La menace Le Pen
Ce bref billet (bien que je n’ai pas encore lu Plenel) sur l’inquiétante menace de l’extrême-droite incarnée par Marine Le Pen. Je commente ici un sondage qui vient de paraître et qui imagine une élection présidentielle aujourd’hui, lequel donnerait Le Pen vainqueur de Macron avec 55/100 des voix contre 43 /100 à Macron ! Ahurissant et une véritable « gifle » pour notre président comme je l’ai entendu dire de la part d’un excellent journaliste politique, gifle c’est-à-dire camouflet ou désaveu qu’aucun président en exercice n’a jamais connu jusqu’à présent!.
Mais il y a plus grave, même si ce n’est qu’un sondage ponctuel à quatre ans de la véritable et future élection présidentielle. Il faut en analyser, même rapidement, les raisons alors que le mouvement social contre la retraite à 64 ans bat son plein et bénéficie d’un soutien largement majoritaire pour son orientation clairement de gauche, voire anti-capitaliste chez beaucoup selon moi, et alors que le Parti communiste trouve un regain incontestable de popularité grâce à Fabien Roussel, ce qui est bon pour l’avenir.
1 Paradoxalement, l’attraction dont bénéficie l’extrême-droite vient d’un peuple insatisfait par sa situation sociale qui s’aggrave de plus en plus, du fait de l’inflation et des cadeaux fiscaux scandaleux dont bénéficient les plus riches en France. Il faut se rappeler que Macron vient de la finance et qu’il la sert ! Or ce même peuple croit trouver dans la politique sociale éventuelle du Rassemblement national une compensation ou correction possible, ce qui est totalement faux, vu le soutien que celui-ci a dans le patronat le plus réactionnaire qui soit, non seulement celui des petites ou moyennes entreprises, mais aussi (l’enquête dont je suis parti l’indique) le grand patronat avec ses privilèges insanes et son cynisme en tant que principale force d’exploitation des travailleurs. L’un des combats que la gauche doit donc mener est de combattre cette illusion populaire, terriblement dangereuse et néfaste, et il faut souhaiter que les médias dominants s’en fassent l’écho ou le relais, d’autant qu’ils seraient eux-mêmes la victime d’une fausse démocratie à la Le Pen !
2 Mais il y a un autre aspect du problème que la droite sous-estime (puisqu’elle l’alimente) et que seule une certaine gauche prend en compte : celui de la souveraineté nationale et, plus largement celui de l’idée de nation qu’exploite le RN. J’y insiste une nouvelle fois dans ce billet tant cette double question me paraît grave. Depuis déjà un long temps la souveraineté nationale a été mise à mal non seulement par l’Europe libérale et ses traités, mais, derrière elle, par un capitalisme non international mais transnational imposant aux nations son impérialisme économique. Or la revendication d’une autonomie politique des nations, y compris dans leur organisation productive, est essentielle à la démocratie et elle n’est en rien contradictoire avec leur coopération réciproque. Je rappelle donc à nouveau un propos du grand Jaurès, que les soi-disant socialistes ont oublié : « Un peu d’internationalisme (= « d’union inter-nationale », avec un tiret – Y. Q.) éloigne de la patrie, beaucoup en rapproche ».
A quoi s’ajoute l’intérêt qu’il faut porter à l’idée même de nation contre un « transnationalisme » totalement abstrait et dangereux anthropologiquement selon moi. Car la nation est une réalité, historique donc et susceptible d’évoluer, qui a un réel contenu anthropologique au sens où même un partisan internationaliste de Marx doit le reconnaître : une langue, un passé, des mœurs, une culture, des valeurs, des croyances, donc une identité originale qui contribue à l’identité de ses membres et à laquelle il est déraisonnable de renoncer ou de contraindre à renoncer. Certes, on n’a pas à s’enfermer du tout dans une posture nationaliste, voire belliqueuse, sinon raciste, c’est là la tentation de l’extrême-droite : voir ce qu’il se passe et se développe lamentablement et dangereusement dans certains pays d’Europe aujourd’hui comme la Hongrie, la Pologne, ou l’Italie ; et l’Universel est tout autant une dimension essentielle de l’être humain. On peut aussi, voire on doit critiquer certains formes d’affirmation de l’identité nationale, nationales-nationalistes – comme le fut le nationalisme nazi que l’extrême-droite n’a jamais critiqué et dont elle a même été la complice – et franchement dénoncer courageusement celles qui prévalent, et se renforcent à des degrés divers, dans les pays musulmans où sévit une religion malsaine, violente, totalitaire et anti-féministe, l’islam, ce que certains à gauche n’osent pas faire par calcul politicien dans leur pays. Reste donc tout ce que j’ai valorisé et dont on ne doit pas laisser le monopole de l’appréciation, mais trahie ou pervertie, à Marine Le Pen, sous peine de voir notre peuple, désorienté ces temps-ci, y adhérer.
3 Dernier point, important lui aussi, quoique nouveau. Le monde contemporain, en tout cas à l’Ouest, est dominé par le transnationalisme capitaliste venu des Etats-Unis, avec cette conséquence terrible culturellement et humainement : il nous impose non une nouvelle société mais une nouvelle civilisation, pas seulement technicienne – dont Paul Valéry avait déjà dénoncé la pauvreté de sens dans La liberté de l’esprit – mais marquée par le productivisme, le culte de la croissance à tout prix et, du coup, par un consumérisme idiot et aliénant, qui enferme l’homme dans une vision et une pratique médiocres de l’existence dont des penseurs engagés et humanistes comme Lucien Sève, il n’y a pas si longtemps, Félix Guattari avant (dans Les trois écologies) ou encore André Gorz, ont su profondément faire la critique, sans être vraiment entendus… car cela portait atteinte au capitalisme en tant que tel, à sa logique de fonctionnement dominée par l’argent ! Et ce « modèle », du coup, produit des stéréotypes humains désolants (avec en plus la violence) qui envahissent le cinéma ou la télévision, lesquels le reproduisent en toute irresponsabilité.
Conséquence : se réclamer de la nation au sens où je l’ai entendu et en propager la valeur, c’est aussi contribuer à parer à la menace Le Pen en proposant une autre orientation de vie, gratifiante, à notre peuple !
Yvon Quiniou