Les émeutes : quelle source ?
La question posée par les dramatiques émeutes que nous venons de connaître doit recevoir une réponse courageuse et lucide, hors des facilités des options politiques partisanes. Il faut donc procéder dans l’ordre des causes, de la causalité apparente à la causalité plus profonde, pour aller jusqu’au fond de notre situation.
1 La première cause est évidemment la mort d’un jeune homme dans une situation délictueuse d’automobiliste dangereux, méritant une sanction mais à aucun moment d’être l’objet de ce qui est bien un meurtre opéré par un policier. Cela pose le problème de la formation éthique ou civile des policiers, qui doit être améliorée face à une population difficile à gérer, mais sur lequel je n’insiste pas. Mais on n’a pas, pour autant à vilipender LA police en général et en tant que telle.
2 C’est bien au-delà qu’il faut trouver l’explication de la violence qui s’est manifestée dans ce quartier populaire de Nanterre, ainsi que dans bien d’autres en France, ensuite. Car ce qu’il faut comprendre c’est que cette violence anti-policière, mais aussi bien plus large puisque visant des couches nombreuses de la population dans le cadre de leurs activités professionnelles, mais aussi des figures ou des symboles publics de l’autorité politique comme les maires ou les mairies, les préfectures, mais pas seulement. Ce qui, sur le fond, n’est pas acceptable et doit être aussi sanctionné mais tout autant compris. Or c’est là la difficulté que peu osent voir ou appréhender : ces émeutes sont bien une révolte populaire dont la protestation contre l’incident initial, malgré sa gravité propre, n’est que le symptôme d’une crise sociale grave, qu’il faut décrypter en dehors des cris d’indignation que l’on entend partout, aussi justifiés soient-ils de part et d’autre. Elles en sont le signe ou le révélateur et il faut en expliciter le sens.
3 D’abord, il s’agit bien de la manifestation d’un malaise social énorme dans les banlieues et les quartiers où vivent les couches sociales les plus défavorisées, spécialement (mais pas seulement) les immigrés de deuxième ou troisième génération, parfois contaminés par l’islam ( ce que peu de responsables politiques, par électoralisme, osent dire). Car si des efforts ont été faits depuis une quinzaine d’années pour améliorer l’habitat populaire par des gouvernements successifs, les quartiers en question regroupent des populations pauvres, avec un degré de chômage élevé (plus élevé qu’ailleurs : 30%100 parfois) et un déficit culturel grave qui entraînent des rivalités entre bandes, un trafic de drogue et une incivilité générale marquée du coup par la violence – une violence sous-jacente qui ne demande qu’à s’exprimer au moindre incident venu. Or c’est bien là, il faut oser le dire, une violence de classe générée, il faut aussi oser le dire, par le capitalisme et son libéralisme économique avec ses scandaleuses inégalités et la pauvreté, que Macron refuse de voir en face et de dénoncer ou d’en limiter les effets sociaux – ce à quoi il pourrait et devrait s’engager en faisant appel à la richesse des riches qui ne fait qu’augmenter (n’est-ce pas monsieur Bolloré ?).
4 A quoi s’ajoute, certains se risquent à le dire, un problème proprement culturel et pas seulement économique ou social. Car si on a amélioré l’habitat (les immeubles) des quartiers en question, on n’a pas fait grand chose, sauf dans quelques municipalités communistes (il faut le reconnaître) ou de gauche, pour y améliorer la vie, en encadrant culturellement les couches populaires par des offres explicites (associations, théâtres, lieux de vie, etc.) ou par un enseignement exigeant et refusant le multiculturalisme voyant, provocateur et conflictuel ; et l’on n‘a pas su ou voulu, non plus, compenser le déficit éducatif dans les milieux pauvres et spécialement dans les familles monoparentales, ne laissant les jeunes et les moins jeunes qu’en présence des tentations de consommation fournies par une société capitaliste mercantile et auxquelles ils ont difficilement accès financièrement de toute façon. S’ensuivent la déshérence, l’ennui, la tentation de l’incivilité, du vol et de la violence, à nouveau.
5 D’où l’importance d’une instance en pleine défaillance par les temps qui courent et qui ne concerne pas seulement les milieux populaires en cause : l’éducation en tant qu’elle est porteuse de valeurs morales universelles, issues de la République (voir Jaurès) et dont le lieu de diffusion est double : la famille et l’école. Or cette mission a été abandonnée par l’Etat libéral, spécialement celui d’un Macron, dont la conception de la politique est d’une pauvreté morale affligeante (voir son programme Révolution), n’ayant que faire de la notion normative de justice sociale. Or ce devrait être là le fondement d’une politique digne de ce nom se souciant, comme le préconisait le philosophe marxiste italien Gramsci (inspiré en plus par Kant), d’élaborer et de diffuser une « sens commun » de masse, améliorant les consciences et les comportements par des valeurs morales fondées sur le respect concret de la personne humaine, dans lesquelles nous pouvons tous nous reconnaître. Et, sans pouvoir développer, le professeur de philosophie que j’ai été, a vu se dégrader, sous Macron, les exigences normatives des programmes de l’enseignement de la philosophie à un niveau rare, celui-ci cessant de vouloir éduquer les esprits !
Brève conclusion : ce qui est tragiquement en jeu dans les émeutes que nous avons connues et qui peuvent reprendre si rien ne change politiquement, c’est donc aussi, à travers l’éducation et la culture, une question non seulement de société mais de civilisation avec le type ou le modèle de vie qu’elle propose aux êtres humains et qui, seul, tarira le besoin ou la tentation de la violence. C’est dire, une fois de plus, qu’il nous faut dépasser le capitalisme, inverser sa logique inégalitaire, inhumaine et mercantile et faire de l’homme, en dehors des partis-pris religieux, eux aussi facteurs de violence, « l’être suprême pour l’homme » !
NB : Je n’ai pas voulu traiter du problème de l’immigration car c’est un problème délicat et source de racisme, qu’il ne faut pas nier mais traiter intelligemment et humainement.
Yvon Quiniou