale d'Alain Frachon de ce jour (6 juin). Il signale à juste titre, il faut le dire, la nouvelle orientation, non seulement à droite mais vers l’ultradroite, de l’Europe dans nombre de ses pays (la Pologne, le Portugal, la Hongrie depuis longtemps, l’Italie, etc.), mais il le fait avec des arguments contestables et qui peuvent nourrir, hélas, cette orientation si l’on n’y prend garde.
La question de l’immigration, d’abord (qu’il m’est arrivé d’évoquer ici à propos de Retailleau) dont Frachon, comme d’autres à gauche, d’ailleurs, oublie qu’elle est une vraie question qu’il faut regarder en face avec courage et lucidité et hors de toute tentation raciste et de toute facilité « gauchiste ». Question socio-économique, d’abord, donc, qui n’est guère abordée avec franchise partout, comme si l’accueil des immigrés répondait à une motivation humanitaire indiscutable. Or c’est là un pur mensonge qui oublie que l’appel à ceux-ci répond à un souci de profit économique de la part des entrepreneurs capitalistes qui domine un peu partout dans une Europe libérale : ceux-ci manquent d’une main d’œuvre ouvrière à bon marché, dans les emplois les moins agréables qui rebutent les travailleurs nationaux, lesquels sont eux-mêmes peu soutenus dans leurs droits sociaux, et ils y font donc appel sans scrupule aux immigrés, les logeant en plus dans habitations elles-mêmes souvent peu agréables. Je me souviens, en position contraire, de celle d’un ancien dirigeant du PCF, qui préconisait, il y a longtemps, L’aide au co-développement destinée à former en France (ou dans leur situation d’origine) des travailleurs qualifiés de diverse nature et qui, en revenant chez eux formés, permettraient à leur pays de se développer et d’acquérir une forme de souveraineté ou d’indépendance économique, avec une meilleure aisance sociale pour leur population. C’est là la vraie solution, généreuse humainement et à l’abri des remous dans les pays « formateurs » que leur présence peut provoquer, hélas! Qui en parle vraiment ? Pas un mot chez Frachon, prisonnier d’une vision économiste, c’est-à-dire intéressée, de l’existence sociale.
Autre point, tout aussi économique mais très différent : la « globalisation néo-libérale » (la formule est de lui) dont il ne se rend pas compte que, pour une fois, l’extrême-droite en profite, et que l'on refuse de voir en face… comme notre journaliste. C’est là une question de fond, que j’ai abordée aussi ailleurs en toute lucidité anti-capitaliste. Cette globalisation assoit le pouvoir d’un capitalisme transnational, et pas seulement en Europe, qui enrichit une classe capitaliste elle-même transnationale, mondiale même, qui mène précisément notre monde actuel à une catastrophe « tous azimuts », totalement inédite à l’échelle de l’histoire. Or, et cela semble lui échapper, c’est cette situation qui nourrit la tentation de l’extrême droite dans les populations en difficulté, situation dont il faut supprimer la racine par une authentique politique de gauche que seule une partie de la gauche oficielle, aujourd’hui, propose. Et sait-on que l’UE, par ses décrets propres, est capable d’imposer aux nations qui la composent des mesures sociales contraires à ce qu’il y a d’avancées sociales dans l’organisation de certains de ses membres… dont la France ? Or ici aussi Le Monde diplomatique avait été capable d’en faire une analyse lucide et décapante dans un numéro de l’an dernier : Le Monde tout court ne lirait donc pas ce journal… pour, au minimum, s’informer et ne pas masquer la réalité à ses lecteurs ? C’est donc bien non par un retour à un nationalisme rétrograde et guère pacifiste que la gauche peut combattre l’extrême-droite et l’empêcher d’arriver au pouvoir, mais par un retour à une forme d’autonomie politique des nations, autorisant de fait une politique radicalement progressiste. Se souvient-on de ce mot de Jaurès affirmant superbement que « un peu d’internationalisme éloigne de la patrie (à savoir la nation - Y. Q.), beaucoup en rapproche », et cela il l’affirmait au nom d’un idéal politique qui érigeait la Vie, mais celle de tous, en valeur suprême et non ce médiocre souci du profit productif et mercantile réservé à quelques uns, qui est en train de nous « déciviliser » !
D’où un dernier point, corrélé, à celui du « vivre-ensemble », que Frachon à l’honnêteté d’évoquer en liaison avec notre modernité technique envahissante partout. Il est vrai que le succès populaire du Rassemblement national est lié à la disparition d’un certain nombre d’éléments « historico- culturels » qui alimentaient le « vivre-ensemble », comme l’appartenance religieuse, la culture patriotique ou nationale, le sens des racines, le goût de la nature, etc. A quoi s’ajoute, on y revient, la présence de l’immigration, déjà évoquée, et qui tend à bousculer le sens d’une communauté dotée d’une identité collective forte puisque les cultures religieuses étrangères, fussent-elle officialisées et donc reconnues dans leur existence publique, peuvent créer un sentiment de malaise quasi existentiel, lequel peut se déchaîner en haine raciste, comme notre triste actualité le montre. Il n’empêche que, sous prétexte de laïcité et de respect des différences dans une République, on ne saurait confondre ce principe, sauf démagogie politicienne, désastreuse à terme, avec l’admission inconditionnelle de l’altérité quand celle-ci contredit des valeurs humanistes essentielles. Or c’est le cas ici, pas vraiment sous la plume de Frachon, mais dans ce même numéro du journal, sous celle celle de la plume de l’Editorial du même journal qui s’en prend à ceux qui oseraient critiquer « une religion », quelle qu’elle soit.. Eh bien non ! Sauf à ignorer tous les grands penseurs qui ont, avec audace pour leur temps, dénoncé non seulement le contenu des croyances religieuses (philosophes des Lumières,, Feuerbach, Marx, Freud, les rationalistes contemporains aussi), mais ont rejeté leur dogmatisme sectaire porteur de conflits désastreux non seulement entre les sociétés, mais à l’intérieur d’une société donnée, y compris la nôtre : les exemples récents abondent malheureusement. Eh bien oui : il y a un devoir démocratique ou tout simplement humain de critiquer les religions, contrairement à ce qu’affirme Le Monde, en pleine démagogie . A méditer, courageusement, au delà de ce dernier élément, pour restaurer, la morale comme fondement de toute politque digne de ce nom!
Yvon Quiniou
A paraitre : Le mythe irresponsable de la croissance, L'Harmattan.